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Un contrat de vie commune, en as-tu vraiment besoin?
Cynthia* et son conjoint ont un enfant lourdement handicapé. Avant la naissance de leur petit, les deux partenaires gagnaient le même salaire, mais rapidement, Cynthia a été contrainte d’arrêter de travailler afin de prendre soin de leur fils à temps plein.
« Durant nos 11 années de vie commune, n’ayant pas de salaire, mon nom n’était nulle part », indique-t-elle.
« J’ai nommé longtemps que cet accord ne me plaisait pas, que je voulais mon nom sur la maison ou même payer un simple compte afin d’avoir un dossier de crédit pour me bâtir une santé financière, poursuit-elle. [Mon ex] n’a jamais voulu. J’avais autant de dépenses mensuelles que lui, que je payais seule grâce aux prestations que nous recevions, alors qu’il avait un salaire quatre fois supérieur. Je me suis évidemment endettée, j’ai raté des paiements sur ma voiture. C’était impossible de parler d’argent avec lui, il pognait les nerfs… »
Cynthia se sentait piégée. « Je sais que j’aurais dû mieux me protéger, mais je me sentais oubliée dans un système qui ne considère pas les aidants naturels et qui ne reconnaît pas la valeur du travail que j’accomplissais auprès de mon fils », mentionne-t-elle.
Il y a un an, le couple s’est séparé. « Comme nous étions conjoints de fait, je suis partie avec rien, déplore la maman. J’ai la garde à temps plein de mon fils, ça fait un an que je tente, avec l’aide d’un avocat, d’obtenir une pension que [mon ex] refuse de payer, j’ai eu énormément de difficulté à me trouver un loyer en pleine crise du logement, j’ai dû me rééquiper au complet… Bref, je pars de loin pour un jour espérer offrir à mon fils une maison et une belle qualité de vie. »
L’histoire de Cynthia est un exemple des dangers financiers qui peuvent guetter les conjoint.e.s de fait vivant sans contrat de vie commune.
Un contrat de quoi?
Selon Éducaloi, deux personnes non mariées entrent en union de fait (ou union libre) après un certain temps de vie commune (même si elles ne cohabitent pas!). Alors que le Québec est le champion mondial de l’union libre, notre province est la seule au Canada à n’offrir aucune protection légale pour les conjoint.e.s de fait.
Malgré sa baisse de popularité au Québec, le mariage offre l’avantage d’assurer une certaine protection financière aux époux en cas de rupture.
« À 20 ans, je n’aurais jamais pensé que plus de 30 ans plus tard, je ferais la promotion du mariage! », lance la sociologue de la famille Hélène Belleau.
Notre province est la seule au Canada à n’offrir aucune protection légale pour les conjoint.e.s de fait.
Hélène Belleau est professeure titulaire à l’INRS et spécialiste des questions de famille, de couple et d’argent. En février dernier, elle a publié, avec la professeure en droit Carmen Lavallée et la doctorante en sociologie Annabelle Seery, le premier rapport visant à cerner les arrangements juridiques et financiers des personnes en union libre.
La première partie du rapport est une cartographie de la province illustrant les écarts de revenus entre les femmes et leurs conjoints. Les données donnent le vertige : pour les couples ayant au moins un enfant, le revenu médian des hommes équivaut en moyenne au double de celui des femmes.
Pour l’instant, l’unique façon de se protéger des possibles déséquilibres et iniquités du couple – outre le mariage – est un contrat de vie commune, soit une entente conclue par écrit entre les deux partenaires et définissant leurs droits et leurs obligations durant la relation et lors de la séparation.
Hélène Belleau insiste sur l’importance d’effectuer ces démarches dès que la relation devient sérieuse, « parce que s’il y a des enfants, l’union libre devient un piège », affirme-t-elle sans détour.
Malheureusement, je comprends immédiatement ce qu’elle veut dire : lors d’un appel à tou.te.s visant à récolter des témoignages, une quinzaine de mères m’ont confié avoir envisagé une séparation avec leur conjoint.e, mais avoir reculé par manque d’indépendance financière.
Une décision mutuelle et éclairée, vraiment?
La moitié des personnes en union libre croient qu’elles disposent des mêmes droits que les couples mariés. Ce « mythe du mariage automatique » est en partie ce qui explique que moins de 5 % des Québécois.es en union libre établissent un contrat de vie commune.
Le rapport « Se marier ou non : une question de choix? » révèle que 49 % des personnes croient que le partage des biens se fait en parts égales lors d’une rupture et que 40 % croient que demander une pension alimentaire pour les ex-conjoint.e.s est possible.
Dans les deux cas, c’est faux.
« Aux yeux de la Loi, les conjoints de fait sont considérés comme des étrangers, peu importe le nombre d’années de cohabitation ou le nombre d’enfants issus de l’union », explique Hélène Belleau.
« Les mères paient encore plus le coût de la vie familiale qu’il y a quelques années, poursuit-elle. C’est pour ça qu’un contrat de vie commune est si important. Cela permet d’éviter les inégalités à long terme. »
Les avantages d’un contrat de vie commune
En union libre, il n’y a aucune garantie légale qu’un partage équitable du patrimoine familial (incluant tous les biens, la résidence ainsi que les épargnes et régimes de retraite) sera effectué entre les conjoint.e.s lors d’une s éparation. Et surtout, il n’y a aucune garantie que la « bonne volonté » sera au rendez-vous.
« Au moment d’une séparation, s’il n’y a pas de contrat entre les deux, la personne qui a son nom sur toutes les factures ne doit rien, légalement, à l’autre. »
« La personne qui a le plus gros salaire a plus de crédit, explique Hélène Belleau. C’est donc elle qui investit dans les biens ayant plus de valeurs, ceux nécessitant du financement par exemple. Pendant ce temps, l’autre personne paie le “liquide” : l’épicerie, les vêtements, etc. Donc, au moment d’une séparation, s’il n’y a pas de contrat entre les deux, la personne qui a son nom sur toutes les factures ne doit rien, légalement, à l’autre. » Et « l’autre » est souvent une femme.
Finalement, un contrat de vie commune aura des effets bénéfiques pour les enfants. Le rapport « Les enfants et la séparation au-delà de la coparentalité idéale… la réalité » révèle qu’une séparation sans encadrement légal augmente les écarts de niveau de vie entre les deux parents, ce qui peut mener au déracinement des enfants de leur milieu, par exemple, si l’un des parents doit déménager, n’ayant plus les moyens d’habiter le même quartier.
Les contrats de vie commune ne servent pas que les parents
Laurence et Steven ont réalisé un contrat de vie commune sans avoir d’enfant. « C’est d’abord lui qui a initié la conversation, car il voulait se protéger, raconte Laurence. Rapidement, en m’informant, j’ai compris qu’il fallait que je me protège moi aussi. »
Gagnant un salaire cinq fois plus élevé que celui de Laurence et nouvellement propriétaire d’un condo, Steven croyait à tort qu’en cas de séparation, sa conjointe pourrait s’enquérir de la moitié de ses biens. « Sauf que moi, j’ai tout vendu pour m’installer chez lui, mentionne Laurence. S’il décidait de se lever un matin et de changer la serrure, je n’avais plus rien. »
« Alors que j’ai enchainé deux congés de maternité, il a obtenu cinq augmentations et deux promotions. »
En passant chez le notaire pour le condo, le couple a donc signé un contrat de vie commune. Laurence a été soulagée par la simplicité du processus. « Steven a lui-même proposé une compensation financière si on se séparait, pour que j’aie les moyens de déménager et de me meubler », dit-elle.
Aujourd’hui parents de deux enfants, Laurence et Steven retourneront prochainement chez le notaire afin d’actualiser leur contrat. « J’ai une carrière que j’aime, ça va bien, mes affaires, mentionne Laurence. Je ne pensais jamais qu’à la mi-trentaine, je vivrais de l’iniquité salariale et que j’allais être dépendante financièrement de mon chum. C’est assez difficile sur mon féminisme, même si je sais que le travail que je fais en congé de maternité a autant de valeur. »
D’ailleurs, cette valeur est reconnue et considérée au sein de leur couple. Steven compense le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) de Laurence ainsi que son Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) afin de pallier les pertes financières qui viennent impérativement avec les congés parentaux. « Alors que j’ai enchainé deux congés de maternité, il a obtenu cinq augmentations et deux promotions », relate Laurence, reconnaissante que ces conversations habituellement tabous entourant l’argent soient faciles et naturelles avec son conjoint.
« Quand on n’est pas marié, c’est un gros mensonge de dire que ce qui est à moi est à toi et vice-versa. On s’aime, oui, mais l’amour maintenant n’assure aucune sécurité plus tard. On a donc trouvé une solution pour que j’aie plus de ressources pour l’avenir. »
*Prénom fictif