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Vendre mon condo pour faire une passe de cash: une bonne idée?
Chère Madame Bidou,
Depuis le mois de mai, j’ai plusieurs amis qui ont vendu leur condo en faisant 25 000$, 50 000$ et même 100 000$ de profit. Le marché immobilier est en feu! Disons que je vends mon condo de Montréal avec un profit de 75 000$, je pourrais tout réinjecter dans le cash down d’une maison sur la Rive-Sud et payer environ la même hypothèque que je paie en ce moment.
J’en ai parlé avec mon chum et il m’a parlé d’histoire d’offres multiples sur des maisons en banlieue de Montréal. Il m’a aussi dit qu’il y a un exode de jeunes familles montréalaises qui cherchent des maisons. Bref, lui aussi voudrait faire la passe de cash, mais il a peur qu’on ne trouve pas de maison et qu’on se retrouve coincés,
Pour 75 000$, ça vaut la peine d’essayer…? Qui risque rien n’a rien, non?
Une Montréalaise qui veut vivre en banlieue
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Chère Montréalaise qui veut vivre en banlieue,
Je sais très bien de quoi vous parlez!
OH… QUE… OUI!
J’ai vendu mon condo à Verdun et j’ai ensuite acheté une maison à Beloeil pour établir ma jeune famille (Charlotte a deux mois).
Est-ce que j’ai fait du cash?
Un paquet!
Est-ce que votre copain a raison d’avoir peur (ou du moins, de ne pas partager autant votre enthousiasme)?
Tout à fait!
Laissez-moi vous raconter mon histoire en trois chapitres.
Chapitre 1 – Vendre pour faire le motton
Pour une multitude de facteurs (la baisse des taux d’intérêt, l’embourgeoisement des quartiers ouvriers, le faible nombre de propriétés à vendre), les prix de vente sur l’île de Montréal ont augmenté de façon phénoménale. Le pourcentage exact n’est pas important, mais les histoires que vous entendez de vos amis sont loin d’être exagérées. Moi-même, j’ai fait un profit de plus de 50 000$ avec un condo que je possède depuis même pas deux ans.
À moins de fonder le deuxième Facebook, il n’y a pas une tonne de façons de faire le motton en si peu de temps.
Comme moi, vous allez sûrement vous sentir comme la smartest person in the room. Ça vous appartient, profitez-en.
Et le plus beau dans tout ça: c’est que la vente de votre propriété sera facile!
Bon, c’est jamais facile facile, une transaction immobilière, mais dans le contexte actuel, ça va se vendre rapidement et à fort prix.
Mais c’est là que la promenade dans le parc se termine et que vous entrez dans la Traversée du Désert, à la quête de la légende de la maison perdue.
Ça sonne intense… mais les mots ne sont même pas assez forts pour décrire à quel point votre force mentale de Jedi sera testée.
Chapitre 2 – À la recherche de la Maison Perdue
Partez la toune d’Indiana Jones, ça commence.
Pendant le chapitre 1, votre courtier immobilier (ou votre coach) vous a sûrement appris que, pour espérer avoir une chance d’être considéré comme acheteur pour votre maison de rêve, vous n’aurez pas le choix d’avoir déjà vendu votre propriété.
C’est un phénomène qui existe déjà à Montréal depuis quelques années, mais qui vient de contaminer la grande région métropolitaine de Montréal.
Le premier signe du désert.
Ça signifie deux choses: soit que vous vendez et achetez simultanément (quasiment impossible), soit que vous vendez et vous vous logez quelque part entre les deux transactions.
Vous pourriez louer un appartement ou une maison… mais les logements sont aussi rares que d’la marde pape et les prix sont aussi élevés qu’une hypothèque.
Vous avez aussi l’option de vivre chez vos parents, vos beaux-parents ou vos meilleurs amis.
Mais encore une fois, votre courtier immobilier vous a sûrement appris que les maisons en banlieue se vendent en deux jours, qu’il peut y avoir jusqu’à 15 acheteurs sur une même maison et qu’il y a moins de propriétés qu’à l’habitude sur le marché. Bref, trouver votre maison risque de prendre plusieurs mois (ça nous a pris cinq mois).
Vous risquez donc d’habiter chez vos parents pendant plus longtemps que vous auriez prévu.
Le deuxième signe du désert.
Sans compter qu’au lieu de gérer un déménagement, vous allez en gérer deux.
Mais bon, vous êtes courageuse et vous continuez. Vous consultez des sites comme Centris et Du Proprio. Après avoir consulté la fiche de 10 maisons figées dans les années 70 et dont les propriétaires ont autant de goût pour la décoration qu’un castor pour son barrage, vous trouvez la maison WOW.
La maison WOW, c’est celle qui est aussi belle que dans les émissions de décoration. Celle dans laquelle vous vous projetez déjà à recevoir pour Noël et à parler de sujets bobo comme la nouvelle bière à saveur d’eucalyptus de l’Himalaya vieillie dans une barrique de Seven-Up de Fermont.
Vous regardiez probablement la fiche de la maison assise sur la bol pendant trop longtemps (quand les jambes deviennent engourdies et le siège de toilette est tatoué sur vos cuisses). Vous vous dépêchez à la sharer à votre chum, à vos parents et à votre univers Messenger. Vous textez votre courtier immobilier à l’instant pour recevoir la déclaration du vendeur pour connaître l’historique de la maison, ses défauts et ses rénovations.
Votre courtier est super bon (si vous êtes chanceuse) et vous recevez le document 15 minutes plus tard. Vous le consultez. Tout est beau. OK bébé, on est prêt à la visiter demain matin 7h00 s’il le faut!
Dix minutes après, votre courtier vous revient. Il y a déjà cinq offres sur la maison (fait réel). Mais c’est impossible, la maison vient d’être affichée. Voilà: vous étiez six personnes assises sur la bol en même temps pour trouver la maison de vos rêves.
Vous étiez juste trop lente pour la game.
Le troisième signe du désert.
Pas le choix: vous commencez à baisser vos critères. Ce n’est plus grave si la salle de bain n’est plus au goût du jour ni si la cour est petite. Tout d’un coup, ce n’est pas si laid que ça, de la parqueterie. Comme vous l’a sûrement dit votre beau-père: «T’as juste à sabler ça, pis ça va être aussi beau qu’au début». Ouin…
Maintenant, vous trouvez davantage de maisons et vous réussissez même à obtenir des visites. Vous vous rendez compte que les maisons sont plus laides en personne que sur les photos. Et au bout du compte, le voisin, c’est à peine s’il ne dort pas dans le même lit que vous. Il a même choisi son bord de lit!
Vous vous dites que ce n’est pas grave. C’est proche du train de banlieue et de la parqueterie, ça se sable.
Vous faites votre offre d’achat (avec surenchère de 30 000$ sur le prix de vente, bien sûr). Même si vous êtes en train de passer une bonne partie de votre profit en surenchère, vous ne lâchez pas le morceau. Vous la voulez, la maison.
Contre toute attente, vous êtes la première offre (allez vous acheter un billet de loto tout de suite).
Enfin!
Après avoir fait l’inspection (on vous souhaite que ça se passe bien), vous mettez une condition d’obtention de financement de 10 jours. Mais les banques sont débordées et vous obtenez votre acceptation à minuit moins une même si vous aviez déjà une préapprobation hypothécaire. À plusieurs reprises, le courtier hypothécaire des vendeurs vous rappelait que si le délai n’était pas respecté, il y a 10 acheteurs en file qui attendent.
Le quatrième signe du désert.
Mais vous êtes chanceuse, vous passez à la banque, et vous signez chez le notaire dans les délais (allez acheter un deuxième billet de loto).
Enfin à destination!
Faux. Ce n’est qu’un mirage.
Chapitre 3 – Les Blues de la Pénurie
Comme vous l’avez répété à la blague à plusieurs reprises dans vos soupers de famille: «La maison n’est pas laide, elle a juste besoin de beaucoup d’amour».
Rires de souper de famille.
Vous vous inspirez des centaines d’émissions de rénovation que vous avez écoutées pour mettre votre nouvelle maison à jour.
Mais lorsqu’arrive le temps d’emménager, vous découvrez les Blues de la P énurie de la COVID-19. Ça va comme suit:
– Les entrepreneurs en construction sont relativement disponibles, mais il n’y a presque plus de matériel (comme le fameux deux par quatte) et tout coûte cinq fois plus cher. Minimum.
– Les plombiers, les électriciens, les peintres, les sableurs de parqueterie, les installateurs de portes et fenêtres et les paysagistes ne sont pas disponibles avant fin novembre. Ceux qui sont disponibles, c’est à se demander pourquoi.
– Presque tous les meubles IKEA qui fittent sont en pénurie, from coast to coast. Ce qui reste mérite de rester sur les étagères. Même Amazon est en pénurie. Magasinez local, c’est le temps!
– La plupart des électroménagers ne sont pas disponibles avant novembre, voire décembre 2020 dans certains cas. Ceux qui restent vont sûrement bien fitter avec votre parqueterie.
Bref, votre maison qui a besoin d’amour, vous allez peut-être la tromper en regardant des photos de votre ex, votre beau condo vendu.
Le cinquième signe du désert.
Et tout ça, sans parler du stress intense que vous allez vivre pendant deux à cinq mois. C’est rien dans une vie, mais pendant que vous allez le vivre, ça va paraître comme l’éternité. C’est long ça.
Épilogue
Est-ce que je suis en train de vous dire de ne pas vous jeter dans l’aventure? Pas du tout.
Je tiens seulement à vous apprendre qu’après la promenade dans le parc de la vente, il vous reste une bonne grosse traversée du désert et c’est jamais clair où est la fin.
Si vous pensez toujours que c’est une bonne idée, pensez aux points suivants:
– À quel endroit vous allez habiter entre la vente et l’achat? Chez vos parents? Chez vos amis? Pendant combien de temps?
– C’est quoi votre vrai de vrai budget maximal à ne pas dépasser? Et n’oubliez pas, votre prêt hypothécaire de cinq ans à 1,79% (si ce n’est pas plus bas), vous allez devoir le refinancer dans cinq ans. Est-ce que vous avez calculé si vous pouvez vous permettre une hausse de votre taux d’intérêt dans cinq ans?
– Qu’allez-vous faire si la deuxième vague est plus longue que prévu?
– Avez-vous assez d’argent de côté si vous perdez votre emploi pendant la deuxième vague?
– Avez-vous un ami entrepreneur général qui peut vous aider pour prendre une décision éclairée si vous achetez une maison qui manque d’amour?
– Si vous n’avez jamais fait de rénovation, je vous le dis: vous surestimez vos capacités et sous-estimez la difficulté de mener à terme les projets. Non, vous n’êtes pas spécial et non, vous n’êtes pas meilleur que les autres.
– Si vous êtes en couple, est-ce que vous communiquez bien ensemble? Même en grande période de stress? Avez-vous déjà vécu un grand moment de stress? Si oui, prenez quelques secondes pour le revivre pour qu’il soit bien frais dans votre mémoire.
Vendre son condo pour faire une passe de cash durant la pandémie, ça vous appartient. Même si l’argent n’achète pas le bonheur, avoir un motton, ça rend certains aspects de votre vie plus facile. Je le sais, parce que je l’ai fait et je ne le regrette pas (mais je tiens à préciser que j’ai vendu avant tout pour agrandir notre famille et que la décision a été prise avant la pandémie).
Mais au-delà du cash et de la bonne affaire immobilière, il y a un fort prix émotionnel à payer qui est unique à la période que l’on vit en ce moment (et dont la fin n’est pas si proche que ça).
Est-ce trop cher payé pour vous?