Le syndicat étudiant du Cégep Marie-Victorin (SECMV) est en redressement financier suite à la découverte de nombreuses irrégularités dans ses finances. L’association du cégep montréalais se voit forcée de réduire ses services offerts aux étudiants qui voient s’envoler leurs cotisations étudiantes pour réparer les erreurs passées.
Tout commence durant l’hiver 2023 lorsque Kim Pelletier Lemieux, alors embauchée par le syndicat pour former un étudiant qui présentait des difficultés à s’occuper des finances de l’association, fait une découverte alarmante. Elle constate que l’association étudiante n’a pas fait de déclaration financière depuis 2017.
Cette découverte a mené à une autre, et la situation est rapidement devenue critique pour le syndicat étudiant qui doit plusieurs milliers de dollars au gouvernement. « Là, j’ai dit : “Je pense que vous avez un problème », témoigne Pelletier Lemieux.
« C’était une situation alarmante et Kim disait que si on n’arrêtait pas tout, le syndicat ne survivrait pas », explique Laurianne Arseneault, permanente à l’administration et responsable de la coordination du conseil exécutif.
La vie étudiante affectée
Ces négligences administratives affectent négativement la vie étudiante et les services offerts aux étudiants comme le rapporte Nataniel Imbeault, délégué aux affaires internes et représentant des étudiants sur le conseil administratif du cégep. « Le budget des comités est loin de ce qu’il était avant et répond à peine à la demande. »
Le jeune homme rapporte que les comités n’ont bénéficié d’aucun budget pour les sessions d’automne 2024 et hiver 2025, et aucun budget non plus pour les subventions servant à venir en aide financièrement aux étudiants.
Cette année, la situation s’améliore, mais demeure précaire pour les comités du cégep. Pour l’année 2025-2026, ces derniers se partagent désormais une maigre enveloppe de 3 000 $, respectivement 1 500 $ par session divisés entre une dizaine de comités.
« Il n’y a toujours pas de budget pour la mobilisation, donc tout ce qui est grève », ajoute Nataniel Imbeault.
À ce jour, il n’y a toujours pas de subventions disponibles pour les étudiants.
Un café étudiant qui siphonne les cotisations
Si le syndicat étudiant n’était pas prêt à assumer les sommes dues au gouvernement, malgré des cotisations étudiantes allant jusqu’à 200 000 $ par année, cela s’explique en partie par certains débordements budgétaires qui ont affaibli la situation financière de l’association.
C’est le cas du café étudiant l’Exil, qui était maintenu et géré par les étudiants.
Pour Laurianne Arseneault, le but du café n’était pas nécessairement d’être rentable, mais d’offrir aux étudiants un service de nourriture et de boissons à un prix abordable.
Néanmoins, le café étudiant représentait un gouffre financier pour l’association.
Selon le rapport sur les états financiers du SECMV pour l’année 2023, près de la moitié des cotisations étudiantes de l’année ont servi à absorber les pertes du café, soit environ 98 000 $.
En plus de rouler à perte, le café l’Exil a donné du fil à retordre au syndicat lorsque Kim Pelletier Lemieux a découvert qu’il avait omis de payer une année entière de taxes. L’association étudiante bénéficiait d’un délai de quatre jours pour payer au gouvernement le montant dû qui s’élevait à environ 24 000 $, relate l’ancienne permanente administrative à la comptabilité.
« Cet argent-là, on ne l’avait pas, donc on a dû piger dans le salaire des employés et ce qui avait été mis de côté », déplore Mme Pelletier Lemieux.
Le café l’Exil a fermé ses portes à l’hiver 2024 en raison d’un manque de financement, mettant à pied une douzaine de salariés, tous des étudiants.
Un plan a été mis en place par le syndicat étudiant pour rouvrir partiellement pendant les sessions 2025 et 2026, malgré leurs difficultés financières.
Un comité problématique
Lorsqu’il est question de dépassements budgétaires au SECMV, un comité qui n’existe plus à ce jour est souvent blâmé : le comité RAGE.
Ce comité avait pour mission de venir en aide financièrement aux étudiants qui en faisaient la demande. Paiements d’épicerie, de transports en commun ou même de loyer, des montants significatifs pouvaient être distribués à certains étudiants qui savaient plaider leur cause.
Chaque année, les montants disponibles pour ce comité se situaient entre 30 000 $ et 40 000 $, mais Rémy Contant, ancien délégué à la trésorerie du SECMV entre 2021 et 2023, estime qu’il y a eu des débordements.
M.Contant s’occupait de passer entrevue et d’évaluer les étudiants qui nécessitaient du soutien financier.
Il affirme que plusieurs demandes auraient été faites par des personnes à l’interne pour augmenter le budget attribué au comité et que des prêts à des étudiants n’auraient pas été dûment autorisés.
« Il y a eu une mauvaise évaluation des fonds disponibles parce que notre permanent administratif était sous-qualifié, donc les suivis budgétaires étaient très difficiles », souligne-t-il.
« Le gros problème du comité RAGE, c’est que tout était fait en huis-clos et confidentiel. Ça, c’est pas bon. RAGE a été mal fait », admet Laurianne Arseneault.
Rémy Contant estime aussi qu’il y aurait eu des abus par rapport au sein même de l’association. « Il y a eu une situation où une personne qui était sur le conseil exécutif et qui bénéficiait de RAGE a fait des pressions sur des employés pendant l’été pour avoir des montants supplémentaires », confie-t-il.
« Cette situation-là, je l’ai dénoncée à l’interne, mais il n’y a pas grand-chose qui s’est passé », précise Kim Pelletier Lemieux.
Le comité RAGE n’était pas inclus dans les statuts et règlements du syndicat étudiant et il y a eu une « mise en doute de la légitimité des dépenses », peut-on lire dans un mea culpa du SECMV adressé aux étudiants du Cégep Marie-Victorin peu après avoir admis ses négligences financières.
« Un manque de volonté »
Plusieurs raisons expliquent pourquoi une telle négligence a sévi au sein d’une association étudiante de l’ampleur du syndicat étudiant du Cégep Marie-Victorin.
L’incompétence de certains permanents administratifs ou encore un défaut de transmission des connaissances entre les anciens et les nouveaux membres du conseil exécutif de l’association ainsi qu’un manque de volonté sont évoqués.
« Ça coûtait cher et ils ne comprenaient pas la moitié de ce qu’ils avaient à faire dans ces déclarations-là. C’est la raison pour laquelle il a fallu fouiller dans les vieux procès-verbaux et courriels », maintient Contant.
Laurianne Arseneault, quant à elle, précise que « ce n’était pas de la malice ou de la mauvaise foi. Ce sont de grosses erreurs qui se sont produites. »
Par exemple, l’association faisait les déclarations de TPS et de TVQ, mais les montants présentés dans ces déclarations n’étaient pas les bons.
Pour sa part, dans le mea culpa adressé aux étudiants du cégep, le syndicat admet qu’il y a eu de l’abus des fonds de cotisation et un manque de transparence de la part de l’association étudiante dans les dernières années.
Déresponsabilisation de la direction
Un rapport de prévision budgétaire a été présenté à la direction du cégep afin d’obtenir une aide financière. La direction a refusé la demande en qualifiant le rapport d’irréaliste.
Selon Nataniel Imbeault, le document était trop brouillon pour que la direction accepte.
« Honnêtement, je l’ai monté en ne sachant pas vraiment ce que je faisais. Chaque semaine, je découvrais de nouvelles affaires, alors je voulais m’assurer qu’on recevrait assez d’argent », mentionne Kim Pelletier Lemieux, qui demandait dans son rapport près de 150 000 $ à la direction.
La direction du Cégep Marie-Victorin n’a pas voulu répondre à nos demandes d’entrevue, précisant que le SECMV est « un organisme indépendant du cégep » et que ce n’est pas de leur responsabilité de répondre aux questions concernant leur situation financière.
Sort incertain
Pour l’instant, aucune date n’est envisagée pour la fin du redressement financier du syndicat. Le syndicat ne sait donc toujours pas combien il devra au gouvernement lorsque les déclarations financières seront en ordre.
Entre-temps, Kim Pelletier Lemieux a démissionné de son poste au mois de novembre 2025, évoquant des tensions dans son milieu de travail : « Je ne sentais plus que je pouvais poser des questions. On m’a dit de prendre mon trou. »
Lors d’une assemblée générale, madame Pelletier Lemieux avait proposé la création d’un conseil d’administration afin de dispenser l’association étudiante de ses tâches administratives. La demande a été refusée démocratiquement.
« C’est le genre d’initiative que je proposais pour les décharger d’un poids, mais ça ne passait pas. »
Nataniel Imbeault et Laurianne Arseneault, quant à eux, ont confiance que la situation va se redresser et disent avoir resserré la vis des comités. « Il y a une date limite pour les remboursements contrairement à avant et on est plus strict sur ce qu’on rembourse. C’est ce qui avait causé des débordements », souligne Nataniel Imbeault.
« C’est dommage que les fantômes du passé reviennent, mais c’est normal. On s’attend à ça, mais on focus vraiment sur le futur en ce moment », soutient Mme Arseneault.
Pour l’ancienne permanente à l’administration, il y a tout de même une crainte que la situation ne s’améliore pas, malgré ses efforts. « Je le verrais comme une tristesse parce qu’en fin de compte, ceux qui écopent, ce sont les étudiants », exprime Kim Pelletier Lemieux.
« Collectivement, toutes les associations ont à apprendre de ça. D’après moi, ce n’est pas seulement au SECMV que ça se passe », affirme-t-elle.
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