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Une saison difficile pour la pêche blanche au Saguenay
Lorsque le Fjord du Saguenay gèle, de véritables villages de pêcheurs se forment. Mais cette année, les glaces sont trop minces et les passionnés ont dû revoir leurs habitudes.
Cinq trous sont creusés dans la glace, devant lesquels des cannes à pêche sont posées sur des supports. Un enfant en agite une, puis court vers un autre trou. « Mamie, je n’ai plus d’appât! », crie-t-il en inspectant le bout de sa ligne. Non loin, Marlène Gagnon rit et lui propose de la rejoindre. « Mon père m’a transmis cette passion. Dans les années 70-80, il louait des cabanes de pêche sur le Fjord du Saguenay. Aujourd’hui, j’initie mon petit-fils, mais je vois bien que les glaces changent », glisse-t-elle.
La pêche blanche « tatouée sur le cœur »
Cette année, les traditionnels villages de pêche blanche de Grande Baie et de l’Anse-à-Benjamin, à La Baie au Saguenay-Lac-Saint-Jean, n’ont pas vu le jour. « On s’est rendu compte, après analyses, que la glace ne s’épaississait pas. Alors, comme la saison de pêche ferme le 10 mars et que la date se rapprochait, l’installation a été annulée », déplore Roxane Fortin, directrice adjointe aux opérations camping et pêche blanche de Contact Nature. Habituellement, chaque année, des centaines de cabanes sont disposées sur le Fjord. Des villages fleurissent, des rues sont nommées et des véhicules circulent entre les maisons, aujourd’hui remplacées par des tentes mobiles.
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L’organisme Contact Nature propose des tentes à la location pour pallier l’annulation des villages de pêche. (Photo: Noé Girard-Blanc)
« C’est la première fois que je vois ça », confie Marlène, la tête emmitouflée sous sa tuque. Habituellement, la sexagénaire installe sa baraque, mais cette année, « elle est restée dans un enclos », confie-t-elle. Elle s’est donc trouvé un petit abri portatif. « Au Saguenay, nous avons la pêche blanche tatouée sur le cœur. L’annulation du village a été une décision difficile », assure Roxane Fortin. Alors, les passionnés adaptent leurs pratiques.
Après avoir investi dans une cabane il y a trois hivers, Marc-Antoine Lefebvre, 29 ans, a dû se résigner à acheter une tente, cette année. « Avant, j’allais au village de Grande-Baie, j’avais un lit, un réchaud… C’était ma deuxième maison », se rappelle le jeune homme, en donnant des à-coups avec sa canne à pêche pour attirer les poissons. En attendant, il le constate, « les températures sont exceptionnellement élevées, mais l ’année prochaine, nous pourrons embarquer à nouveau. »
Un réchauffement constant
« L’hiver a toujours été modulable, c’est vrai, mais le réchauffement est constant et on s’achemine vers une période où les hivers moyens, permettant la pêche blanche, n’existeront plus », précise Claude Villeneuve, biologiste et co-directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi. Et les prévisions parlent d’elles-mêmes. « Au Saguenay, entre 2040 et 2070, on va se retrouver avec une augmentation de quatre degrés en hiver », avance le spécialiste.
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Claude Villeneuve l’assure, « les hivers chauds, à -12 degrés, n’existaient pas dans les années 70 ». (Photo : Noé Girard-Blanc)
Les villages vont devoir s’adapter. « Les grosses cabanes accueillant des familles entières seront de moins en moins nombreuses », prédit Roxane Fortin. C’est pourtant cette chaleur humaine qui pousse certains à se rendre sur les glaces.
« En famille, la pêche est plus agréable. Parfois, nous sommes entre 10 et 15 dans notre cabane! », témoigne Jean-Philippe Pearson, sourire aux lèvres. Lui aussi a acheté une tente, cette année, même s’il possède une cabane. « Nous avons aménagé une ancienne roulotte et on la traîne sur les glaces. On y a mis des lits rétractables, des panneaux solaires, tout ce qu’il faut pour passer un beau moment », énumère-t-il. « On espère vraiment pouvoir en profiter le plus longtemps possible, mais on voit bien que les abris légers et mobiles sont l’avenir de la pêche blanche », se résigne-t-il.
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À gauche, Jean-Philippe Pearson, accompagné de son ami. À cause de l’annulation du village, il a acheté une tente cette année. (Photo : Noé Girard-Blanc)
« Libre d’aller où tu veux »
Dans sa tente protégée par un parquet de bois, Vanessa, 33 ans, porte des bas de laine et un chandail. « Depuis l’annulation du village, énormément de tentes ont été mises en vente », relate-t-elle. À ses côtés, son ami ajoute qu’avec un équipement mobile, « tu es libre d’aller où tu veux, de découvrir de nouveaux endroits et de pêcher différentes espèces ». Dans un coin, trois sébastes sont posés sur la neige. Les seules prises depuis leur arrivée la veille au soir. « On a dormi sur place, notre équipement est assez lourd, donc on s’installe pour un moment. On doit traîner près de 250 livres », souligne l’homme.
Cette année, aucun véhicule n’est autorisé sur les glaces. Marc Paquin, âgé d’une soixantaine d’années, a donc choisi la simplicité. Il pêche dehors, à la brimbale, une canne à pêche faite en bois. Il possédait une cabane, mais « c’était devenu dispendieux », et les tentes sont « trop lourdes à tirer », souffle-t-il.
Marc Paquin pêche sur le Fjord du Saguenay depuis qu’il a 16 ans, pour « la tranquillité » (Photo : Jean Rémond)
Originaire de La Baie, il pêche sur le Fjord depuis qu’il a seize ans. Aujourd’hui, il est « triste que les gens ne puissent pas embarquer », mais il l’affirme, « il me reste trois ans avant la retraite, et après, je pêcherai chaque jour ! ». Reste à savoir si les glaces le permettront.