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Vive les mères qui font du MLM 

Arrêtez de juger les femmes qui entrent dans Herbalife.

Par
Gabrielle Tremblay-Baillargeon
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Il y a quelques mois, ma collègue Frédérique* a reçu une demande par message privé sur Instagram. « La fille s’est présentée en disant qu’elle aidait les mamans à prendre soin d’elles et à atteindre leurs objectifs physiques. Clairement, c’était une approche pour me vendre des programmes de remise en forme BODi. C’est très présent dans mon quartier, à Mirabel », raconte Frédérique, qui était alors en post-partum depuis quelques mois, et pas dans la meilleure des formes physique ni mentale.

Anciennement connue sous le nom de BeachBody, BODi se spécialise dans la vente de programmes d’entraînement et de suppléments nutritifs. À l’époque, l’entreprise américaine fonctionnait sous le modèle d’affaires de vente à paliers multiples, ou MLM (pour multi-level marketing) – un peu comme Arbonne ou Tupperware.

« C’est frustrant de voir qu’on m’approche pour me dire que je pourrais retrouver mon poids d’avant ou même obtenir le “corps de mes rêves”. C’était comme un couteau dans une plaie déjà ouverte », raconte Frédérique, qui mentionne recevoir des messages du genre environ une fois par an de gens hors de son cercle social – des propositions qu’elle n’a jamais acceptées, d’ailleurs.

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L’histoire de Frédérique confirmait exactement ma vision de la patente : les MLM, c’est une crosse qui capitalise sur les vulnérabilités des femmes, et particulièrement sur celles des mères. J’imaginais que les personnes qui rentraient dans la game des entreprises de vente à paliers multiples comme de pauvres victimes d’un système qui cherchait à leur soutirer le maximum d’argent possible en jouant sur leur naïveté, leurs insécurités et leur situation économique précaire.

Aucune chance, donc, que j’embarque là-dedans. Avec ma belle éducation universitaire et mes quelques notions de finances de base, on va se dire les vraies affaires : je me pensais meilleure qu’elles. Pire – je les prenais en pitié. Et comme Frédérique, je souhaitais me tenir le plus loin possible de cet univers que je considérais comme hautement toxique.

Une épicerie de plus par mois

La vente à paliers multiples, ou MLM, fonctionne selon un principe vieux comme le monde : le réseautage. Les produits ou les services sont vendus directement aux consommateur.rice.s à travers un réseau de distributeur.rice.s indépendant.e.s qui, eux.elles, font leur cash avec leurs profits, évidemment, mais aussi en récoltant la commission des ventes des autres membres de leur équipe… et des personnes que ceux.celles-ci auront recrutées à leur tour.

Si vous avez eu envie de crier « vente pyramidale » en lisant ces lignes, c’est normal.

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Oui, le concept de recruteur.euse.s qui enrôlent à leur tour est pyramidal, mais dans les entreprises de MLM, les revenus proviennent de la vente de produits, ce qui rend le modèle d’affaires totalement légal… même s’il peut paraître un peu louche aux yeux du public.

C’est d’ailleurs la première chose que j’ai dite à Karina, mon ancienne belle-sœur et mère de quatre enfants, quand elle m’a annoncé, en 2020, qu’elle rejoignait BODi : « C’est pas un peu pyramidal, ces affaires-là ? ». « Peut-être », m’avait-elle répondu, visiblement beaucoup moins inquiète que moi. Au cours des dernières années, Karina a rejoint non pas un, mais bien trois MLM. J’ai décidé de l’appeler pour discuter de son expérience, qui, vue d’assez proche, m’avait paru positive, mais drainante (et pas payante pantoute).

« Quand j’ai embarqué dans BODi, je venais de me séparer, j’avais 3 enfants et je n’avais pas le temps d’aller au gym. La formule de cours en ligne fonctionnait bien pour moi. J’ai décidé de devenir coach [distributrice] pour avoir un petit revenu supplémentaire », m’explique-t-elle. Et ce revenu-là, il était de combien? Karina me le dit d’emblée : financièrement, l’expérience n’a pas été rentable. « Les sous que je faisais, c’était pour acheter les suppléments, et parfois, ce n’était même pas assez », poursuit-elle.

« Les produits étaient bons, mais je ne voulais pas nécessairement les consommer tous les mois. Je me sentais obligée d’en acheter pour rester une coach active, et ça, ça m’agaçait un peu », avoue la maman dans la trentaine.

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Quelques mois plus tard, Karina quitte BODi pour Herbalife, un autre gros joueur du milieu des MLM qui offre des suppléments alimentaires, des substituts de repas et des produits énergétiques sous forme de poudres diverses. Elle se tourne ensuite vers Monat, qui propose des produits coiffants et des cosmétiques. Ce n’est que lors de ce troisième essai que l’expérience s’est avérée lucrative. Karina a tellement vendu pour Monat qu’elle s’est fait payer un voyage à Las Vegas par la compagnie. « Les MLM, c’est une manière accessible d’aller chercher un revenu supplémentaire sans devoir aller travailler à l’extérieur. Je pouvais faire de 400 à 500 $ par mois directement dans mes poches. Avec quatre enfants, c’est une épicerie de plus », calcule-t-elle.

En cette période d’inflation où un brocoli coûte 7 $, mettons qu’on comprend pourquoi les mères de famille ont les yeux qui brillent à la simple mention de « revenu supplémentaire ».

À la recherche du temps perdu

Je reviens à ma réflexion de départ : pourquoi ce sont majoritairement des femmes qui habitent en banlieue, et qui sont pas mal toutes mères, qui sont sollicitées par les entreprises de vente à paliers multiples? En 2023, selon un site spécialisé basé à Miami, les personnes inscrites comme distributeur.rice.s auprès de MLM étaient à 70 % des femmes, avec une moyenne d’âge de 29 ans. « Ça prend quelqu’un qui est assez autonome, qui possède une voiture, qui a assez de place chez elle pour entreposer du stock, qui connaît bien son quartier… Tous ces facteurs-là correspondent aux femmes qui restent à la maison avec leurs enfants », explique Sandrine Promtep, professeure au département de marketing de l’UQÀM.

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Le modèle d’affaires de la vente à paliers multiples a été popularisé dans les années 1950. Des compagnies comme Tupperware ou Avon, encore actives aujourd’hui, voyaient une opportunité d’affaires chez les femmes au foyer de la classe moyenne, qui avaient du temps (mais pas trop) à investir dans un side hustle et surtout, se cherchaient quelque chose à faire pour socialiser un peu en-dehors de leurs tâches domestiques.

Parce que c’est ça, l’affaire : l’autre truc qui attire les mères comme des aimants dans le monde des MLM, c’est la promesse d’une communauté soudée.

« Les gens qui sont attirés par ce modèle d’affaires ont souvent un besoin social d’appartenance », précise la professeure.

Jeanne, une maman d’une petite fille de 3 ans de mon entourage, s’est fait approcher par une distributrice BODi l’automne dernier. Elle s’est inscrite aux cours en ligne, mais a refusé de devenir elle-même coach. Jeanne me confie avoir été émerveillée par la communauté de mamans de BODi, qui participent ensemble à des entraînements de groupe et entretiennent des group chats animés sur leurs snacks protéinés favoris. « Tu ne te sens plus vraiment toi-même après un accouchement. Ton univers rapetisse. Je me suis dit que ça pourrait être le fun de côtoyer d’autres personnes qui ressentent et vivent les mêmes choses que moi », soutient-elle.

Mais accepter une job à temps partiel juste parce qu’on veut se faire des amies, ça fait son temps. Après quelques mois idylliques à tisser des liens avec une communauté remplie de femmes qu’elle adore, Karina s’essoufle.

« Ça devenait une deuxième job à temps plein. J’aurais probablement pu pousser pour réussir, mais à un moment donné, j’ai trouvé que c’était trop », concède-t-elle.

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Avec son emploi en ressources humaines et toute la charge mentale qui vient avec son rôle de mère de 4 enfants, Karina en a eu assez.

En lui parlant, je réalise une affaire : rentrer dans un MLM, dans le fond, c’est un peu comme devenir franchisé. Même si tout le monde connaît les Tim Hortons, pour que le tien marche, il faut quand même faire un effort. « Si c’était si facile que ça, tout le monde le ferait! Ça demande du travail et de la persévérance, comme dans n’importe quelle entreprise », explique Karina, qui mentionne ne pas être sortie amère de ses expériences.

Le top 25%

Sandrine Promtep me le confirme : « Pour réussir dans le milieu des MLM, il faut créer cette envie d’être comme l’autre. Ça prend des gens très connectés sur les réseaux sociaux, qui savent s’adresser à tous et faire beaucoup de mise en scène de soi et du produit, de sa vie, de son lifestyle. Ce n’est pas vrai que tout le monde peut le faire », affirme la prof de l’UQÀM. À ce sujet, il faut savoir que 75 % des distributeur.rice.s qui s’embarquent dans un MLM n’ont aucune expérience en vente.

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Tranquillement, je me mets à réfléchir. Si, pour avoir du succès en devenant distributrice de produits – que ce soit de plats de plastique, de shampoings ou de programmes de remise en forme –, ça prend des skills et de l’énergie. Alors, pourquoi juge-t-on les gens qui s’embarquent là-dedans?

J’habite à côté d’une grande artère commerciale. L’an dernier, il y a dû y avoir une bonne dizaine de commerces qui ont fermé et ouvert dans le quartier. Est-ce qu’on se moque des entrepreneurs qui se sont cassé les dents avec un énième projet de café, de bar sans alcool (OK, peut-être) ou de magasin de déco qui n’a pas fonctionné? Pas vraiment. Par contre, les femmes qui investissent dans les MLM et pour qui ça ne décolle pas, on les juge d’aplomb – moi la première.

Est-ce que c’est antiféministe ou même classiste de ma part de juger les mères qui vendent des suppléments alimentaires sur Instagram pour arrondir leurs fins de mois? Quand j’en parle à mon patron, le rédacteur en chef Hugo Meunier, il semble sceptique.

« Il me semble que ces filles-là se font exploiter. Je ne suis pas sûr de te suivre », me répond-il, visiblement confus.

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La perception qu’on a des MLM est tout de même basée sur des faits : la plupart des gens qui s’essaient à devenir distributeur.rice s’y cassent les dents. Environ le quart des gens qui investissent font du profit, alors que la moitié y perd de l’argent. Comme industrie, ça ne semble pas super rentable. Toutefois, ceux (et surtout celles) qui percent peuvent faire de gros salaires et transformer leur side hustle en gig à temps plein.

Il fallait que je parle à une maman qui avait réussi dans le domaine. Sur Instagram, plusieurs s’affichent comme « entrepreneures à succès », mais aucune ne me répond. Celles qui le font citent de mauvaises expériences avec les médias pour justifier leur refus de me parler. Un reportage de RAD diffusé l’année dernière a particulièrement heurté la communauté MLM, qui s’est sentie « moquée » et « dévalorisée », m’indiquent quelques sources. C’est sûr que quand tous les articles sur le sujet parlent de « piège financier » ou de « modèle d’affaires pyramidal », ça ne donne pas envie de répondre aux DMs des journalistes.

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Sarah va au gym

Un jour, ma collègue Sophie me parle de Sarah, une connaissance qui, à l’aube de ses 35 ans, a quitté une carrière de réalisatrice chez Radio-Canada pour se lancer à temps plein comme distributrice Herbalife. Sur son compte Instagram, @sarahvaaugym, elle publie des vidéos de ses entraînements, des trucs sur la perte de poids et la nutrition et, soyons honnête, plusieurs photos à saveur inspirationnelle qui mettent de l’avant son corps très en forme.

Sarah et son équipe vendent l’équivalent d’un million de dollars US par année. C’est du moins l’info qu’elle me partage. Elle fait partie du top 3 % mondial de vendeur.euse.s de l’entreprise, m’indique-t-elle également.

« Les pires mois, je fais environ 10 000 $ », m’annonce-t-elle sans gêne durant notre entrevue, qui se déroule sur Google Meet.

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Telle une recrue Herbalife qui commence au premier palier de ventes, arriver à mon entrevue avec Sarah m’a demandé de la persévérance. Sans la plogue de Sophie, je pense qu’elle aussi m’aurait laissée sur seen. Sarah m’en parle lors de notre première rencontre : elle est tannée de l’image que l’on donne de son domaine et croit que les médias traditionnels comprennent mal sa réalité. Après quelques discussions, elle accepte enfin de m’accorder une entrevue. Sarah m’accueille sur notre Google Meet avec un coton ouaté « #WEDOTransformations » et une immense gourde d’eau qui a l’air d’être remplie au minimum une fois l’heure.

Sarah n’est pas naïve. Elle comprend bien la game des MLM, qu’elle défend toutefois ardemment. « J’ai compris rapidement que c’était un jeu. Pour réussir, il faut avoir une grande équipe de distributeur.rice.s », m’explique-t-elle, confiante. « Ce n’est pas juste une affaire de ventes. Il faut avoir de bonnes compétences relationnelles. C’est du marketing relationnel, pas juste du marketing de réseau », poursuit-elle.

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Dire qu’Herbalife a changé sa vie serait un euphémisme. Après un burnout dans un emploi « de rêve » qui la rendait profondément malheureuse, elle se tourne vers l’entraînement pour reprendre confiance en elle et est rapidement repérée par, tiens, tiens, une distributrice Herbalife. Tranquillement, elle se met à distribuer leurs produits et à monter une équipe de vente. En quelques mois à peine, Sarah gagne assez d’argent pour accoter son ancien salaire et remet sa démission à son employeur.

Je vais être honnête avec vous : des filles comme Sarah, qui se mettent en scène en workout wear rose fluo pour nous inspirer à faire plus de squats, je les ai souvent jugées. À force de faire des recherches pour ce reportage, j’en ai croisé plus d’une sur les réseaux sociaux : le discours sur la meilleure digestion, la flexibilité d’horaire et le revenu supplémentaire qui mène à l’épanouissement personnel des mères en quête de leur meilleure version d’elles-mêmes dans leur belle maison de banlieue, je l’ai vu passer de toutes les manières possibles.

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Pourtant, je suis sortie de ma discussion avec Sarah franchement émue. Elle aussi a pleuré durant l’entrevue. C’est la première fois que ça m’arrivait – une chance que j’ai pas ma carte du FPJQ, parce qu’ils me l’enlèveraient drette là. « Avant, ma fille allait à l’école de 7h à 18h. L’an dernier, elle m’a dit qu’elle était contente que j’aie changé de carrière parce que ça nous permet de passer plus de temps ensemble. Je ne pensais pas qu’elle se souvenait de cette époque-là ou que ça la touchait à ce point-là », me confie Sarah (c’est là qu’elle a pleuré, et moi aussi).

Je n’avais pas l’impression de me faire vendre de la salade : je parlais à une mère qui, comme moi, voulait juste prioriser sa santé physique et mentale et le temps en famille plutôt que sa carrière.

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Moi-même, en entrant chez URBANIA, j’ai demandé d’avoir un horaire à temps partiel pour éviter de laisser ma fille à la garderie de 8h à 18h. Est-ce que c’était une idée financièrement intelligente? Peut-être pas, mais je comprenais Sarah. Une carrière dans les médias, c’est le fun, mais ça ne vaudra jamais le sacrifice du temps passé avec ma fille.

Je repense à Karina, mon ancienne belle-sœur, qui a pu payer les cours de cheerleading de ses enfants avec ses ventes de produits Monat. Est-ce que c’est moi qui me suis trompée? Est-ce que les MLM sont en fait un espace salvateur pour les mères du Québec, leur offrant l’esprit de communauté qu’elles désirent (et dont elles ont besoin), un petit revenu à investir dans le bien-être de leurs enfants et, pourquoi pas, la possibilité d’une vie meilleure? Il semblerait bien que ouiui.

Les cas comme celui de Sarah sont rares, mais en même temps, se pourrait-il que la plupart des femmes qui s’impliquent dans les MLM ne cherchent pas nécessairement à en faire une carrière? À mon sens, l’implication massive de mères dans ce modèle d’affaires est avant tout un symptôme de la conciliation travail-famille défaillante qu’offrent la plupart des entreprises occidentales. Un 40h par semaine au bureau, quand tu es monoparentale, ça ne fonctionne pas. En tout cas, pas pour moi, et pas pour Sarah.

J’avais pas mal de questions en suspens. Je me demandais aussi si je ne m’étais pas fait prendre au jeu de Sarah. Après tout, c’est quand même sa job de vendre son lifestyle. Est-ce que j’étais en train de me faire recruter?

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Vendre du rêve américain

Si j’ai eu de la difficulté à avoir une entrevue avec quelqu’un qui avait percé dans le milieu des MLM, je peux vous dire que quand je me suis mise à chercher des gens qui avaient plus de négatif que de positif à dire sur leur expérience avec le modèle d’affaires controversé, les options ont rapidement abondé. C’est tout juste si le monde n’attendait pas en file dans mes DMs pour chialer contre Younique, Monat ou Herbalife.

C’est vrai : un simple tour sur Reddit permet de se plonger dans le monde florissant des publications d’ex-recrues qui dénoncent les montants perdus après un essai auprès d’un MLM, la pression de vendre de leur recruteur.e ou qui citent les nombreuses études qui lient la consommation de produits Herbalife à des défaillances rénales. Oupelaïe.

« Il commençait à y avoir pas mal de vidéos contre Herbalife sur mon feed TikTok. J’avais peur de la perception du public et je me suis dit que je ne voulais pas m’investir dans quelque chose qui pourrait s’effondrer à tout moment », m’explique Karina, quand je lui demande pourquoi elle a finalement quitté la compagnie.

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Parmi les voix qui résonnent le plus fort contre les ravages des MLM, on note le groupe Facebook « Anti-MLM Québec », qui compte plus de 1 000 membres. « Je pense que c’est antiféministe de ne pas dénoncer les MLM. Il y a beaucoup de compagnies qui normalisent la culture de la diète. Il y a aussi pas mal de culpabilisation : on dit des trucs comme “si tu veux vraiment prendre soin de toi, tu vas le faire”. C’est de la bullshit », raconte l’administratrice du groupe, qui souhaite garder l’anonymat.

C’est exactement ce type de discours qui avait dérangé ma collègue Frédérique, et c’est peut-être ça qui me dérange aussi : cette idée que la réussite est à la portée de tous.tes, qu’elle soit en abdos ou en cagnottes de vente, à condition qu’on y mette assez d’efforts.

« Les membres se font vendre le rêve américain : n’importe qui peut réussir s’il travaille assez fort. À un moment donné, tu te rends compte que c’est un mensonge », mentionne celle qui dit avoir eu une expérience « ni positive, ni négative » avec un MLM durant environ un an avant d’ouvrir son groupe Facebook à saveur militante.

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On revient à ce que Sandrine Promtep, professeure à l’UQAM, me mentionnait plus tôt : des personnalités comme celle de Sarah, ça ne court pas les rues. « C’est ça qui est faux. Si elle est capable, c’est pas vrai que tout le monde est capable. Il y a un paquet de choses que toi t’as pas et que tu ne réussiras pas à mettre en œuvre pour réussir. Et c’est là que le bât blesse : les gens n’arrivent pas à voir cette petite différence-là », souligne-t-elle. L’experte ajoute que les personnes qui arrivent à se hisser au haut de la pyramide des MLM, particulièrement celles qui œuvrent dans des entreprises de bien-être, croient sincèrement qu’elles aident leur clientèle (et leurs équipes de vente) à améliorer leur qualité de vie. « [les gens au bas de la pyramide] vont travailler fort, mais ce n’est pas eux qui vont récolter les plus grands gains monétaires. Mais en attendant, ça leur fait un club social dont ils ont besoin. Enfin, pas juste un club social, aussi, une raison d’être sociale », souligne la professeure.

Et comme dans tous les milieux, des histoires problématiques, il y en a à la pelletée. Ce sont ces histoires-là que les médias traditionnels rapportent le plus : des situations où les distributrices ont ressenti de plus en plus de pression pour acheter plus d’inventaire à écouler et ont fini par s’endetter pour plaire à leur équipe – un peu comme ce que Karina a vécu avec BODi. « Au début, c’est le club, les copines, et après, ça devient des ennemies, des concurrentes. Le groupe social se retourne contre elles, ce qui peut être difficile psychologiquement », indique Sandrine Promtep.

Les boys de la crypto

En septembre dernier, Tupperware a annoncé entamer une procédure de faillite. Le mois suivant, BODi s’est désistée de son modèle d’affaires à paliers multiples pour se tourner vers un programme d’affiliation. Herbalife n’a pas donné suite à mes demandes d’entrevue. Le golden age des MLM ne semble pas nécessairement devant nous.

Je ne me doute pas que des filles comme Sarah, qui gagnent très bien leur vie en vendant des suppléments alimentaires à des gens qui ne savent pas trop par où commencer pour perdre du poids ou se remettre en forme, soient animées de bonnes intentions. Je ne doute pas, non plus, que le modèle d’affaires des MLM n’est pas le plus clean, et que certaines recruteuses soutirent de l’argent à des mamans pleines d’espoir qui ne recevront jamais leur retour sur investissement. Je ne pense pas, non plus, que les shakes miracles existent.

C’est sûr que le monde des MLM a son dark side. Je me suis plongée dans cette enquête exactement pour ça : dans le but de dénoncer les côtés sombres d’une industrie qui mine la confiance en soi des jeunes mères.

Ceci dit, après avoir passé des semaines dans l’univers des MLM, j’ai eu une réalisation qui s’apparente dangereusement à celle de Lindsay Lohan à la fin de Mean Girls (if you know, you know) : Sarah n’est pas une crosseuse qui exploite des trentenaires insécures. Karina n’est pas une coucoune parce qu’elle a essayé de combiner sa passion pour l’entraînement à un side hustle. Mais surtout, juger leurs choix de vie ne me rendra pas plus riche ni plus heureuse ni plus intelligente qu’elles.

Les MLM sont une manière légale de faire de l’argent (et d’en perdre). Est-ce que c’est le modèle d’affaires le plus éthique? Probablement pas. Mais est-ce qu’on juge davantage les femmes – et les mères – qui s’essaient aux MLM que les dudes sur TikTok qui s’immiscent dans la crypto ? Oui.

Pour moi, c’est surtout ça, le plus important à retenir. Tout le monde fait ses choix. Et souvent, quand on est mère, on fait des choix en fonction de nos enfants. Si ça implique de parier un petit 400 $ et de faire quelques publications Instagram dans l’espoir de recevoir plus en retour – de l’amitié, une meilleure estime de soi ou une épicerie –, ce n’est pas nécessairement un problème.

Tant qu’on sait dans quoi on s’embarque.

* (prénom fictif pour préserver l’anonymat)