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Vivre dans un centre d’achat à Hong Kong

Avez-vous déjà rêvé d'habiter dans le Carrefour Laval?

Par
Ariane Labrèche
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Des centaines de milliers de personnes vivent dans les nombreux centres d’achat qui parsèment la ville de Hong Kong. Pour mieux comprendre ce que c’est que d’être coloc avec un UNIQLO et un Starbucks, on a suivi Michael Takiushi, un Américain de 41 ans qui a quitté sa Californie pour venir rejoindre son amoureuse hongkongaise. Il adore son complexe d’appartements encastré dans les grands magasins. Ses deux beagles aussi, apparemment.

«J’avais cinq sets de pneus, un camion, une van, un scooter, une moto et même un petit sidecar pour mes chiens. J’ai tout dompé!», raconte-t-il avec un sourire timide, assis près de la fenêtre de son appartement qui trône au 52e étage du complexe de Park Central, qui comprend 12 tours et 4 152 unités.

«Mon débarras, c’est le centre d’achat. Si j’ai besoin de quelque chose, je descends simplement l’acheter!»

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Petit, son logement est quand même spacieux pour les standards de Hong Kong. Malgré tout, il n’y entrepose presque rien. «Mon débarras, c’est le centre d’achat, résume-t-il. Si j’ai besoin de quelque chose, je descends simplement l’acheter!»

Comment ça fonctionne, concrètement?

Tous les jours, Michael sort de son appartement, souvent avec ses deux beagles dans une poussette, et descend les 52 étages qui le séparent du plancher des vaches. «En fait, c’est pas vraiment le 52e étage, parce que le chiffre 4 est signe de mauvaise chance pour les Chinois», souligne-t-il en montrant les boutons de l’ascenseur.

Si ça lui tente de faire le plein de vitamine D, il peut passer par une petite place extérieure qui le mène directement au centre d’achat. «Mais j’aime mieux passer par le stationnement, comme ça, je n’ai jamais à sortir dehors, explique l’Américain. J’ai réalisé récemment que je pourrais sortir de chez moi, prendre le métro jusqu’à l’aéroport et quitter le pays sans jamais avoir à mettre le pied à l’extérieur.»

Après quelques zigzags dans des corridors bétonnés éclairés aux néons, on emprunte un escalier roulant qui nous fait débarquer en grands conquérants en plein milieu d’une allée de boutiques, entre une pâtisserie et un magasin de souliers.

«Je pourrais sortir de chez moi, prendre le métro jusqu’à l’aéroport et quitter le pays sans jamais avoir à mettre le pied à l’extérieur.»

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«En plus, je ne vis pas dans le complexe le plus glamour. Il y a plein de gens qui prennent l’ascenseur et qui débarquent vraiment en plein coeur du centre d’achat», explique Michael, humblement.

Un petit cinq minutes de marche nous sépare ensuite de l’entrée du métro, directement accessible en plein coeur de l’immense centre d’achat, joliment nommé PopCorn Mall. On se sent un peu comme dans le centre Eaton.

Photo: Alexis Boulianne

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Au-dessus de nos têtes, le centre commercial se déploie de manière tentaculaire, chaque excroissance est parsemée de restaurants chics, de boutiques de vêtements, de quincailleries, de cinémas, d’hôtels…

On sent que l’endroit est à la fine pointe de la technologie, les sens sont constamment stimulés par les sons et les couleurs. La place a été pensée pour qu’on y consomme. «You can live, work and play here», s’enthousiasme pourtant Michael.

Pour plusieurs Hongkongais dont la chambre, la salle à dîner et le salon sont une seule minuscule pièce, c’est difficile de recevoir des amis à la maison. «Quand on rencontre des amis, c’est sûr qu’on sort de la maison, on n’a pas vraiment le choix. Alors, le plus pratique, c’est de les rencontrer dans un restaurant ou un cinéma, situé dans le centre d’achat», explique Michael.

Pour qui a déjà mis le nez dehors à Hong Kong, les centres d’achat possèdent un autre attrait évident. «Souvent, il pleut, il fait vraiment chaud, ou il y a même des typhons, alors c’est vraiment génial de pouvoir toujours rester à l’intérieur et à l’air climatisé», indique Michael.

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Hong Kong, le Costco de l’Asie

Photo: Ariane Labrèche

Même si, dans une soudaine éruption d’anticapitalisme, Michael souhaitait boycotter les centres d’achat, il aurait probablement de la difficulté. «Nous sommes témoins de l’âge d’or du centre d’achat à Hong Kong», affirme même Vincent Fok, professeur de marketing à la City University de Hong Kong.

«Nous sommes témoins de l’âge d’or du centre d’achat à Hong Kong.»

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Les raisons de cette victoire du centre commercial sont multiples. Par exemple, Amazon et les autres services de vente en ligne n’ont pas encore conquis le cœur des habitants de Hong Kong, qui préfèrent encore aller directement au centre d’achat.

Et la faune des centres d’achats n’est pas seulement hongkongaise. Un demi-million de Chinois continentaux traversent la frontière chaque jour et prennent d’assaut les centres d’achat de Hong Kong, des valises vides dans chaque main. Ils repartent le soir même avec des produits libres de taxe de vente et de taxe d’importation qu’ils revendent en Chine.

Acheter, tous les jours

Au-delà des Chinois qui voyagent en quête de bons deals, il reste que les Hongkongais aiment vraiment, vraiment beaucoup leurs centres d’achat et ils y passent beaucoup de temps.

«Non seulement les centres commerciaux offrent de grands espaces à air conditionné, mais ils nous conditionnent à dépenser.»

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Avoir des clients qui chillent littéralement à longueur de journée est tout à l’avantage des propriétaires de centres d’achat. «Non seulement les centres commerciaux offrent de grands espaces à air conditionné, mais ils nous conditionnent à dépenser», illustre Stefan Al, un architecte et urbaniste néerlandais qui a également été l’ un des membres fondateurs du Hong Kong Institute of Urban Design.

C’est une théorie qui a même un nom: l’effet Gruen, du nom de l’architecte commercial Victor Gruen, qui a inventé le centre d’achat moderne (rien que ça!). En gros, plus on passe de temps dans un centre d’achat, plus on a envie de consommer.

«Contrairement aux travailleurs en Amérique du Nord, la majorité des gens ici se rendent au travail en métro. Les Hongkongais doivent passer à travers un centre d’achat le matin en allant au boulot, puis le soir en revenant à la maison, explique Vincent Fok. Plus on est exposés aux vitrines, aux annonces de ventes ou juste à la simple facilité d’acheter quelque chose, plus on risque de surconsommer.»

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Des centres d’achat incontournables

Ça ne fait pourtant pas un pli aux habitants de Hong Kong, qui élèvent une vertu au-dessus de toutes les autres: la commodité.

«À la place d’imaginer le transport en commun, les centres d’achat et les immeubles comme des entités séparées, les Hongkongais les ont conçus comme un seul système interconnecté. Ça crée un niveau de commodité presque inégalé dans le monde», souligne Stefan Al.

C’est le cas de l’endroit où vit Michael. Tout ça est l’oeuvre du Mass Transit Railway (MTR), l’équivalent hongkongais de la STM, qui est aussi promoteur immobilier et… développeur de centres d’achat.

C’est un exercice rentable: la compagnie (dont le gouvernement a encore le contrôle majoritaire) a fait un profit de plus de 2,7 milliards de dollars canadiens en 2018. Le MTR est ainsi un des seuls systèmes de transport au monde qui soit profitable.

Le MTR profite de son monopole: la compagnie contrôle autant les déplacements des gens que ce qu’ils peuvent acheter dans les centres d’achat, et où ils vont vivre au-dessus des stations de métro. Développer des centres commerciaux sert un triple objectif: rendre les complexes d’habitation plus pratiques pour les résidents, densifier la ville… et faire du cash.

Photo : Alexis Boulianne

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C’est cette vision qui permet à Michael et des centaines de milliers d’autres de profiter de leur mode de vie pratique. Le centre d’achat où vit Michael est ainsi desservi par une station de métro et un débarcadère d’autobus, entièrement intégrés à l’architecture de l’immense complexe résidentiel et commercial.

La commodité extrême amenée par le modèle du MTR a complètement changé la vie de Michael. «C’est mon mouvement vers une vie plus simple. Vivre dans un centre d’achat m’a permis de perdre du poids et d’avoir un mode de vie plus sain, parce que je marche tout le temps. Je me sens moins stressé. J’ai tellement moins d’attaches, je me sens libre comme l’air», lance-t-il, avant de remonter en escalier roulant vers son septième ciel.