Logo

Un laboratoire de l’UdeM a contribué à l’arme nucléaire

Les scientifiques n'avaient aucune idée du but de leurs recherches pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Par
Zacharie Routhier
Publicité

Une plaque commémorative et une pièce de rangement pour le matériel désuet. Ce sont les seules reliques du Laboratoire de Montréal, où des recherches ont eu lieu dans le cadre projet Manhattan en pleine Deuxième Guerre mondiale.

Le projet Manhattan, c’est le nom de code du projet de recherche américain ayant mené à la première bombe atomique, Little boy. Lorsqu’elle est tombée sur Hiroshima, au Japon, le 6 août 1945, 80 000 personnes ont péri en quelques secondes.

La game a changé à jamais.

À ce moment-là, « on a révolutionné l’art de la guerre au point de vue technologique », estime le professeur honoraire au département de science politique de l’Université de Montréal et expert en question d’armement, Michel Fortmann.

Autrefois situé au pavillon Roger-Gaudry de l’Université de Montréal (le pavillon principal avec sa tour emblématique), le laboratoire a été transformé en salle de formation informatique pour le personnel. « Rien de l’époque de la guerre ne transpire dans ces salles, qui font très années 90 », raconte Julie Cordeau-Gazaille, attachée de presse de l’Université.

Publicité

« Ce pan de notre histoire est presque tombé dans l’oubli, car je n’ai trouvé personne pouvant en témoigner, poursuit-elle. Les livres d’histoire en sont les derniers témoins. »

Mais quel a été l’apport du Laboratoire de Montréal dans la course à l’arme nucléaire? Que s’est-il passé dans l’aile ouest du Pavillon Roger-Gaudry durant la Seconde Guerre?

Top (top, top, top…) secret

25 novembre 1941. Le Conseil national de recherches du Canada veut obtenir l’usage d’environ 2 000 mètres carrés où il pourrait « installer des laboratoires pour recherches secrètes de guerre d’une très grande importance », comme écrit l’historienne Hélène-Andrée Bizier dans son livre Université de Montréal : La quête du savoir.

C’est que les Britanniques cherchent à relocaliser leurs chercheurs en physique de Cambridge vers l’Amérique du Nord, afin de mieux collaborer avec les Américains. Comme eux, les scientifiques du Royaume-Uni ont pour objectif de mettre au point la bombe atomique avec leur projet Tube Alloys.

En août et en septembre 1942, des boîtes portant des étiquettes d’alcool fort font leur entrée dans le pavillon Roger-Gaudry : Johnnie Walker, John Dewar, Special Liqueur. Sauf que les paquets ne contiennent pas de quoi virer une brosse, mais bien des instruments et du matériel issus de différentes facultés de l’Université, étiquetés ainsi pour assurer la plus grande discrétion.

Publicité

Personne ne sait réellement ce qui se trame dans l’aile ouest du pavillon. Les professeurs et chercheurs se croisent, mais ne se parlent pas. La réalité est… qu’il ne se passe pas grand-chose, en fait. Michel Fortmann explique qu’au début du projet, la méfiance règne dans l’aile ouest du pavillon Roger-Gaudry. Et si des communistes se cachaient parmi les chercheurs étrangers ?

Bonjour Manhattan

L’ambiance change lorsque le président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt, et le premier ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill, signent secrètement l’Accord de Québec en août 1943, en marge de la conférence de Québec. Le projet Manhattan et Tube Alloys sont alors fusionnés.

Ça met un peu d’huile dans les relations de travail des scientifiques du Laboratoire de Montréal, où passent plus de 340 chercheurs canadiens, français, britanniques et américains.

Savaient-ils alors qu’ils participaient, d’une certaine manière, à la conception d’une bombe qui allait enlever la vie à des centaines de milliers de personnes? Non. L’objectif du projet Manhattan était inconnu de l’immense majorité des 130 000 scientifiques, militaires et ouvriers qui y ont prêté main-forte.

Publicité

Parmi eux, un seul scientifique canadien-français : Pierre Demers, aujourd’hui décédé. En entrevue à La Presse en 2015, il a expliqué que sa contribution à l’arme nucléaire avait été « lointaine ». « Je ne peux pas dire que je n’ai pas contribué à la bombe, concède-t-il. Mais [je l’ai fait] sans le savoir. »

Ce n’est que lorsque Little Boy est tombé sur Hiroshima qu’il a compris.

Le professeur Michel Fortmann estime lui aussi que l’apport de Montréal dans la conception de l’arme nucléaire est minime. « C’est difficile de séparer les recherches civiles des recherches nucléaires, mais il s’agit de recherche périphérique », précise-t-il.

Alors que cherchaient les scientifiques du Laboratoire de Montréal, exactement?

Crash course nucléaire

À l’époque, on savait que l’uranium 235 était fissible — une propriété nécessaire pour produire une bombe ou un réacteur — et qu’il était présent seulement en très petite quantité dans l’uranium naturel (0,7 %). De l’uranium naturel, au Canada, on en a un char pis une barge. Mais le processus permettant d’obtenir un composé enrichi d’uranium 235 (l’ingrédient clé de Little Boy) est long et coûteux.

Publicité

L’alternative principale était d’utiliser du plutonium 239 — ce qui s’est retrouvé dans Fat Man, la seconde (et dernière) bombe nucléaire américaine, qui a décimé Nagasaki le 9 août 1945. Mais ça non plus, c’est pas facile à obtenir. Ça n’existe essentiellement pas à l’état naturel.

C’est là que le Laboratoire de Montréal entre en jeu : il cherche (entre autres) une manière efficace de produire du plutonium 239 à partir de la fission nucléaire d’uranium naturel.

Mais pour se faire, encore fallait-il réussir la fission nucléaire. Et la contrôler! « Produire de l’énergie, mais sans qu’elle ne fasse exploser le système », illustre Michel Fortmann. L’ingrédient secret afin d’y parvenir : l’eau lourde, soit de l’eau dans laquelle le deutérium remplace l’hydrogène.

Ce qu’il reste du Laboratoire de Montréal

Et devinez quoi ? Ils ont réussi.

Ces recherches ont permis de mieux comprendre et dompter l’énigme nucléaire — qu’elle soit sous forme de bombe ou de réacteur.

Publicité

Car si le lien avec les bombes américaines est mince, la principale retombée de l’aventure nucléaire montréalaise est une infrastructure nucléaire à l’avant-garde : le réacteur nucléaire CANDU (Canada Deuterium Uranium).

Ce dernier a été créé au début des années 1960 à Chalk River, en Ontario, bien après la fermeture du Laboratoire en 1946. Il s’agit d’un réacteur générant de l’électricité avec (vous l’avez deviné) de l’eau lourde et de l’uranium naturel.

On pourrait quand même argumenter que les recherches du Laboratoire de Montréal ont bel et bien mené à une bombe. En 1954, une variation du CANDU est vendue à l’Inde, sous condition d’une utilisation pacifique. Or, on se rappelle que l’eau lourde et l’uranium naturel, ça peut permettre de « créer » du plutonium.

Et c’est exactement ce qu’on a retrouvé dans Smiling Buddha, la première bombe nucléaire indienne, qui a explosé lors d’un test en 1974. Il y avait donc, en quelque sorte, une pincée du pavillon Roger-Gaudry là-dedans.

Publicité