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Vivre dâinsultes et de domination financiĂšre
Bienvenue dans lâunivers des dominas et des money slaves.
Câest en 2018 quâAdĂšle a vu passer pour la toute premiĂšre fois le terme «money slave» sur son fil dâactualitĂ© Twitter. Elle ne savait encore rien de cet univers, mais sa curiositĂ© Ă©tait dĂ©jĂ piquĂ©e.
Aujourdâhui, lâĂ©tudiante de 22 ans peut nous en donner une dĂ©finition courte, mais complĂšte. «Câest un rapport de domination sur autrui en Ă©change dâargent. En soi, câest un peu du travail de sexe», rĂ©sume-t-elle avant de marquer une pause puis ajouter, pensive: «Un peu beaucoup, mĂȘme.»
Mordre Ă lâhameçon
Plus les internautes quâelle suivait sur ses rĂ©seaux en parlaient, plus son intĂ©rĂȘt pour cette pratique grandissait. «Je voyais tous les jours: mon money slave mâa donnĂ© cinquante euros, mâa donnĂ© ci, mâa donnĂ© ça», relate-t-elle. «Alors je me suis juste dit: je vais tester pour voir si ça fonctionne rĂ©ellement.»
Et câest ainsi quâĂ ses dix-neuf ans, elle a franchi le pas.
«Il y a beaucoup de money slaves sur Twitter. Ce nâest pas un darknet, mais câest limite une autre dimension.»
AdĂšle ouvre tout dâabord un compte Twitter Ă des seules fins de repĂ©rage. Et dans un monde de Facebook et dâInstagram, ce choix de plateforme nâest pas anodin. «Il y a beaucoup de money slaves sur Twitter», explique-t-elle. «Ce nâest pas un darknet, mais câest limite une autre dimension.»
Dans cet univers obscur, tout sâorganise autour de la dynamique de domination/soumission que partagent lâesclave financier et sa maĂźtresse â qui est communĂ©ment appelĂ©e «domina». Ce rapport de force dicte le tempo de toutes leurs interactions, avant mĂȘme leurs premiers contacts. «Il faut les laisser venir Ă toi», comprend rapidement AdĂšle. «Et pas lâinverse.»
Afin quâils sachent oĂč sâorienter, cependant, les appels de phares restent une Ă©tape importante. Pour ce faire, les dominas ordonnent par tweets quâun money slave passant sur sa page la paie, le tout avec une parfaite dose de rabaissement. Elles accompagnent ensuite leurs messages de mots clĂ©s spĂ©cifiques â tels que «moneyslaves», «paypigs», «soumis» ou encore «financial domination» souvent abrĂ©gĂ© en «findom». Ces deux critĂšres lui assurent que son message finira par trouver son destinataire.
«Et aprĂšs une bonne dose dâinsultes, il te donne ton dĂ».»
Et lorsque les premiers contacts sâĂ©tablissent, AdĂšle comprend quâil est important de rapidement dĂ©terminer comment conserver la main, mĂȘme si «câest quand mĂȘme beaucoup de conversations», reconnaĂźt-elle. Ces discussions permettent de vĂ©rifier deux choses: la compatibilitĂ© et les attentes des deux parties.
Une fois cela mis au clair, la dĂ©gradation peut commencer. «Et aprĂšs une bonne dose dâinsultes, il te donne ton dû», conclut AdĂšle.
Bien quâun visuel ne soit pas obligatoire, la plupart des dominas insĂšrent quand mĂȘme des photos dâune partie de leurs corps afin dâattirer un public plus large. Cette partie est trĂšs souvent celle des pieds et il y a ici un message double. Dâune part, cela rappelle au money slave que sa place nâest pas plus haut quâen dessous des semelles de sa domina. Dâautre part, sâil ne veut pas la perdre, il est de son ressort dâentretenir sa maĂźtresse en payant sa pĂ©dicure et tout autres frais nĂ©cessaires Ă son bien-ĂȘtre.
Trouver chaussure Ă son pied
Mais au-delĂ des ordres, les appels de phare des dominas contiennent aussi des propositions. Dans sa pĂ©riode de repĂ©rage, AdĂšle se souvient avoir vu un bon nombre de tweets proposant une action spĂ©cifique contre de lâargent. «Je suis tomb Ă©e sur des centaines de comptes de femmes en talons qui disaient, par exemple: âPour 200 euros, je vous marche dessusâ», rapporte-t-elle.
«Certains veulent que tu fasses une vidĂ©o ou que tu craches par terre pour 30 euros. Dâautres, que tu leur envoies tes culottes sales.»
Cependant, lorsque les premiers Ă©changes commencent, câest alors au money slave de prĂ©senter ses requĂȘtes Ă sa domina. Et celles-ci peuvent ĂȘtre trĂšs spĂ©cifiques. «Certains veulent que tu fasses une vidĂ©o ou que tu craches par terre pour 30 euros. Dâautres, que tu leur envoies tes culottes sales. Pour dâautres encore, ce sera des insultes bien prĂ©cises en Ă©change dâune certaine somme», Ă©numĂšre AdĂšle. Le but Ă©tant quâĂ terme, la soif de dĂ©gradation de lâesclave soit assouvie.
Certaines dominas acceptent de rencontrer leurs money slaves en personne, chose quâAdĂšle respecte autant quâelle nâapprĂ©hende. «Il faut Ă©normĂ©ment de courage et de dĂ©termination pour franchir la barriĂšre du virtuel au rĂ©el», admire-t-elle. Durant ses quelques mois dâactivitĂ©, sa peur la plus grande Ă©tait que lâon parvienne Ă la retracer.
Une charge psychologique constante
DâemblĂ©e, insulter pour gagner de lâargent semble simple. Mais cela demande une organisation et un investissement que peu de dĂ©butantes anticipent. «Avoir un money slave, câest vraiment du temps, du temps, du temps», appuie AdĂšle. «Câest vraiment gĂ©rer des gens pour les satisfaire et ça peut vite ĂȘtre drainant.»
«Il y a un nombre incalculable de fois oĂč jâai bloquĂ© les gens en me disant “par contre, lĂ , stop”.»
Sâajoute Ă cela lâaspect sexuel qui, selon AdĂšle, nĂ©cessite dâavoir «les nerfs solides» en tout temps. «Il faut sâattendre Ă recevoir des images Ă caractĂšre pornographique», prĂ©vient-elle. Ces images peuvent prendre autant la forme dâune dick pic classique que dâun clichĂ© du money slave dans une position compromettante. Le niveau dâextrĂȘme dĂ©pend du degrĂ© de moquerie et dâhumiliation voulue par le money slave. «Il y a un nombre incalculable de fois oĂč jâai bloquĂ© les gens en me disant âpar contre, lĂ , stopâ», admet AdĂšle. «Ăa ne mâa pas créé de traumatisme, mais je comprendrais que ça en fasse chez dâautres personnes.»
Des lunettes roses pour une réalité floue
De nombreuses jeunes filles entrent ainsi dans le mĂ©tier en ne gardant Ă lâesprit que les sommes faciles quâelles en retireront. Pour AdĂšle, un tel raccourci reprĂ©sente un grand danger. Peu rĂ©alisent la nature de lâacte en lui-mĂȘme. «Je me suis rendu compte bien plus tard que ce que je faisais, câĂ©tait du travail du sexe», tĂ©moigne en ce sens AdĂšle. «Plus on simplifie, plus on romantise et moins on prend vraiment conscience des choses.»
RĂ©aliser que des mineures ont pu se lancer innocemment dans ce champ dâactivitĂ© pour de lâargent de poche est une rĂ©alitĂ© qui la hante. Elle nâavait aprĂšs tout que 19 ans lorsque le terme money slave est apparu dans son champ de vision, «donc forcĂ©ment, il y en avait des plus jeunes que moi», raisonne-t-elle. Ceux qui perpĂ©tuent une image lisse et excessivement accessible de ce monde via des tĂ©moignages faussement simplistes ont leur part de responsabilitĂ©, selon elle. «Maintenant je me dis : âmais ça va pas de dire ça Ă haute voix sur Twitter?â», sâindigne-t-elle.
Dâautant plus quâelle a vu Ă plusieurs reprises sur son fil dâactualitĂ© des aĂźnĂ©es du milieu pousser de trĂšs jeunes cadettes Ă se lancer. «Il y a des gens qui encourageaient ces filles mineures Ă faire du travail du sexe», se remĂ©more-t-elle. «Et je me suis dit: ça, câest grave.» Tout cela combinĂ©, AdĂšle nâa pas tardĂ© Ă mettre Ă ses activitĂ©s.
Un point final
En tout et pour tout, lâĂ©tudiante ne restera quâune poignĂ©e de semaines dans son rĂŽle de domina. Par le seul biais des insultes, elle gagnera aux alentours de 300 euros. Aurait-elle pu faire plus de bĂ©nĂ©fices? Si elle avait Ă©tĂ© un peu plus loin, certainement. Mais les mots sont la limite quâelle sâĂ©tait interdit de dĂ©passer.
Aujourdâhui, AdĂšle entame sa seconde annĂ©e de maĂźtrise avec un salaire Ă©tudiant assurant ses Ă©conomies et ses frais personnels. Bien quâelle ne regrette pas lâexpĂ©rience, se replonger dans lâunivers des money slaves ne la tente plus, dĂ©sormais.
«Ce nâest pas dans mes prioritĂ©s et je nây ai mĂȘme pas pensé», admet-elle avant de prĂ©ciser: «Mais câĂ©tait trĂšs formateur.»
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