Il y en a qui braillent devant l’école (moi), d’autres qui hurlent le mot LIBERTÉ en dansant en bobettes dans leur appartement (moi) pis d’autres qui essuient la trainée de beurre d’arachides qui orne le visage de leur enfant (et qui pourrait tuer le petit Sébastien) juste avant de courir vers le bureau. Les parents, triomphaux devant le succès futur de leur progéniture, s’agrippent à leur téléphone pour immortaliser le moment : la rentrée scolaire.
Il y a les enfants aussi. Ceux aux joues rouges, aux couettes bien placées, aux vêtements neufs. Ceux qui courent vers la cour, ceux qui s’essuient les larmes contre le jeans de papa, ceux qui se prennent pour une star d’Hollywood à cause de leur nouvelle paire de lunettes. Ils ont une chose en commun : ils sont très et tous fébriles.
Espoirs déçus
Cette année, la mienne de fille ne dort pas de la nuit. À six ans, une rentrée, c’est plus stressant qu’un débat des chefs. Surtout qu’un enfant, ça se prépare ni à mentir, ni à jouer un rôle, ni à tenter de convaincre les gens de voter pour lui. Ça fait juste espérer que le monde ne sera pas trop hostile quand il va sauter en parachute drette dedans. Ma fille a des centaines de questions qui la gardent réveillée, mais elle en choisit une qu’elle me répète en boucle pour qu’on traverse ça ensemble, la nuit.
Est-ce que mon/ma professeur/e (elle parle toujours en féminin/masculin pour s’assurer que tout le monde soit intégré dans son discours) va être gentil/lle? Je fais ce que tout autre parent fait : je rassure, je nuance, j’encourage.
Le lendemain, en arrivant à l’école, tout est là. Comme dans nos rêves. Les amis. Les pupitres. Les alphabets. Mais il manque l’essentiel : ma fille a pas de professeur.
(Parenthèse louanges : j’ai une admiration avec pas d’borne pour le travail des enseignants qui portent des kilomètres d’avenir sur leurs épaules. J’en ai moi-même rencontré quelques-uns devant qui je me serais mise à genoux pour les remercier. Donner à des enfants le gout d’apprendre pour qu’ils apposent leur marque sur notre monde, c’est plus que beau.)
Le lendemain, en arrivant à l’école, tout est là. Comme dans nos rêves. Les amis. Les pupitres. Les alphabets. Mais il manque l’essentiel : ma fille a pas de professeur. Il y a une remplaçante, par ailleurs très gentille, qui dit bonjour, qui rassure, qui accueille, mais elle part après demain. Pour aller enseigner ailleurs. C’est pas sa faute. C’est même pas la faute à la directrice. C’est même pas la faute à la professeure qui a accepté un poste plus près de chez elle. Mais quelque chose dans les yeux de mon enfant et de ses amis me fait hurler des affaires (intérieurement). Elle est où, leur figure d’attachement? La personne à qui ils vont faire confiance, à qui ils vont prendre la main quand ça va faire peur? Me semble que c’est essentiel, non?
Mauvaises conditions et procédures lourdes
C’est plus tard, en parlant de la situation que je croyais être exceptionnelle, que j’apprends ceci : les écoles sont très rarement complètes à la rentrée. Les directions sont coincées par le manque de professeurs et les procédures sont lourdes avant qu’un poste puisse être comblé. Euh? Ok? Pis on fait quoi? On fait quoi pour redonner le goût à nos jeunes adultes (ben oui, je m’approprie ça, moi, des jeunes adultes) d’aller vers l’enseignement?
Les écoles sont très rarement complètes à la rentrée. Les directions sont coincées par le manque de professeurs et les procédures sont lourdes avant qu’un poste puisse être comblé. Euh? Ok? Pis on fait quoi?
Ils sont pas caves, les jeunes adultes. Ils les voient, les burnouts, les conditions de marde, les difficultés. Ils le savent que le gouvernement s’en torche de leur donner de quoi être heureux dans un domaine que j’oserais qualifier de vital. Il y a de moins en moins de gens qui ont envie de porter des kilomètres d’avenir sur leurs épaules pis je les comprends. À voir les conditions de caca-pipi dans lesquelles ils doivent donner aux petits le gout d’apprendre à lire et à écrire, je peux comprendre que ça enlève des lettres de noblesse au mot « vocation ». Mais en même temps, quelqu’un qui lit pis qui écrit, c’est dangereux. Arrêtons tout de suite d’apprendre à nos futurs citoyens à réfléchir.
Une priorité à renouveller
En omettant de mettre au cœur de notre projet de société le système d’éducation, on s’assure de former des citoyens qui seront capables de compter et de lire, mais qui n’auront pas les outils pour penser les choses différemment. Pis me semble que l’état de notre monde a besoin de gens capables de le transformer de façon durable. Parce que quand je pense à la culture de l’opinion et des convictions de surface, je me dis qu’il est grand temps que nos enfants apprennent à apprendre pour qu’ils aient envie de creuser avant de crier.
Une pénurie de professeurs, c’est grave.
Quand je pense aux yeux anxieux de ma fille, je me dis que ça vaut la chandelle de juste poser la question. Une chandelle écologique, équitable, LGBTQ, inclusive. Pourquoi on laisse faire ça? Une pénurie de professeurs, c’est grave.
En attendant que ma petite rencontre son ou sa vrai/e professeur/e, je vais continuer de faire ma job de maman (promis elle va s’en sortir). Mais nous, comme citoyens, pouvons-nous enfin comprendre que l’éducation est un enjeu de société fondamental? Que c’est notre avenir qui en dépend?