« C’est quand on commence à croiser des coureurs que l’on sait qu’on approche d’Iten », déclare Bernard en faisant retentir le klaxon de son matatu pour saluer un ami.
Tout spectateur qui a eu la chance d’assister à un marathon de renommée a sans doute été émerveillé par la grâce déconcertante avec laquelle les coureurs d’Afrique de l’Est semblent littéralement survoler la chaussée.
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Pour de nombreux enthousiastes de la course, l’idée de s’entraîner au Kenya demeure toutefois un scénario imprécis, presque inaccessible, une destination exotique enveloppée de mystère. En dépit de sa notoriété mondiale en tant que terre de safaris, le pays propose une expérience d’entraînement en altitude véritablement unique que tout athlète, qu’il soit novice ou professionnel, devrait avoir la chance de découvrir au moins une fois dans sa vie.
Si vous envisagez un jour de visiter Iten, véritable sanctuaire de la course, voici un bref guide pratique, car il faut l’admettre; peu d’informations préparatoires à ce voyage singulier sont disponibles. Vous y trouverez des conseils d’entraînement ainsi qu’une foule d’informations pour bien préparer sa valise et vous adapter plus facilement au dépaysement.
Alerte spoilers.
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L’arrivée
Commençons par aborder la logistique du transport, qui, bien que simple, nécessite quand même de la patience. Tout d’abord, il faut prévoir environ 14 heures de voyage entre New York et Nairobi, la capitale. Ensuite, il vous faudra effectuer un trajet jusqu’à Eldoret, soit 1 heure de vol ou 7 heures de route, suivi d’une courte heure de matatu pour enfin atteindre Iten.
Une fois sur place, vous serez accueilli par le personnel de votre camp d’entraînement. Il est possible de séjourner dans une maison d’hôtes, mais opter pour une formule tout compris peut considérablement simplifier votre expérience initiatique.
Le High Altitude Training Centre, à titre d’exemple, offre un forfait tout inclus comprenant le transport depuis l’aéroport, trois repas par jour, l’accès à une piscine, un sauna, un gym, un lounge invitant, ainsi que des services de massage, de pacing et de lessive.
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7 jours de douleur
Une fois arrivée, il faut savoir que l’entraînement à Iten suit une routine bien établie. La vie des athlètes y est organisée selon un calendrier spécifique divisé en sept jours, permettant de diversifier les types d’entraînements et d’éviter une fatigue excessive.
Iten propose indirectement une sorte de check-list de ses attractions de course les plus emblématiques, un parcours d’entraînement qu’il est possible de compléter en quelques semaines. Bien sûr, vous avez la possibilité de suivre votre propre programme, avec ses distances et ses nuances, mais pour vivre pleinement l’expérience, la plupart des stagiaires se collent à un cycle relativement uniforme.
Attachez vos running bien serrés. *Bruit de faux gun*
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Le lundi, vous pouvez anticiper une sortie tranquille (easy run) sur les chemins de campagne, mais son nom est trompeur, car rien n’est facile à Iten en raison de sa topographie vallonnée.
Au début de votre séjour, vous ressentirez pleinement l’effet de l’altitude. À 2 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, le manque d’oxygène influencera votre capacité aérobique et vous constaterez une accumulation plus rapide de lactate dans vos muscles. Ça va être pénible, très pénible même, mais gratifiant.
Le mardi est réservé aux intervalles sur piste, une composante essentielle de l’entraînement à Iten. À deux kilomètres de la ville se trouve le célèbre anneau du stade Kamariny, une piste en sable rouge qui propose une atmosphère vraiment magique. Bien que la piste ait été laissée à l’abandon depuis sa rénovation avortée en 2017, sa réputation transcende ses vestiges.
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Vous avez également la possibilité de vous rendre à Eldoret pour fouler l’anneau Annex, un lieu hautement compétitif, tout comme le fameux Kipchoge Stadium, qui a récemment rouvert ses portes aux athlètes.
Si vous n’avez pas l’intention de vous lancer à un rythme très rapide (en dessous de 3:30 par kilomètre), il est recommandé de commencer votre séance après 9h, car les coureurs plus expérimentés auront généralement terminé leur entraînement à ce moment-là. Rien ne vous empêche cependant d’arriver plus tôt pour profiter du spectacle des fusées en action.
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Le mercredi, attendez-vous à une séance d’entraînement à allure progressive sur chemins de terre. Cette séance implique une série de 15 minutes à différents rythmes : facile – moyen – dur – facile – moyen, pour une durée totale d’une heure et quart en enfer.
Jeudi, vous serez initié au fameux fartlek d’Iten. Ne vous inquiétez pas, il est divisé en deux groupes, respectant principalement le schéma 20 X 1/1 (1 minute rapide, 1 minute de repos). Le premier groupe maintient une allure d’environ 3:00 par kilomètre, tandis que le second groupe vise environ 4:00 le kilomètre. C’est rapide, mais c’est le Kenya.
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Pour participer à cette mythique séance d’exercice, vous avez deux options : le fartlek « Boston » qui, comme son nom l’indique, comporte de nombreuses côtes; et le fartlek « Tyre Mbili », qui inclut également beaucoup de montées. Bienvenue à Iten.
Les deux parcours commencent aux extrémités opposées du village et vous emmènent à travers un paysage pittoresque qui frôle l’irréel avec ses vendeurs de bois et ses huttes traditionnelles. C’est un incontournable pour une expérience aussi difficile que totalement dépaysante. Les chauffeurs de boda-boda connaissent le chemin, sinon vous pouvez simplement vous greffer aux pelotons de coureurs en échauffement.
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Le vendredi, il est recommandé de faire un easy run de 8 à 12 kilomètres pour vous dégourdir les jambes après la séance de vitesse de la veille et en amont de la séance de volume du lendemain.
Le samedi est consacré à la course longue sur la célèbre Moiben Road, reconnue comme la seule route plate de la région. Avant même que le soleil ne se lève, les matatus suivent de près les groupes de coureurs sur environ 25 kilomètres. Vous aurez peut-être la chance d’apercevoir une girafe se réveillant.
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Si le volume n’est pas votre tasse de thé, vous pouvez opter pour une course technique dans la forêt Sing’ore, caractérisée par ses pentes raides et ses sentiers accidentés, ou bien faire des sprints en côte sur la montée de votre choix. Cette journée est considérée par plusieurs comme la plus difficile de la semaine, car elle marque la fin de votre entraînement intensif… jusqu’à lundi.
Dimanche est le jour de l’église et d’une récupération bien méritée. C’est une journée « Pole-Pole », synonyme de repos et de chilling en swahilli. Vous pouvez opter pour faire la grasse matinée, recevoir un massage, vous détendre à la piscine ou profiter de la beauté naturelle d’Iten. C’est le moment de laisser vos muscles relaxer et vous préparer mentalement pour une nouvelle semaine intense.
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Conseils sport pour votre première venue
La haute saison touristique à Iten s’étend de novembre à avril, ce qui coïncide avec la période hivernale des circuits professionnels de course à pied. C’est pendant cette fenêtre que de nombreux athlètes kenyans sont de retour et se concentrent sur leur conditionnement. De plus, c’est la saison sèche, donc les précipitations se font rares et n’interfèrent pas avec la course.
Une préparation physique sérieuse avant votre voyage est fortement recommandée. Le niveau d’entraînement y étant exigeant, il sera bénéfique d’arriver minimalement préparé pour vous adapter plus facilement au climat et au rythme d’entraînement. Intégrer des séances en côte dans votre programme à domicile peut également renforcer votre résistance physique et mentale pour faire face aux nombreuses montées à Iten.
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Au début du séjour, votre rythme cardiaque s’emballera, la moindre petite colline deviendra l’Everest et vous perdrez une minute du kilomètre par rapport à vos chronos habituels. C’est tout à fait normal compte tenu de l’altitude et du dénivelé. Lors de vos premières sorties, il est donc nécessaire de laisser votre ego de côté. L’adaptation est difficile. En fait, rien n’est facile à Iten, même à la fin. C’est justement pour cela que la crème de la crème choisit de s’entraîner ici.
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En l’espace de 4 à 7 jours, vous commencerez à ressentir une amélioration progressive de votre capacité pulmonaire. Enfin, le vrai plaisir peut commencer.
À haute altitude, il n’est pas recommandé d’enchaîner trop vite deux ou trois journées consécutives d’entraînement très intensif. Malgré l’excitation et la volonté de se dépasser, cette pratique peut rapidement entraîner des blessures ou un sentiment d’épuisement, phénomènes assez courants chez les stagiaires.
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Ne soyez pas découragé chaque fois qu’un athlète kényan vous dépassera; cela arrivera plus souvent que l’inverse.
Pour les marathoniens en préparation dont le conditionnement nécessite du volume, planifiez votre deuxième sortie à l’heure dorée, c’est-à-dire de 17h à 18h30, lorsque la lumière est magnifique et la température plus douce.
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Si vous êtes en excellente condition physique, vous pouvez envisager de participer à une course dans la région. L’inscription est peu coûteuse et c’est une excellente opportunité d’apprentissage en vous mesurant aux meilleurs coureurs du monde. La vallée du Grand Rift offre de nombreux événements, il vous suffit de surveiller les affiches sur les murs d’Iten ou de demander aux coureurs locaux pour connaître les prochaines dates.
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Pour ceux et celles qui souhaitent concrétiser les avantages de leur entraînement, comme l’augmentation de la production de globules rouges (qui apporte une meilleure utilisation de l’oxygène) ou l’affinement de la masse grasse, il est possible – comme le font de nombreux stagiaires – d’opter pour un vol vers le lieu de sa course directement à la fin du séjour. Généralement, les avantages aérobiques demeurent présents dans le système pour quelques semaines au maximum.
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Dans la valise
Lorsque vous épluchez votre garde-robe pour la Maison des Champions, nul besoin de choisir ses habits de soirée. L’essentiel est surtout d’avoir des vêtements polyvalents pour vos séances d’entraînement.
N’oubliez pas d’apporter un manteau léger et de la crème solaire. Cette dernière y est assez rare et très chère. L’altitude combinée à la latitude équatoriale signifient des départs matinaux encore frais, suivis d’après-midis chauds, et ce, toute l’année.
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Évitez les bas blancs si vous ne voulez pas que la poussière rouge de l’arrière-pays les tatouent à jamais.
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Lors de vos sorties à Iten, vous êtes libre de vous habiller comme bon vous semble. Cependant, il est bon de noter qu’à l’exception des séances de vitesse, la mode kényane tend vers des vêtements plus longs. De plus, il est rare de voir des coureurs porter des lunettes de soleil ou des écouteurs. Pour ceux qui préfèrent suivre les coutumes locales!
L’uniforme vert et rouge de l’équipe nationale kényane est un objet de convoitise très recherché des coureurs étrangers. Il est fortement conseillé de négocier avec fermeté le premier prix demandé en boutique.
Il est également assez commun d’apporter des dons pour soutenir la communauté locale lors de votre visite. Des fournitures scolaires ou des offrandes de départ, comme des chaussures et des vêtements de sport, peuvent réellement avoir un impact positif sur la vie des athlètes locaux et des habitants. C’est une belle manière de contribuer à la communauté qui ouvre ses portes aux coureurs du monde entier.
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Dans la bouche
La cuisine kényane est délicieuse, accessible et très légère. Parmi les classiques figurent l’ugali, une farine de maïs bouillie, et le chapati, un pain non levé. Tout ce que vous mangerez est frais et directement issu de la production locale. Les légumes tels que le kale, les épinards, le chou et les fruits font partie intégrante du menu quotidien. Vous n’avez donc plus vraiment besoin de surveiller votre apport calorique.
Même si le marché est ouvert tous les jours, je vous recommande particulièrement de le visiter le samedi après-midi, car il est généralement bondé jusqu’à la tombée de la nuit. Vous pourrez y dénicher des fruits de grande qualité à des tarifs très abordables.
Si les Kalendjins ne sont pas de grands buveurs de café, vous pourrez néanmoins assouvir votre addiction au View Point Cafe. Une expérience d’autant plus agréable une fois installé sur la terrasse offrant une vue panoramique à couper le souffle sur la vallée du Kerio.
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La boutique de suppléments alimentaires la plus proche se trouve à Eldoret, à environ une heure de route d’Iten. L’éventail des produits y est limité et coûte une petite fortune. Si vous ne pouvez pas vous passer de gels énergétiques ou de protéines en poudre, il est recommandé de les emporter dans vos bagages.
Il peut être sage d’inclure dans votre valise des médicaments contre le « mal des montagnes ». Les premières nuits passées à haute altitude, en association avec le décalage horaire, peuvent être éprouvantes, avec des symptômes inconfortables tels que nausée et maux de tête tenaces. Avoir des médicaments à portée de main, même juste de l’ibuprofène, peut être rassurant.
L’ajout à sa diète de « triple magnésium » est également recommandé pour améliorer la qualité du sommeil, l’aidant à se faire plus réparateur. L’altitude peut avoir un impact significatif sur la qualité des nuits alors qu’il est essentiel d’obtenir un bon repos pendant votre séjour d’entraînement.
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Au quotidien
La vie à Iten suit un rythme assez monastique, avec un réveil aux alentours de 6h et des lumières éteintes généralement vers 21h. De plus, la rareté des réfrigérateurs signifie que vous ne trouverez pas de bière fraîche ni de grandes chaînes de restauration rapide pour satisfaire vos envies gourmandes. Les rumeurs parlent toutefois d’un PFK à Eldoret.
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L’hospitalité des Kényans est véritablement remarquable. Elle se manifeste naturellement et sans effort. Saluer les personnes que l’on croise est une marque de respect importante dans cette culture. En langue kalendjin, vous pouvez dire « Yamunei » ou simplement « Hi » en levant une ou deux mains pour saluer et vous recevrez toujours une réponse chaleureuse, si ce n’est pas déjà eux qui ont initié l’échange.
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N’ayez pas peur de sortir des murs de votre camp. L’interaction avec les locaux conduit souvent à de belles rencontres. La sécurité n’est pas un enjeu à Iten et la grande majorité de ses habitants parle couramment l’anglais, ce qui facilite grandement les discussions.
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Pour un voyage au Kenya, voici quelques recommandations fort pratiques à savoir :
Un visa de séjour est nécessaire. Son coût est de 70 $, il est délivré rapidement et valable pendant trois mois à compter de sa date d’émission.
Prévoyez un adaptateur de type G pour vos appareils électroniques.
Il est recommandé de se faire vacciner contre la fièvre jaune.
En ce qui concerne les communications, le Wi-Fi tend à être instable. Dans ces conditions, il peut être utile d’envisager l’utilisation d’une carte eSIM, car certains opérateurs de téléphonie mobile demandent un passeport kényan pour l’achat d’une carte SIM.
WhatsApp est l’application la plus populaire au Kenya et est fortement recommandée pour maintenir le contact pendant votre séjour.
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En somme, Iten offre une expérience d’entraînement unique et enrichissante pour tous les coureurs qui osent s’y frotter. Ce modeste guide d’introduction vise simplement à vous donner un aperçu des défis et des merveilles qui vous attendent. Au-delà des pistes de course, c’est une aventure décoiffante dans un pays absolument extraordinaire.
Karibu! (Bienvenue!)
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Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.