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Un collègue qui occupe le même poste gagne plus que vous. Vous faites quoi?

Parce que ce n'est jamais simple de parler d'argent... surtout avec son boss.

Par
Raphaëlle Drouin
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C’est en discutant avec un collègue que Julie* l’a appris: elle était payée 7$ de l’heure de moins que son ami qui occupait pourtant le même poste. Depuis deux ans.

Ayoye, ça fait mal.

«J’en ai parlé avec mon collègue et on a essayé de comprendre», me dit Julie.

D’abord, elle s’est tournée vers son syndicat pour tenter de déchiffrer la convention collective.

Elle se rend alors compte que les salaires sont déterminés par son employeur selon une échelle qui se base sur certains critères, notamment le nombre d’heures travaillées au sein de l’entreprise et l’expérience de la personne lors de son embauche.

Julie est au premier échelon et son collègue au troisième. Mais elle comprend mal pourquoi: elle travaille au sein de l’entreprise depuis plus longtemps que lui et leurs expériences de travail sont comparables.

Elle croit qu’il y a une erreur.

Le résultat

Mais comment s’y prendre quand on pense être payé injustement ou que notre salaire ne reflète pas la valeur de notre travail?

«J’avais l’impression de m’être fait avoir», m’explique Julie.

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Elle décide donc d’en parler à son employeur. Une conversation inconfortable, avec des supérieurs à qui elle n’a presque jamais adressé la parole (un des désavantages des grandes entreprises à l’organigramme infini).

«Il me faisait sentir comme si je mettais son avenir en péril si je le mentionnais.»

La correspondance est longue et elle sent peu d’ouverture de la part de ses boss. Les salaires sont confidentiels, si elle veut plus d’informations elle va devoir déposer un grief ou demander une enquête de rémunération.

«Mon raisonnement, ça a été: ça va être trop de trouble et je ne veux pas me mettre à dos un des plus grands employeurs dans mon domaine», me raconte Julie.

Pour en rajouter, son collègue lui demande de la laisser en dehors de tout ça. «Il m’a dit plein de fois qu’il comprenait comment je me sentais, mais pour lui l’implication s’arrêtait là. Il me faisait sentir comme si je mettais son avenir en péril si je le mentionnais».

Ne sachant pas si non plus si sa plainte était légitime ou non, Julie a préféré ne pas poursuivre ses démarches. Mais le mal était déjà fait: elle se sentait trahie, incomprise et a finalement décidé de démissionner.

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L’après-coup

Avec le recul, est-ce qu’elle aurait agi différemment? «Quand tu dois prendre cette décision-là, tu n’es pas dans un état mental bien stable. Tu es jeune et tu ne connais pas tes droits», m’explique Julie.

Des propos qu’entend souvent Valérie Tellier, avocate en droit du travail. Son verdict? «Il faut dire aux jeunes: affirmez-vous.»

«Quand on arrive quelque part, on ne demande rien à employeur, on lui offre quelque chose. On lui offre notre talent, notre intelligence, nos services. Même si on n’a pas d’expérience, on arrive avec un regard nouveau, des nouvelles idées», ajoute l’avocate.

Elle conseille aussi (aux jeunes comme aux moins jeunes) de laisser leur gêne de côté et de parler de salaire plus tôt avec leur employeur.

«Par expérience, les employeurs ne vous donneront rien de plus comme information que ce que vous demandez.»

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Si les employeurs ne sont pas obligés de révéler les salaires de tous les employés, ils peuvent (et doivent) expliquer à tout le moins ce qui motive ces salaires-là. C’est-à-dire quels sont les critères de rémunération.

Mais il faut le demander: «par expérience, les employeurs ne vous donneront rien de plus comme information que ce que vous demandez».

«Demandez une copie de la convention collective. Il n’y a rien de gênant là-dedans: c’est votre contrat de travail. C’est important», indique-t-elle.

Elle suggère aussi de passer par son syndicat, si on en a un, surtout lorsqu’un employeur semble réticent à collaborer.

L’employeur dans tout ça?

Pour Denis Morin professeur en gestion des ressources humaines à l’UQAM, c’est la responsabilité des boss de s’assurer que les employés comprennent bien pourquoi ils gagnent le salaire qu’ils gagnent.

«De pouvoir justifier, présenter, informer, former les gestionnaires et les employés sur ce qui les a amenés à rémunérer de telle façon, tu ne peux pas passer à côté», m’explique le professeur.

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Pour Denis Morin, c’est une façon non seulement d’assurer le lien de confiance entre l’employeur et ses employés, mais aussi d’éviter qu’il y ait au sein de l’entreprise des «perceptions d’iniquité salariale».

Mais selon Valérie Tellier, dans la pratique, les employeurs ne divulguent pas ce genre d’information «gratuitement».

«Aux États-Unis, tout le monde sait combien les autres font. En Europe, les salaires dans les entreprises d’une certaine taille sont publics.»

Une question, oui de confidentialité, mais aussi de culture. Parce qu’au Québec, on ne parle pas d’argent. «On est poli, on ne veut pas se vanter. Mais ce n’est pas une question de se penser meilleur que d’autres, c’est d’avoir le salaire qu’on mérite», explique l’avocate.

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Dans certaines entreprises, il est même interdit de discuter de son salaire, mais ce n’est pas comme ça partout: «Aux États-Unis, tout le monde sait combien les autres font. En Europe, les salaires dans les entreprises d’une certaine taille sont publics», indique-t-elle.

Si certains disent que parler de salaire entre collègues aide à réduire les inégalités, d’autres encouragent à la prudence.

«Il y a tellement de subtilités. Les gens vont faire des comparaisons qui sont erronées. C’est délicat et ça peut générer des problèmes», affirme le professeur Denis Morin.

Le prix de la (non) transparence

Pour Julie, il est clair qu’elle n’aurait probablement jamais su qu’elle était moins bien payée que son collègue si elle n’avait pas abordé le sujet au cours d’une conversation informelle.

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Et même si les semaines qui ont suivi ont été pénibles, elle voit quand même les choses d’un bon côté.

«La prochaine fois, je vais le savoir. Je vais en parler avant», me dit-elle.

*Le nom a été changé à la demande de la personne qui témoigne.