La fin de session, ça rime avec beaucoup trop de café dans les veines, peu d’heures de sommeil, la liste de lecture Deep Focus sur Spotify et quelques larmes bien placées. Le rêve, quoi. Mais cette réalité n’est pas celle d’un groupe d’étudiant.e.s à l’Université du Québec à Chicoutimi. Pour terminer leur bac, ils et elles partent en expédition pendant trois semaines, une expérience qui fait office de synthèse de toutes les compétences acquises pendant trois ans. Voici le portrait du meilleur travail scolaire de la province.
Les étudiant.e.s au baccalauréat en Intervention plein air (BIPA) à l’UQAC font les choses autrement : ils et elles bouclent leurs années d’études avec rien de moins qu’un projet intégrateur qui prend la forme d’une expédition finale d’envergure d’une durée de 21 jours en région isolée. Point culminant de leur parcours universitaire, cette expédition se veut une expérience qui permet aux étudiant.e.s de concrétiser les habiletés apprises au cours de leur formation.
La tâche d’organiser cette expédition revient entièrement aux étudiant.e.s, du début jusqu’à la fin. Le processus d’idéation débute dès la troisième session. Après avoir effectué beaucoup de recherches, chaque étudiant.e propose un projet à la classe sous la forme d’un pitch. Au fil des cours, le groupe épluche les possibilités et analyse la faisabilité des projets finalistes, pour finalement trancher et n’en choisir qu’un seul.
APPRENDRE À ÊTRE UN.E VRAI.E LEADER
La cohorte de Jérémie Le Guern-Lepage s’est aventurée sur le territoire des parcs nationaux de Sequoia et Kings Canyon, en Californie, à l’automne 2019. La préparation en amont pour une expédition de randonnée hors sentier de cette ampleur était assez complexe, donc les étudiant.e.s ont dû se diviser la tâche et prendre en charge des volets spécifiques de l’organisation grâce à la création de comités.
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Les aventuriers et aventurières ont eu du pain sur la planche : il fallait identifier des lieux possibles pour le dodo, planifier le transport vers les parcs nationaux, tracer l’itinéraire de l’expédition, prévoir des points de sortie en cas d’évacuation, développer un plan de gestion des risques, prévoir l’équipement de groupe, développer un menu et prévoir les portions – sans oublier de penser au nombre de calories et de protéines nécessaires par personne par jour –, organiser des activités de financement, obtenir des commanditaires, etc. Bref, il n’est pas question d’un simple travail de cinq pages (avec bibliographie).
« Ça prend aussi un permis d’accès au territoire quand on veut partir en expédition de groupe sur le sol américain, explique Jérémie. Ce n’est pas un jeu d’enfant d’obtenir tout ça. Même si notre itinéraire n’était pas coulé dans le béton, on a dû fournir un trailhead d’entrée et de sortie avec des dates précises au bureau des permis avant le départ .»
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Et même si ce tracé tient compte des courbes de niveau et de la distance en kilomètres, une fois sur le terrain, plusieurs facteurs peuvent influencer la trajectoire originale : le territoire n’est parfois pas propice à l’installation du camp pour la soirée, certaines pentes sont trop escarpées ou un sommet qui n’était pas à l’itinéraire fait de l’oeil au groupe.
Durant l’expédition, les enseignant.e.s n’exercent qu’un rôle d’intervenant.e, puisque chaque jour, c’est un.e étudiant.e différent.e qui prend la charge du groupe. Le ou la leader s’occupe de tracer l’itinéraire de la journée et de prendre certaines décisions selon le dénivelé, les obstacles, l’énergie des troupes, ainsi que l’emplacement de la tente. « Ce n’est pas tout le monde qui a le même casting en plein air, certaines personnes sont moins habituées en randonnée qu’en canot, par exemple », souligne Jérémie. Le chef du groupe se doit alors de prendre le pouls du groupe le matin.
« Et quand je l’ai fait, j’ai compris que certaines personnes ne se sentaient pas bien, alors je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose avec ça, poursuit-il. On a établi un camp fixe, on a pris un moment en groupe pour jaser de comment on se sentait et on a voté pour choisir entre plusieurs options pour la seconde partie de l’expé. »
Souvent, ce genre de décision vient avec des inconvénients et de gros compromis. Une belle opportunité d’apprendre à travers la gestion de groupe et de conflits. C’est un peu comme être Jay du Temple à OD, mais en plein milieu de nulle part (ou presque).
Sécheresse et oubli
La cohorte finissante actuelle du BIPA vient tout juste de revenir de son expédition finale. Elle n’a pas sillonné les milieux alpins américains, mais a plutôt dévalé les rivières Pékans et Moisie au nord du Québec. L’été puni par de longues périodes sans précipitations a fait en sorte que le niveau d’eau dans plusieurs rivières n’était pas suffisant pour que celles-ci soient descendues en canot. C’était le cas des rivières Danielle, à l’Eau Froide, ainsi que la Mistassibi Nord-Ouest, rivières sur lesquelles devait d’abord pagayer le groupe selon le plan initial.
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« Il y a toujours un plan B quand on organise une expédition de cette envergure, mentionne Charlotte Huebner, finissante du programme. C’est surtout la logistique de transport qui est difficile à gérer quand on modifie le plan à la dernière minute, parce que tout le reste ne change pas : ça reste une expédition de canot en eau vive. »
Sur 21 jours, le groupe a parcouru un total de 325 kilomètres en canot. « L’expédition s’est vraiment bien déroulée!, se réjouit Charlotte. Je trouve qu’on était vraiment bien préparé.e.s et heureusement, on n’a pas fait face à des obstacles insurmontables. Anecdote cocasse, au début de l’aventure, après de longues heures sur la route pour se rendre à la mise à l’eau près de la ville de Fermont, une de mes collègues s’est rendu compte qu’elle avait oublié son casque d’eau vive à Chicoutimi. »
« Évidemment, c’est impensable de prendre part à une expédition d’eau vive sans casque, donc il fallait trouver une alternative, poursuit Charlotte. N’ayant pas trouvé de casque d’eau vive dans cette ville minière qu’est Fermont (surprise!), un enseignant et elle ont pris la route vers Labrador City, où ils ont pu dénicher un charmant casque de skateboard. En tous cas, elle avait du style pendant tout le voyage! »
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Durant l’expédition, les enseignant.e.s évaluent leurs apprenti.e.s selon leur professionnalisme et leurs compétences techniques. L’objectif principal demeure de développer des habiletés de leader : la majeure partie de l’évaluation se concentre sur la prise de décision et la prise en charge d’un groupe en contexte d’aventure.
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« Je suis vraiment à mon meilleur quand je suis en expédition, affirme Charlotte. C’est certain qu’à chaque fois que je reviens de ce type d’expérience, j’ai un down. T’sais, je suis contente d’être propre et excitée d’avoir accès à mon cellulaire, mais ce sentiment-là ne dure pas plus de deux jours. C’est éphémère. »
Et ce n’est pas un retour à la réalité qui effacera les souvenirs de ces aventurier.ère.s qui ont axé leurs études sur l’appel de la nature… De quoi faire rêver tous les étudiant.e.s qui se trouvent entre quatre murs présentement.