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Une journée avec le Cercle des mycologues de Montréal
« C’est une journée parfaite pour la cueillette », confie Patrice Dauzet, vice-président aux activités scientifiques du Cercle des mycologues de Montréal, en référence au temps gris et frais typique de fin septembre.
La scène se déroule dans les Laurentides, où quelque vingt membres du Cercle présent.e.s, équipé.e.s de leur panier en osier et leur couteau, trépignent en attendant les instructions du président pour entamer l’avant-midi de chasse aux champignons.
« En tout cas, t’es en demande Patrice! », lance une dame au maître de cérémonie en pointant la file de voitures garées à la queue leu leu devant nous. « C’est pas moi qui suis populaire, les gens sont frustrés de ne pas avoir eu de champignons cet été à cause de la canicule et du manque de pluie, donc ils se garrochent pour en cueillir avant l’hiver », rétorque Patrice à tue-tête pour couvrir le bruit des dix-huit roues chargés à bloc qui passent sans arrêt.
Le mycologue vétéran rassemble enfin ses ouailles pour leur donner les instructions de la matinée. « Prenez seulement un ou deux spécimens et laissez les autres au sol. On se retrouve au spot pour midi. Bonne cueillette! »
Patrice sépare le groupe en deux et m’indique de suivre son groupe « moins gêné », qui va s’aventurer un peu plus loin dans le bois. « On va avoir la chance de trouver des spécimens différents du premier groupe », explique-t-il avec un clin d’œil avant d’embarquer dans son auto.
Au paradis du moisi
On se rend jusqu’à un chemin de fer quelques kilomètres plus loin. Une fois sur place, ça ne prend pas 2 minutes pour que les membres du groupe lâchent des « oh! » et des « ah! » excités en se pliant en deux pour ramasser leurs trouvailles le long de la voie ferrée. « Faut faire attention, les champignons blancs peuvent être complexes à identifier et il y en a des mortels », les avertit Patrice en examinant les petits capuchons laiteux.
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On pique soudainement dans une dense forêt de conifères où la mousse et les arbres pourris sont reine et rois. En d’autres mots : le paradis pour la gang du Club. Patrice se penche constamment pour dérober les fongus de l’humus et expliquer les caractéristiques de chaque spécimen aux mycologues du dimanche.
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« Sens ça, ça sent les biscuits à l’érable! » s’exclame Gwenaël, un ceinture noire premier dan en identification de champignon turbo motivé, en me brandissant un petit champignon sous le nez. « Ayoye, c’est fou! », m’exclamai-je pour l’encourager alors que je ne détecte qu’une vague odeur de moisi et d’humidité.
«Je me promène dans le bois depuis que je suis haut comme trois pommes et j’ai toujours été fasciné par les champignons»
Il faut dire que Gwenaël a su développer son pif pas mal depuis qu’il baigne dans cet univers. « Je me promène dans le bois depuis que je suis haut comme trois pommes et j’ai toujours été fasciné par les champignons, mais ça doit faire dix ans que je me suis mis à la cueillette plus sérieusement », confie l’homme à la tignasse blanche affublé d’un t-shirt représentant, eh oui, des champignons.
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Rapidement, je comprends que Patrice, Gwenaël et Alfred, un autre cueilleur, sont clairement plus expérimentés que les autres, balançant des noms latins et des caractéristiques précises à pratiquement chaque champignon qu’ils croisent.
« Ce ne sont pas tous ceux qu’on cueille qui se mangent, loin de là. Des journées comme aujourd’hui servent plutôt de formation et d’apprentissage pour les amoureux de la nature qui veulent en savoir plus sur cet univers complexe », explique Patrice.
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En soixante ans d’activité, le Français d’origine en a vu une pléthore de champignons. Initié à cette pratique par son père pendant son enfance dans le Vieux Continent, il s’est rendu compte que la connaissance des champignons était beaucoup moins populaire chez ses cousins québécois. « C’était le “bonanza”, les possibilités étaient énormes ici et j’ai voulu m’impliquer », explique le membre du conseil d’administration du Club des mycologues de Montréal.
«Ce ne sont pas tous ceux qu’on cueille qui se mangent, loin de là. Des journées comme aujourd’hui servent plutôt de formation et d’apprentissage»
Pour lui, la mycologie revêt plusieurs aspects qui expliquent sa popularité grandissante depuis les dernières années. « Il y a une connexion avec la nature inhérente à cette activité puisqu’on passe des heures dans le bois. Ensuite, il y a des côtés social et scientifique non négligeables lorsqu’on compare nos trouvailles et qu’on tente d’identifier tel ou tel type d’espèce pendant une “chasse aux trésors”. Enfin, on pourrait dire qu’il y a des aspects esthétique et gustatif à l’expérience, puisqu’on peut admirer et déguster plusieurs sortes de champignons cueillis ».
« Accessoirement, c’est aussi un remède contre l’Alzheimer! » ajoute-t-il en riant, en référence aux 3000 espèces identifiables au Québec que les mordu.e.s essaient de se rappeler.
« Les sortes de champignons que l’on peut retrouver dépendent des arbres et de l’écosystème dans lesquels ils poussent », m’explique Gwenaël en me montrant fièrement une photo d’une grosse motte de champignons qui poussent exclusivement sur les chênes. « Ça, ça fait tripper les shamans sibériens depuis des siècles », ajoute Patrice en pointant un spécimen jaune fluo à ses pieds.
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L’excitation avec laquelle les membres se promènent dans le bois depuis plus d’une heure me rappelle une chasse aux cocos de Pâques de mon enfance. Sauf que dans ce cas-ci, les œufs en chocolat sont remplacés par des petites excroissances de moisissure suintantes et que les chasseurs et chasseuses sont en très forte majorité des baby-boomers qui jubilent en lançant des noms incompréhensibles avec des étoiles dans les yeux.
Ceux et celles avec les museaux les plus fins peuvent même reconnaître des notes de poire et de patate crue sur certains spécimens.
Sans blague, les capacités de reconnaissance des plus habitué.e.s sont franchement impressionnantes. Ceux et celles avec les museaux les plus fins peuvent même reconnaître des notes de poire et de patate crue sur certains spécimens.
« Tu ne pensais pas que t’aurais affaire à une gang de crinqués comme ça, hein? », me lance Patrice en riant.
Non, en effet Patrice, je ne m’attendais pas à devoir enjamber des troncs d’arbres morts, éviter des branches dans le visage et sortir mon cell aux deux minutes pour documenter les exemplaires rencontrés en allant cueillir des champignons un mercredi matin. Mais cette expérience Indianajonesque est franchement agréable.
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Tout comme moi, Lise ne savait pas trop comment se déroulerait sa première sortie avec le Club. Mais à voir son enthousiasme, elle n’est clairement pas déçue. « Je suis une passionnée d’ornithologie et de tout ce que la nature recèle. Durant mes voyages pour l’ornithologie, j’ai toujours remarqué les champignons sur les arbres et le sol sans pour autant pousser mes connaissances sur le sujet. »
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Après 15 ans à vivre en Floride, la dame à la bonne humeur contagieuse vient tout juste de revenir au Québec en raison du décès de son mari. Elle s’est tournée vers la cueillette pour occuper ses journées et pour sa « culture générale ». « C’est incroyable ce qui se trouve devant nos yeux. Suffit de prendre le temps de l’observer pour le savoir », philosophe-t-elle.
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Un butin dûment gagné
Le soleil est presque à son zénith malgré les nuages au-dessus de nos têtes qui le camouflent. C’est l’heure de rejoindre l’autre groupe et d’aller comparer les trouvailles.
Les membres du Cercle finissent de remplir leur panier et on part vers le lieu de ralliement, une halte routière quelques kilomètres plus loin sur la 158. « On va luncher puis on va étendre les champignons sur les tables de piquenique afin de les réunir en famille et les identifier comme il se doit », indique Patrice.
Je prends un snack au dépanneur du coin et fais le tour des tables où les apprentis mycologues commencent à exhiber leurs trouvailles.
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«À 72 ans, je me suis dit que c’était le temps de me trouver une nouvelle passion»
« C’est ma deuxième sortie. Je ne sais pas trop ce que j’ai cueilli, j’ai hâte de voir s’il y a des comestibles », me confie une dame, en ajoutant que c’est sa fille, une hardcore de la cueillette, qui lui a donné envie d’essayer.
À quelques tables plus loin, un monsieur d’un âge vénérable explique entamer des cours au Jardin botanique sous peu afin d’en savoir plus sur les champignons. « À 72 ans, je me suis dit que c’était le temps de me trouver une nouvelle passion », estime-t-il en riant.
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L’heure avance et je dois bientôt quitter les lieux pour retourner vers la métropole. J’accoste Patrice pour lui demander la suite des choses. « On va passer des feuilles sur les tables avec les centaines d’espèces de champignons que l’on peut reconnaître dans le coin pour que les gens puissent les rassembler en famille et les identifier. C’est un super beau moment! »
Je prends quelques clichés des tables garnies et m’éclipse, faute de temps.
Sur la route du retour, une phrase de Patrice me revient en tête. Quand Lise lui a demandé combien de temps encore il pensait faire de la cueillette, le maestro n’a pas hésité une seconde : « J’arrêterai quand je serai mort! »
Une chose est sûre, je ne mangerai plus jamais des champignons de la même façon.