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Un avant-midi en terrasse comme ça faisait longtemps
Le 14 mars 2020, les restaurants du Québec ont été forcés de fermer leurs portes. Certains ont pivoté vers les ventes à emporter, d’autres ont préféré attendre pour voir comment la situation se déroulerait. L’été venu, ils ont pu rouvrir leurs salles et leurs terrasses, avec beaucoup de restrictions et de précautions. Puis, à l’automne, le rideau a dû se refermer, et une grande majorité des restaurants n’ont pas pu servir de clients à leurs tables depuis.
Mais il y a deux semaines, la bonne nouvelle est tombée: à compter du 28 mai 2021, les terrasses de restaurants pourraient rouvrir, deux semaines avant celles des bars, et le couvre-feu est officiellement levé.
Très vite, les restaurateurs se sont mis à contacter leurs équipes et ont dû remettre les opérations en branle pour être fin prêts pour le jour fatidique d’aujourd’hui. Mais quel regard portent-ils sur l’ouverture des leur terrasse, qui constitue en quelque sorte une date officieuse de notre liberté retrouvée?
Palco
Vers 10h, lorsque j’arrive au Palco à Verdun, où l’on met encore les touches finales à la terrasse. À l’intérieur, les employés travaillent comme des abeilles dans une ruche. Des litres de sirop simple s’empilent aux côtés de limes coupées, de pintes fraîches encore dans leur boîte.
S’il est fébrile à l’idée de rouvrir son restaurant, il reste assez stressé.
Zack Bennett, copropriétaire de l’établissement, me fait faire le tour. «On pourra asseoir une quinzaine de personnes sur la terrasse devant, et une autre trentaine derrière», m’explique-t-il. «On va aussi créer une extension à la terrasse devant, ce qui nous permettra d’atteindre dehors environ la même capacité qu’à l’intérieur. Les règles sont assez claires pour nous, mais j’ai peur qu’elles ne le soient pas autant pour les clients!»
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S’il est fébrile à l’idée de rouvrir son restaurant, il reste, comme pas mal des restaurateurs avec qui j’ai pu m’entretenir, assez stressé. Après plus d’un an sans clients en salle, tout le monde se sent un peu rouillé, voire anxieux. Heureusement, l’Association des restaurateurs du Québec a fait paraître un document détaillant ce qui serait permis ou pas sur les terrasses, à compter d’aujourd’hui. Avec ces mesures, les restaurants ont pris des décisions différentes, dépendamment de l’espace extérieur dont ils disposent.
«Je me sentais un peu plus positif l’été dernier», me confie Zack. «J’avais l’impression qu’on rouvrait pour vrai, qu’on aurait un bel été. Mais les règles étaient moins claires et encadrées, on a dû jouer à la police beaucoup, avec les clients. On était auparavant un bar de quartier, mais à événements. Il y avait des groupes, du karaoké, des DJs. C’est plus dur à faire quand la salle à manger est fermée et que le last call est à 23h!»
Bucky Rooster’s
De l’autre côté du canal Lachine, à Saint-Henri, le pop-up devenu sensation virale Bucky Rooster’s se prépare lui aussi à recevoir ses premiers clients en terrasse depuis l’été dernier. Le restaurant à l’esthétique bien léchée fait des ravages sur les réseaux sociaux, avec ses seaux de poulet frit de première qualité et ses tartes qui rappellent une époque révolue où les desserts de diners trônaient encore dans leur cloche en verre, sur le comptoir.
Pas du genre à faire les choses comme les autres, le resto a opté pour une terrasse sans chaises. Plutôt, de hautes tables espacées permettent aux clients de se poser et prendre une pinte en attendant leur commande, ou de manger à la va-vite avant de se diriger vers le canal ou le parc.
Les courriels et les appels pour des réservations pour la terrasse ne cessent de s’empiler.
«On a créé le restaurant durant la pandémie, donc il y a beaucoup de détails auxquels on avait pensé d’avance», me dit Clara Mesguen, gérante et maîtresse des lieux. «Toutes nos tables sont déjà à deux mètres de distance, on a peint des cercles autour pour que les gens restent dans leur bulle. De ne pas avoir de chaises aide aussi à ce que plus de gens puissent venir en profiter».
Depuis la dernière semaine, les courriels et les appels pour des réservations pour la terrasse ne cessent de s’empiler. L’équipe doit donc expliquer aux clients qu’ils ne prennent pas de réservations, mais qu’ils peuvent tenter leur chance pour se trouver une table s’ils viennent en personne.
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Ce que l’équipe est curieuse de voir est l’effet qu’aura la levée du couvre-feu sur leurs opérations. «Avant, on fermait à 21h, et après c’était que de la livraison. Donc on a hâte de voir si les gens viendront en personne jusqu’à 23h, ou s’ils continueront à se faire livrer», conclut Clara. «La réouverture des salles ne nous fait pas peur. Je crois que ce qu’on offre est différent, c’est une expérience qui ne se vit pas en salle. On s’attend à un autre bel été!»
Grinder
À 11h45, je me pose sur un banc près du restaurant Grinder, dans Griffintown. Je regarde toute la jolie clientèle arriver. Piliers-bars de l’institution qui arrivent en berlines de luxe, jetant les clés au valet comme s’ils rentraient finalement à la maison après un long voyage. Des tech bros du quartier guettent les tables libres avec anticipation; un vieux couple chic (somptueux ensemble Burberry pour elle, chemise Turnbull & Asser parfaitement taillée pour lui) qui a clairement ses habitudes ici s’installe près de moi. Lorsqu’on m’assoit sur la terrasse (avec vue imprenable sur l’essaim de clients qui fourmille devant la porte), le couple ne cache pas leur excitation de retrouver leur table favorite.
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«Ça fait trois semaines que je suis au téléphone plusieurs heures par jour, à peu près tous les jours… Nos week-ends sont complets pour les prochaines semaines!» soupire en riant Jessica, coordonnatrice aux réservations pour le Grinder et son petit frère, le Makro. «On s’est bien préparé: on a des chaufferettes pour le soir, des parasols en entonnoir, au cas où il pleuve, et les deux terrasses intérieures qui sont plus ou moins couvertes».
Certains restaurants préfèrent même attendre avant de rouvrir, de peur qu’ils ne ferment de nouveau.
Un des commentaires qui revient souvent est justement cette crainte qu’il manque d’une chose ou d’une autre; de ne pas être adéquatement préparé pour toutes les situations. Après tout, chaque fois qu’ils ont pu rouvrir, les restaurants ont dû vite s’adapter à de nouvelles mesures, des contraintes additionnelles. Certains restaurants préfèrent même attendre avant de rouvrir, de peur qu’ils ne ferment de nouveau dans quelques semaines.
Taverne sur le Square
En quittant le Grinder, après avoir dégusté ma première bière en terrasse de l’année, j’appelle Jon Cercone de la Taverne sur le Square, à Westmount, pour voir comment ça se passe chez eux.
«Ça se passe bien, man!» me dit-il, interrompant la conversation chaque quelques secondes pour diriger son équipe avec la rigueur et l’attention au détail qui ont fait la réputation de son établissement. «On est pas mal prêts; si quelque chose fuck up, c’est que c’est hors de mon contrôle. Je ne peux pas contrôler le comportement des clients ou la météo, donc on verra comment ça se passe.»
«Je me fous si tel ou tel accepte de le faire, je vais faire ce que je fais et respecter les règles!»
La terrasse de la Taverne affiche elle aussi complet pour les jours qui viennent. Pour optimiser leurs opérations, les propriétaires ont décidé de n’accueillir que des réservations pour deux personnes ou pour des familles complètes. «Je dois dire que je suis assez fâché contre un certain nombre de mes consoeurs et confrères, qui ne se plient pas aux directives de l’ARQ. Ça fait que des clients m’appellent et pensent que je mens, quand je leur dis que je ne peux pas accueillir un groupe de six personnes d’adresses différentes. Je me fous si tel ou tel accepte de le faire, je vais faire ce que je fais et respecter les règles!», se livre Jon avec un ton moqueur.
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La pénurie de main-d’œuvre avec laquelle doit composer le monde de la restauration au Québec affectera aussi les réouvertures de ce week-end. Zack du Paco me dit avoir commencé à recruter au mois de février, afin que les futurs employés soient prêts pour aujourd’hui. De son côté, Jon Cercone a pu garder une majorité de ses employés prépandémiques, alors que le Grinder s’est doté d’une nouvelle horde de jeunes étudiants dynamiques pour l’été.
Ne reste plus que les clients soient au rendez-vous, et qu’ils se plient aux directives de la Santé publique et de l’ARQ. Car les restaurateurs s’entendent pour dire qu’ils ne veulent pas passer un autre été à faire la police en salle. «J’espère que ça ne sera pas comme l’an dernier, où les clients débutent la saison en se conformant aux règles, et les oublient progressivement au long de l’été, sous prétexte qu’ils sont doublement vaccinés ou peu importe. Je comprends que les gens sont frustrés et tannés des règles, mais ce n’est vraiment pas le temps d’abandonner nos bonnes habitudes», conclut Cercone. «La sécurité reste le mot d’ordre!»