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Une plongée dans l’univers sous-marin de la Gaspésie
Arrivé à Gaspé en juin dernier, j’essaie tranquillement de devenir un vrai Gaspésien, c’est-à-dire quelqu’un qui ne frémit pas dans une eau vive de 12 degrés d’où émane des doux effluves du sel de la mer. J’ai heureusement l’immense chance de découvrir mon nouveau pays par le plein air et ainsi, début juillet, j’ai décidé de m’immerger sous les flots au large de l’ile Bonaventure pour m’initier à la plongée sous-marine. On ne parle pas d’une visite du fleuve en apnée ou avec un tuba, mais bien d’une immersion dans les fonds marins à une profondeur de dix mètres pour admirer les trésors cachés de la mer québécoise.
Récit entre contrôle du corps, méditation et émerveillement
Brosse et plongée ne font pas bon ménage
Premièrement, il faut savoir que les prérequis physiques pour participer à cette courte aventure ne sont pas trop ambitieux. Il suffit d’être reposé et rempli, deux petits critères que je n’ai malheureusement pas respectés puisque la veille j’ai fêté au bistro-bar le Brise-Bise, resto notoire auprès des touristes et des gens de Gaspé.
J’arrive donc à Percé, un peu amoché et en retard à cause des touristes. Devenant tranquillement un vrai Gaspésien, je développe une intolérance marquée pour les automobilistes roulant sous la vitesse permise sur la 132, surtout qu’il est impossible de dépasser sur le chemin sinueux et en pentes de Percé.
Sous un soleil accablant, j’enfile la combinaison de plongée, c’est-à-dire le wetsuit, les souliers d’eau, la veste compensatrice avec la bonbonne, la cagoule, les mitaines et bien sûr la ceinture de plomb. Je vais être honnête : l’habit est sexy, mais intérieurement je crois mourir. Il n’y a aucune flexibilité là-dedans et c’est très hermétique. Il faut dire que c’est une journée excessivement chaude… pour la Gaspésie du moins, on parle de 28 degrés.
En deux temps, trois mouvements, nous voguons sur un grand bateau pneumatique jusqu’au large de l’île Bonaventure. Tout le long de ce court trajet, en raison des soubresauts et du poids de la combinaison, j’ai des palpitations et des sueurs froides indiquant une chute de pression imminente. Heureusement, ce n’est pas mon premier rodéo : je me contiens et je ne tombe pas dans les pommes.
Tout le long de ce court trajet, en raison des soubresauts et du poids de la combinaison, j’ai des palpitations et des sueurs froides indiquant une chute de pression imminente.
C’est le moment de plonger et le guide remarque le malaise que j’essaie tant bien que mal d’étouffer par orgueil. On plonge alors assez vite dans l’eau, tête à la renverse, main sur le masque comme dans un vrai film de plongée.
Une fois dans l’eau, pouf! mon malaise cesse aussitôt et j’arrête d’injurier intérieurement mon pauvre équipement de plongée. C’est étonnant à quel point je suis bien à flotter en attendant mon guide. Après tout, ça se porte dans l’eau et non dans l’air ; l’activité commence à prendre tout son sens. Je m’acclimate calmement à respirer avec le détendeur puis c’est le moment de descendre dans les profondeurs de la mer.
On s’agrippe à une corde reliée à l’ancre touchant le fond et on descend tranquillement pour atteindre les 10 mètres de profondeur environ. Le moment tant anticipé où des branchies me poussent soudain arrive enfin…
Submergé, une drôle de sensation m’habite : j’ai une impression totale de dissociation du corps et de l’esprit. Les yeux grands ouverts sous l’eau ; c’est une révélation. Je me sens complètement défoncé (il faut spécifier que les lunettes agrandissent d’environ 30% la taille des objets).
Submergé, une drôle de sensation m’habite : j’ai une impression totale de dissociation du corps et de l’esprit. Je me sens complètement défoncé.
C’est trop étrange et peu naturel de voir de grands humains habillés en bleu, portant d’immenses lunettes, descendre sur une chaîne en métal rouillé vers les fonds marins comme si nous partions en mission secrète à la Call of Duty. Je descends graduellement sans en avoir conscience, je suis en totale contemplation.
Petit truc de pro si vous vous apprêtez à tenter une telle expérience: il faut se boucher le nez fréquemment et expirer afin d’assurer une certaine pression aux oreilles pour ne pas qu’elles explosent. Figure de style bien sûr, mais je vous le dis, ça peut être vraiment douloureux si vous négligez cet aspect.
Flotter parmi les crabes
C’est maintenant le moment Charles Tisseyre de ce texte pour comprendre l’effet de la pression dans la plongée sous-marine. Plus on descend, plus la colonne d’eau au-dessus pèse sur nous. Très vite, on ressent le changement de pression qui s’exerce : cette pression due à l’eau se ressent surtout au niveau des oreilles.
Plus on descend, plus la colonne d’eau au-dessus pèse sur nous. Très vite, on ressent le changement de pression qui s’exerce : cette pression due à l’eau se ressent surtout au niveau des oreilles.
C’est justement en raison de cette maudite pression que le développement de l’exploration sous-marine est très graduel. Pour l’instant, les humains ont exploré entre 5 et 10% des océans. Heureusement, je suis maintenant prêt à atteindre des profondeurs vertigineuses grâce à ma plongée de 10 mètres.
C’est au point le plus bas de la descente sous l’eau que le silence me frappe de plein fouet. De prime abord, cette absence de son peut sembler oppressante et angoissante, mais elle est magnifique.
Les eaux sont calmes et on voit la vie sous-marine dans son quotidien sans la perturber. En fait, tout ce que j’entends est ma propre respiration et parfois j’arrête carrément de respirer pour écouter le vide. J’entre alors dans un merveilleux état méditatif avec les phoques gris qui viennent s’amuser tout près de nous et même parfois mordiller mes palmes. Je ne fais que me concentrer sur ma respiration en songeant peut-être vivre sous l’eau tellement je suis bien. Je suis aussi zen qu’un moine tibétain.
Un sentiment d’apesanteur m’habite au-dessus des récifs. On est loin des Caraïbes ou des récifs de corail australiens, mais la flore sous-marine propose de belles couleurs vives ainsi que d’incroyables richesses gaspésiennes telles que les homards, les crabes, les bernard-l’hermite et les éponges de mer.
Steven Melanson, le directeur du club nautique Percé où j’ai fait mon aventure, m’explique que contrairement en forêt où on peut se sentir comme un intrus dans l’environnement, la plongée implique une immersion dans cet habitat. On dérange ainsi beaucoup moins l’écosystème, selon lui.
Évidemment, je ne peux pas errer sans fin dans la mer en raison des réserves d’oxygène qui s’amenuisent à vue d’œil. Il faut dire que j’ai été assez gourmand avec mon oxygène, laissant presque une trace de ma mâchoire dans mon détendeur tellement je mordais fort. Aussi, détail important, je nageais constamment avec mes bras alors que les palmes suffisent pour garder le cap. J’ai ainsi dépensé beaucoup trop d’énergie en me tortillant de tout mon long sous l’eau.
À la lumière de mon expérience, je suggère ce genre d’aventure à tous ceux et celles qui désirent vaincre leurs peurs des fonds marins. J’ai toujours été très sélectif des endroits où je me baigne. Jaws m’a terrorisé lorsque j’étais haut comme trois pommes. Puis, j’ai souvent vu mon frère hurler en vacances soit pincé par un crabe ou piqué par une méduse alors que je me trouvais à ses côtés, immobile, attendant mon tour terrifié.
Bien sûr je n’ai pas réussi à voir toutes les créatures ayant comme refuge l’île Bonaventure. Apparemment, il est parfois possible de voir des pingouins puisque les bulles que nous expirons les attirent, pensant qu’il s’agit de poissons frais pour la chasse. On raconte même qu’on peut apercevoir un thon rouge pouvant peser jusqu’à mille livres, un poisson malheureusement victime de la surpêche. Sinon, les requins-pèlerins se promènent rarement dans les sites de plongée au large de la ville de Percé. Bref, il y a de la vie à l’île Bonaventure; l’immense colonie de Fous de Bassan y vivant (la plus grande au monde!) témoigne de l’effervescence faunique de ce lieu.
Cette aventure m’a-t-elle permis de devenir un vrai Gaspésien ? Je ne sais pas trop. Mais une chose est certaine; mon amour pour la région et ses fonds marins uniques ont nettement grandi.