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J’ai fait mon entrée dans le programme de lettres à l’UQAR à l’automne 2014. Dans un petit programme d’une petite université, tout se sait rapidement. C’est comme ça, grâce aux bruits qui courent, que j’ai su qu’un enseignant du département avait été invité à l’Université Paris-Sorbonne pour l’hiver. Pendant un peu plus d’un an, Claude La Charité est devenu pour ma cohorte et moi-même une sorte d’être à l’aura mystérieux : tout le monde nous en parlait, mais personne ne l’avait jamais vu…
La première fois que je me suis assise dans sa classe un an plus tard, j’avais l’impression d’avoir un mythe vivant devant moi : grand, habillé en veston cravate, doté d’une voix radiophonique aux accents distingués, chercheur de renom, grand spécialiste de Rabelais… Aujourd’hui, il est même chevalier de la Confrérie des Entonneurs Rabelaisiens.
Quoi?
Chevalier de la Confrérie des Entonneurs Rabelaisiens.
Un combo, comment dire, aussi inusité que fascinant.
Passion : François Rabelais
Claude La Charité est un passionné de l’oeuvre rabelaisienne depuis longtemps. Très longtemps. Il ne s’en cache pas, il a d’abord été attiré par l’humour de l’auteur de la Renaissance. « L’humour de cour de primaire autant que l’humour un peu plus sophistiqué me plaisent chez Rabelais », m’explique-t-il. Même les passages que La Charité connaît par cœur continuent de le faire pouffer, ce que Rabelais qualifiait de « rire inextinguible ». Je me souviendrai toujours lorsqu’il a débuté un cours en citant une célèbre contrepèterie de François Rabelais « femme folle à la messe, femme molle à la fesse ». Claude La Charité affichait un grand sourire, sincèrement amusé par cette blague qu’il a lu et répétée à plusieurs reprises. L’image du grand chercheur universitaire a alors laissé place à celle d’un homme rieur et bon vivant.
«L’humour de cour de primaire autant que l’humour un peu plus sophistiqué me plaisent chez Rabelais.»
En plus de l’humour rabelaisien, Claude La Charité apprécie tout particulièrement l’érudition de Rabelais. Médecin, grand humaniste, il était une source infinie de savoir. « Rabelais valorisait l’éducation et le savoir. Il était un abîme de sciences », précise La Charité. Selon lui, Rabelais était un homme aux connaissances inépuisables, ce qui le rend encore plus intéressant. « Ce que j’aime de Rabelais, c’est justement qu’il mélange le savoir et l’humour. Ce n’est jamais trop sérieux ou prétentieux », ajoute-t-il.
De mythe à chevalier
Certains font des pèlerinages pour voyager sur les traces de Harry Potter. D’autres font des centaines de kilomètres pour se recueillir sur la tombe de Jim Morrison. Mais à l’automne 2019, c’est à Chinon en France, la région natale de François Rabelais que s’est rendu Claude La Charité. Le professeur et chercheur de l’UQAR a été reçu au festival Les nourritures élémentaires. Rabelais, du vin et des idées où il a eu la chance de donner une conférence. Le festival qui en était à sa 5e édition portait sur la vie et l’œuvre de Rabelais, ainsi que sur le vin produit dans la région de Chinon. On pourrait choisir pire contexte pour travailler, hein?!
Lors de ce même festival, Claude La Charité est intronisé chevalier de la Confrérie des Entonneurs Rabelaisiens. Deuxième en importance en France, cette confrérie sert deux objectifs. Le premier est de valoriser et de publiciser le vin de Chinon, alors que le deuxième est de perpétuer les enseignements humanistes de Rabelais. Des gens de tous horizons se côtoient alors dans cette confrérie : viticulteurs, spécialistes et chercheurs rabelaisiens, ainsi que plusieurs personnalités publiques comme Gérard Depardieu et le Prince Albert de Monaco. La cérémonie d’intronisation de Claude La Charité est alors une forme de reconnaissance du savoir qu’il apporte sur l’œuvre rabelaisienne.
« La cérémonie avait lieu dans une cave painctes, une sorte de grotte en pierre de tuffeau. Il y a des caves painctes un peu partout dans la région de Chinon. Dans mon cas, j’ai été intronisé directement sous la maison natale de Rabelais, à La Devinière » explique Claude La Charité. Wow !
En honneur aux célèbres maximes de Rabelais « Rire est le propre de l’homme » et « Buvez toujours vous ne mourrez jamais », la cérémonie d’intronisation n’a rien de prétentieux.
Pendant l’événement, les hommes et les femmes intronisés chevaliers sont vêtus d’une toge rouge et jaune ainsi que d’un bavoir à l’effigie de Rabelais. Les futurs chevaliers sont ensuite invités à boire une grande coupe de vin de Chinon afin de faire honneur à la production viticole régionale. Rabelais n’est pas en reste, puisque le grand commandeur de la cérémonie ponctue le discours cérémoniel d’humour, de clins d’œil à la vie de Rabelais et de plusieurs phrases qui lui sont directement empruntées. En honneur aux célèbres maximes de Rabelais « Rire est le propre de l’homme » et « Buvez toujours vous ne mourrez jamais », la cérémonie d’intronisation n’a rien de prétentieux. Au contraire, elle permet de réunir un grand nombre de passionnés de vin de Chinon ou de Rabelais autour d’un grand buffet gargantuesque… comme le personnage !
Une cérémonie ayant eu lieu quelques mois avant celle à laquelle M. La Charité a pris part.
À mes débuts à l’UQAR, Claude La Charité était dans mon esprit une sorte d’intouchable, mais ironiquement, son titre de chevalier l’a rapproché de nous, pour ceux qui connaissent son secret bien entendu! C’est d’ailleurs un titre qui lui va à ravir ! Derrière son veston et sa cravate, j’ai découvert qu’il est non seulement un grand érudit, mais plus encore, un homme qui perpétue les valeurs rabelaisiennes de la connaissance et du rire. « L’une des leçons que je retiens de Rabelais est que le rire nous garde du côté de l’humanité », conclut-il. En véritable admirateur de Rabelais, Claude La Charité ne cherche donc pas à se prendre au sérieux. Une leçon qu’on devrait remettre à l’ordre du jour, il me semble.