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Une grossesse comment, vous dites?

Récit d'un miracle (ou presque) au nom étrange.

Par
Geneviève Liboiron
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Ce texte résume une partie de mon histoire avec l’infertilité: c’est triste, c’est drôle, mais c’est surtout authentique et la finale, digne de 2020.

Après plusieurs années d’infertilité inexpliquée, mon conjoint Daniel et moi avons décidé d’aller en clinique de fertilité. Drôle de place, ces cliniques-là. En « magasinant » un endroit, nous en avons appris beaucoup sur les orchidées, nous avons mis des « tites » housses bleues en guise de pantoufles et nous avons visité des salles d’attente stériles, où on pouvait ressentir la fébrilité, parfois même la honte. Des cliniques privées futuristes comme dans un épisode de la série anglaise « Black Mirror » et des centres publics avec les pires postes de radio. Notre choix s’est arrêté au public : le centre de la reproduction du CUSM. Durant mes nombreux mois infertiles, j’ai fait de multiples fausses couches, une grossesse ectopique et très majoritairement eu mes règles. Ça m’aura pris un total de cinq grossesses et cinq ans pour finalement en avoir une « viable ».

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J’ai appris que j’étais enceinte pour la cinquième fois par téléphone, en décembre 2019, dans ce qui allait être la chambre de ma fille. À l’époque, c’était mon studio de pratique et d’enseignement du violon. Je revenais tout juste de tournée en Europe et j’étais certaine que mon insémination n’avait pas fonctionné ce mois-là : j’avais eu quelques saignements que j’avais pris pour mes règles. J’étais tellement surprise lorsque la voix de l’infirmière au bout du fil m’a répondu : « C’était la bonne! T’es enceinte ma belle, félicitations! ». J’étais sceptique à cause de mes saignements, j’ai redemandé un test sanguin de dépistage. J’ai reçu l’appel du deuxième test en pleine répétition générale à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, j’ai quitté la salle en silence pour écouter le nouveau verdict avec mon cellulaire en tremblotant : j’étais bel et bien enceinte et mon test quantitatif avait doublé chaque jour depuis l’autre test, exactement comme il se doit. J’ai raccroché, je me suis mise en petite boule à côté de l’abreuvoir et j’ai pleuré. Je suis retournée à mon poste de violoniste après avoir essuyé mes larmes pour terminer l’œuvre « Leviathan » du compositeur canadien Jared Miller.

Le concert a eu lieu le soir même, j’ai manqué de concentration pas à peu près. Chaque fois que je me levais pour saluer, j’avais peur de sentir quelque chose couler : l’échapper pour une cinquième fois, devoir encore porter une vraie couche pendant que j’en faisais une fausse.

J’avais peur de […] l’échapper pour une cinquième fois, devoir encore porter une vraie couche pendant que j’en faisais une fausse.

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Une échographie est prévue quelques semaines après le test de grossesse pour vérifier la viabilité du fœtus. Le jour de l’échographie arrive, puis quinze minutes avant de quitter la maison, une terrible douleur surgit dans mon bas-ventre, tellement épouvantable que j’en perds connaissance. Daniel est à la maison avec moi (une chance!) et appelle l’ambulance. Il est très inquiet. À voir la face qu’il fait, je me dis que je dois être verte en titi. L’ambulancier m’emmène à l’hôpital Royal Victoria, où j’attends à l’urgence dans un corridor. Mon état se détériore rapidement, je commence à vomir sur ma civière. Je m’excuse en vomissant, le personnel me chicane de m’excuser, « ben voyons c’est pas nécessaire madame ». Je m’excuse de m’excuser. J’ai les yeux tellement bouffis qu’on dirait que j’ai frotté ma face dans des chatons sans avoir pris mes antihistaminiques. Une infirmière croise mon regard en passant par l’urgence et comprend en une seconde toute la peur qu’il y a dedans. Grâce à elle, quelques minutes plus tard on vient me chercher pour faire une échographie. Un jour, il faudrait que je la retrouve pour la remercier de m’avoir sauvé la vie.

L’appareil et le gel conducteur contre ma peau me font tellement mal que je me retiens pour ne pas crier. L’équipe médicale s’inquiète, mon copain pose des questions, mais il y a trop de sang flottant dans mon abdomen pour faire un diagnostic clair. Je dois donc me faire opérer au plus sacrant. On enlève mon linge, maudit que ça fait mal! Je passe un paquet de portes battantes, je signe (ou plutôt gribouille) des décharges sans pouvoir les lire comme il faut, parce que je tremble de partout et que mon corps au complet est recouvert d’une épaisse couche de sueur. Quand tu sues des paupières puis des coudes, c’est pas la grosse forme. Avec le brin d’humilité qu’il me reste, j’explique que je suis gauchère tellement ma signature est inélégante, illisible et nuageuse jusqu’à mon coude. Ça les fait rire. Je pense que je viens de signer qu’il se peut qu’on enlève partiellement ou complètement mon système reproducteur.

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Heureusement, je viens de lire Le pouvoir du moment présent d’Eckhart Tolle. J’ai donc quelques outils tout frais pour accepter ce qui m’arrive. Je souris en me rappelant que sur sa photo de couverture, l’auteur a un peu l’air de Yoda. Je dis au revoir à mon copain, à ma grossesse, possiblement à l’idée d’avoir des enfants et je passe les quarantièmes portes coulissantes en direction de la salle d’opération. Fait frette, je me sens comme l’été en gougounes dans le frigidaire à bières du dépanneur chez Bob. Je comprends que ma vie est en danger. Ce sont les derniers mots que l’infirmière a dits à Daniel : « La grossesse, il faut l’oublier. Là, on essaie de sauver sa vie ».

« La grossesse, il faut l’oublier. Là, on essaie de sauver sa vie »

Daniel a appelé ma mère, qui s’est dépêchée de venir le rejoindre. Ensemble, ils ont attendu mon réveil pendant quatre heures. Le diagnostic : rupture de grossesse ectopique tubale. En d’autres mots, la grossesse a eu lieu dans ma trompe de Fallope gauche et non dans l’utérus, puis elle a éclaté avec la pression. Ils ont sauvé le côté droit, mais ont enlevé le côté gauche de mon système reproducteur et ont dû me faire quatre transfusions sanguines avant de me stabiliser. Tout s’est bien passé, l’opération est une réussite et mon corps accepte à merveille le nouveau sang. « Question niaiseuse, madame l’infirmière : suis-je toujours AB+ après m’être fait remplacer tout mon sang? », dis-je avec une « bousse chèsse ». On me confirme que oui. Fiou! Je vais pouvoir continuer de faire suer l’peuple avec mon titre de receveuse universelle. On m’informe aussi que je pourrai aller passer le temps des Fêtes chez nous. « Joyeux Noël! » me lance l’infirmière. On est le 21 décembre 2019.

C’était déjà difficile de tomber enceinte avant. Maintenant, c’est comme si l’aiguille cachée dans la botte de foin était en plus cachée dans un ovule twit qui ne sait pas où aller.

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Six semaines s’écoulent et avec elles, ma convalescence. J’ai assisté à quelques fêtes sans trop d’énergie, je recommence à travailler, je trouve ça difficile physiquement et moralement. C’était déjà difficile de tomber enceinte avant. Maintenant, c’est comme si l’aiguille cachée dans la botte de foin était en plus cachée dans un ovule twit qui ne sait pas où aller. Je développe une écoeurantite pour les tisanes aux feuilles de framboisier, pour l’acupuncture, pour les auto-injections en me chantant du Ginette Reno en guise de distraction et pour les mosus de capsules de progestérone. En plus, j’ai mal au cœur tout le temps, comme si j’étais encore enceinte. J’en parle à mon médecin de famille qui m’envoie passer des tests sanguins aux résultats douteux : mes hormones de grossesse sont bien trop élevées alors qu’elles devraient être à zéro. Il va probablement falloir me réopérer, ce sont peut-être des tissus embryonnaires qui se sont rattachés à l’extérieur de l’utérus. On fait ma valise pour l’hôpital et on prend le métro, direction Côte-des-Neiges, vers l’hôpital Saint-Mary où je suis suivie.

Ayoye, pourquoi elle me montre un VHS de bébé?

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Ça brasse dans ma tête. Coudonc, est-ce que je vis dans le Boomerang à La Ronde depuis deux mois? J’entre dans la chambre d’échographie sans écouter les consignes. Ça doit être ma vingtième échographie, je la connais la chanson de la jaquette d’hôpital. Ah! Il manque toujours une attache à l’arrière, je me demande bien d’ailleurs pourquoi ils insistent pour qu’on aille un boutte de foune à l’air. La technicienne me demande mon histoire, que je raconte avec de plus en plus de détails – je commence à y prendre goût. Elle fait de drôles de faces. J’en déduis que j’ai probablement une maladie grave, mes pensées défilent à la vitesse Mario Bros après qu’il ait bouffé une étoile. L’examen continue. Je pleure un peu en racontant le bout de l’histoire où on m’a coupé pleins d’affaires dans le bas-ventre. Elle tourne l’appareil vers moi. À ma très grande stupéfaction, un foetus nage dans l’écran. Ma première pensée, c’est : « Ayoye, pourquoi elle me montre un VHS de bébé? » Je lui demande quossé ça. Elle me répond que c’est mon bébé. Il a 13 semaines et 5 jours. « Ben ça ne se peut pas, je me suis fait opérer il y a six semaines et on me l’a enlevé! ». On m’explique que c’est extrêmement rare, mais qu’il existe une forme de grossesse appelée « hétérotopique », où une grossesse intra-utérine a lieu en même temps qu’une grossesse extra-utérine ; la grossesse extra-utérine vole tout le show, puis la grossesse intra-utérine peut continuer en ninja. Wow, ça fait beaucoup de nouveaux mots dans une même phrase! « Une grossesse quoi, vous dites? » Hétérotopique.

Les jours qui ont suivi, j’ai dû me pincer plusieurs fois par jour pour y croire. Chaque matin, je me suis réveillée en pensant que c’était un rêve. Chaque soir, j’avais peur de m’endormir, par crainte de me réveiller et de réaliser que c’était un rêve.

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Il ne faut pas m’en vouloir si au moment où la pandémie a éclaté en mars, j’ai simplement haussé les épaules. C’est clair qu’il y a une épidémie mondiale l’année où je tombe finalement enceinte d’une grossesse « viable-hétérotopique-pas-d’allure ».

Ma fille est née le 14 août 2020. Un accouchement de 60 heures s’étant terminé en césarienne. Je n’ai jamais été aussi contente de me faire opérer dans le bas-ventre. Lorsque j’ai entendu ses pleurs à 22h12, nos larmes se sont entremêlées, et c’est un moment que je n’oublierai jamais.

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