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Voici pourquoi les prix des logements ne baisseront jamais

Non, les gouvernements n’agiront jamais pour réduire les prix des maisons.

Par
Farnell Morisset
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« Tu ne peux pas utiliser un droit qui n’est pas le tien, de céder un bail à quelqu’un d’autre, à des termes que tu décides quand ce n’est pas ton immeuble. Le locataire qui veut faire ça, il faut qu’il investisse en immobilier. »

« J’ai dit ça et je suis désolée si ça a paru insensible. J’étais dans une description juridique et économique des choses. »

-France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation et investisseure en immobilier résidentiel, juin 2023

Imaginons ensemble un scénario de rêve pour plusieurs d’entre nous : après plusieurs années d’épargne, Jules et Julie ont finalement été capables de mettre de côté 21 500$ pour en faire la mise de fonds minimale de 5% sur leur première maison, qu’ils achètent au prix médian au Québec de 430 000$.

On les félicite d’un geste financier si important et mature!

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Mais maintenant, imaginons un autre scénario de rêve : après des années à le promettre, le gouvernement annonce enfin une politique d’accès à la propriété qui a du mordant. Tous.te.s les analystes sont d’accord, le résultat attendu de cette nouvelle politique permettra de rétablir les prix des logements à leur niveau prépandémique, ramenant la valeur d’une maison unifamiliale médiane à 310 000$ (ajustée pour l’inflation) d’ici le début de l’année prochaine. La classe politique se félicite d’avoir réglé la crise du logement.

La CORPIQ fait le bacon.

Jules et Julie, cependant, paniquent. Ils ont une hypothèque de 408 500$ sur une maison médiane qu’ils ont achetée pour 430 000$, mais qui, d’ici l’année prochaine, n’en vaudra plus que 310 000$. Que faire? Sachant que, s’ils la gardent, leur maison va perdre sa valeur et qu’ils se retrouveront pris avec une dette supérieure à celle-ci, ils s’empressent de revendre leur maison, pendant qu’elle a encore la valeur à laquelle ils l’ont acheté. Mais ils ne trouvent aucun acheteur. Tous.te.s les autres propriétaires de maisons sont arrivé.e.s à la même conclusion, et l’offre des maisons à vendre sur le marché a explosé.

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Jules et Julie arrivent à une conclusion difficile : s’ils continuent à payer leur hypothèque, même sans prendre les intérêts en compte, ils ont une perte assurée de 120 000$ – la différence entre le prix qu’ils ont payé et celui de la valeur qui restera à leur maison dans un an.

Mieux vaut faire faillite, cesser immédiatement les paiements sur leur hypothèque, et laisser la banque prendre possession de leur maison.

Ils effacent ainsi leur dette hypothécaire sur leur maison dont la valeur est en chute libre et ne perdent que leur mise de fonds initiale. Le rêve est devenu un cauchemar.

Ce processus se répète dans des dizaines ou centaines de milliers, peut-être même des millions, de foyers à travers la nation. Les banques se retrouvent avec d’innombrables hypothèques impayées et en possession de maisons dont la valeur est en chute libre, pendant qu’autant de familles se retrouvent à la rue ayant perdu ce qui était, pour la plupart, leur plus grand actif financier, représentant une vie d’économies et de sacrifices. C’est le krach.

Peu importe ce qu’ils disent pour gagner et garder vos votes, aucun gouvernement ne veut ça.

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Évidemment, ce que je décris est un scénario extrême. Mais si vous le comprenez, vous en saisissez les enjeux principaux.

Vous comprenez aussi pourquoi, dans l’ordre économique et politique actuel, aucun gouvernement ne peut se permettre d’agir pour faire réellement tomber les prix des maisons.

Peu importe les belles paroles et les promesses, une trop grande partie de l’économie repose sur la valeur actuelle de l’immobilier et l’hypothèse d’une croissance future au moins égale aux taux d’intérêt. Le marché immobilier résidentiel représente actuellement 7,8% du PIB canadien. À titre comparatif, avant le krach résidentiel de 2008, le marché immobilier résidentiel représentait 7% du PIB des États-Unis.

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Est-ce de quoi être fataliste? Avons-nous vraiment un choix à faire entre un krach économique ou le soutien de la croissance des prix résidentiels insoutenables? Je ne vais pas prétendre avoir toutes les réponses – si j’avais la solution à proposer, je serais à l’Assemblée nationale, pas à Quatre95 (avec tout le respect que j’ai quand même pour cette plateforme).

Cependant, si je pouvais me permettre une suggestion, il s’agirait de celle-ci : d’abord, il faut qu’on arrête de voir les logements comme un investissement financier à court ou moyen terme. Ceci n’est pas le cri du cœur idéologique d’une âme sensible (j’ai travaillé sur Wall Street et étudie à la London School of Economics – j’ai autant l’estomac pour le capitalisme que n’importe qui d’autre). C’est une nécessité préalable au nerf de la guerre qui suit :

Viser une croissance à long terme du prix des maisons, mais très légèrement inférieure à l’inflation.

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Il s’agirait d’une croissance positive pour éviter les scénarios catastrophiques comme celui de Jules et Julie qui se retrouvent avec une maison qui vaut moins cher que le prêt hypothécaire. Une croissance qui serait cependant inférieure à l’inflation pour que les prix relatifs des maisons diminuent graduellement par rapport aux salaires et aux prix des autres biens. Une diminution qu’il faudra maintenir aussi longtemps que nécessaire pour que les maisons soient à nouveau abordables.

Ce chemin vers la guérison s’annonce-t-il long et pénible? Certainement. On en a pour des années, voire des décennies, et ça, c’est en supposant que les gouvernements aient la capacité d’agir et la sagesse de le faire. Les choix alternatifs ne sont toutefois pas plus reluisants : d’un côté, un krach terrible, et de l’autre, une croissance infinie, mais insoutenable du prix des maisons.

Que pouvons-nous faire pour prévenir de tels scénarios? Individuellement, pas grand-chose ; les problèmes systémiques n’ont généralement pas de solutions individuelles. On peut toutefois se rappeler qu’au final, les gouvernements répondent toujours éventuellement aux pressions du public, et le public, c’est nous. Plus on parle du problème via des discussions avec nos ami.e.s, familles, collègues, etc., plus les gouvernements seront forcés d’y répondre.

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Alors, continuons d’en parler, et peut-être – peut-être – qu’on évitera le pire.