Deux semaines se sont maintenant écoulées depuis la fin des cours et « amer » serait un mot bien trop mélioratif pour caractériser le goût que j’ai toujours dans la bouche.
Ai-je vécu des tensions à distance avec mes enseignants? Au contraire, leur assiduité au travail et leur volonté de donner de leur temps ont été tout à fait exceptionnelles en ces temps incertains. Ai-je eu un malentendu avec l’établissement collégial dans lequel j’étudie? Loin de là, il s’est très souvent tourné vers les besoins des étudiants. Ai-je été bloqué par l’effrayant mur de stress dont on fait si souvent mention dans les médias? Bien au contraire, je me considère chanceux parmi mes collègues cégépiens d’être épargné (en partie) de cette constante peur de l’échec.
Ce qui vient me troubler va au-delà des simples évaluations, des notes et des rencontres virtuelles, c’est tout ce système dit « traditionnel », « classique » si vous préférez, qui me laisse des plus déconcertés.
Deux problèmes majeurs émanent de l’enseignement traditionnel : la crise de l’intégrité et l’abandon de l’engagement.
D’abord, par « traditionnel » j’entends cette méthode pédagogique qui est utilisée depuis des décennies, dans laquelle il est demandé à un étudiant de se taire, de prendre en notes ce que l’enseignant dicte et de répondre par la suite à une panoplie de questions très souvent non mémorables.
Dans le cas des cégeps, « lieux où sont formés les citoyens engagés de demain », cette méthode très peu poussée est devenue une véritable norme, si bien qu’aujourd’hui rares sont les cours où elle n’est pas pratiquée.
Certains d’entre vous doivent évidemment se questionner à savoir quel mal je vois dans cette pédagogie. Après tout, elle est utilisée depuis la création des cégeps, voire au-delà, dans d’autres institutions. Certes, même si elle a persisté avec le temps, « durée » ne rime pas toujours avec « qualité ».
Étant présentement étudiant au niveau collégial, je remarque que deux problèmes majeurs émanent de l’enseignement traditionnel : la crise de l’intégrité et l’abandon de l’engagement.
La crise de l’intégrité
Il y a quelques semaines, plusieurs quotidiens faisaient part de la prolifération des cas de tricherie dans les cégeps. Au moment de ces publications et sans le moindre de mes étonnements, plusieurs se sont mis à pointer du doigt la pandémie et les cours en ligne (aujourd’hui presque devenu une activité).
Pourtant, le plagiat n’est pas propre à la pandémie mondiale. Il est plutôt la conséquence d’un tout autre phénomène bien plus ancien et toujours grandissant : l’anxiété de performance. Si des étudiants se partagent des travaux entiers pour obtenir en gain 0,5 point, ce n’est certainement pas pour le plaisir, mais plutôt pour répondre à une pression provoquée par l’enseignement traditionnel.
Si des étudiants se partagent des travaux entiers pour obtenir en gain 0,5 point, ce n’est certainement pas pour le plaisir, mais plutôt pour répondre à une pression provoquée par l’enseignement traditionnel.
La procédure pour étudier et réussir est simple ; des consignes sont remises, un travail est produit, puis on rentre dans une attente interminable et suffocante sans savoir si notre travail a de la valeur, si nous avons de la valeur. Dans un lieu qui se veut celui du partage de la connaissance et de l’épanouissement personnel et professionnel, estamper un chiffre sur chaque étudiant reste une activité de prédilection.
Parlant de ces chiffres, voire de la cote R pour tous ceux qui désirent élargir le débat, les cégépiens en sont devenus obsédés. Ce n’est plus une question d’élargir ces connaissances, c’est une recherche continuelle de notes. La situation est grave, pourtant lorsque j’en fais mention à des proches, on vient me répondre que de toute façon les personnes ayant triché pour obtenir des notes « dites bonnes » se débrouilleront très mal dans leur futur emploi. Là ne réside toutefois pas l’enjeu. Si des étudiants plagient, c’est bien qu’ils jugent cela acceptable et juste.
Vous pouvez donc certainement croire que dès le moment où nous sommes en leur compagnie dans un cours, l’ambiance n’est pas du tout toxique!
L’abandon de l’engagement
L’enseignement traditionnel répond à un objectif précis : former des étudiants pour une éventuelle carrière professionnelle. Néanmoins, un point tout aussi important a été laissé à l’abandon : former des citoyens engagés.
Si des cégépiens ont le désir de s’impliquer dans la vie étudiante de leur lieu d’apprentissage ou à l’extérieur dans leur communauté, le temps, la charge de travail et la non-reconnaissance de cette implication sont d’imposants obstacles.
Être bénévole, s’associer à la vie politique de son quartier ou encore participer au système de santé (surtout en temps de pandémie) ne vaut rien en comparaison à un magnifique 95%. Une fois de plus, c’est la primauté des notes qui domine!
Participer à la vie étudiante et communautaire n’est plus autant en vogue que la performance académique.
Lorsqu’un étudiant pénètre dans un cours au cégep, il est conscient que tout ce qu’il réalise en dehors de cette classe n’existe plus et que tout ce qui lui est demandé est de se taire, d’écouter et de performer. Sans surprise, participer à la vie étudiante et communautaire n’est plus autant en vogue que la performance académique.
Certains s’opposeront peut-être à cette vision pessimiste de la situation. Il en reste qu’avec la présente pandémie, une opportunité historique s’offre aux cégeps, celle de les repenser. Avec des cours en partie ou en totalité en ligne, nombreux sont les étudiants et les enseignants qui n’ont plus du tout la même vision de ces lieux.
Qu’est-ce qui nous empêcherait alors de les réformer et dans un futur quelque peu lointain, laisser place à un enseignement « engagé »?