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«Type II fun» : quand on peut dire «c’était l’fun finalement» après une aventure désastreuse

C'était vraiment chiant, mais c'était aussi plaisant.

Par
Gabrielle Thouin
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Une bande-annonce d’un film de plein air passe dans un feed de réseau social : gros vent et poudrerie, pluie à 45 degrés, musique dramatique. Les protagonistes ont le visage déformé par la douleur, le froid et l’humidité qui les ronge. Ça a l’air rough.

Entre quelques phrases qui les glorifient sur un fond noir, on apprend que l’aventure s’est étendue sur 18 jours. Puis, surgit l’image d’un.e des héros/héroïnes, tout sourire et le regard fier, sur la dernière note de cette trame enlevante.

Fin.

L’algorithme vous propose une prochaine vidéo.

Mais ont-il vraiment aimé ça…?

Oui, et c’est pas aussi étrange que vous pensez. Le phénomène porte même un nom : le type II fun, ou comme nous l’appellerons dans ce texte, le type 2. Hein? Il y a différents types de fun? À ça aussi, je réponds oui. Voici comment ça fonctionne.

Une chose et son contraire.

Pour expliquer la notion du 2e type de plaisir, il faudrait d’abord présenter son ami, aimé de tous, le plaisir de type 1.

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Le type 1, c’est le plaisir constant : avant-pendant-après une activité. Magnifique journée ensoleillée, rencontre de petits chevreuils au rendez-vous et bière froide au sommet de la montagne. Merveilleux.

c’est lorsqu’on termine cette aventure qu’on regarde en arrière et qu’on se dit «Hey, c’était le fun finalement.»

Le type 2, de son côté, est une drôle de bibitte. Il survient quand une sortie se passe plus mal que prévu : briser une bretelle de son sac à dos de 80 litres au début d’une randonnée, affronter une pluie battante pendant 5 heures, se perdre sur le sentier et devoir passer par des avenues dangereuses pour revenir au campement… Au minimum, ça vous fait faire une petite moue de « j’m’en serais ben passé », au fond du baril ce sera plus « &#?$ j’ai hâte que ça finisse ».

Mais c’est vraiment lorsqu’on termine cette aventure qu’on regarde en arrière et qu’on se dit «Hey, c’était le fun finalement.» Ça, c’est le type 2.

Marie-Josée Talbot, guide pour l’agence de voyages Karavaniers, s’y connaît en la matière. Celle qui accompagne des groupes qui passent de longs séjours en autonomie complète au Groenland et dans les terres de Baffin (pour ne nommer que ceux-là), observe que le plaisir de type 2 survient après des moments où des limites personnelles doivent être dépassées.

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« Pour moi, c’est un mélange de plaisir, de satisfaction et de fierté que tu éprouves après les moments difficiles. Sur le coup, on est trop concentré.e.s pour avoir un grand rire ou s’amuser à 100%, mais c’est vraiment (d’avoir surmonté) ce moment qui nous en fait baver, dont on va être le plus fier.ère.s.», m’explique-t-elle.

À deux, c’est mieux

Quand on se faisait chicaner par nos parents à 4 ans après avoir dessiné sur les murs du salon, on était petit.e.s dans nos culottes. Quand notre frère/soeur se faisait aussi chicaner avec nous parce que c’était lui/elle qui nous avait donné les crayons cachés sur la plus haute tablette de l’armoire… on était juste un peu moins petit.e.s, dans les mêmes culottes.

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Même chose avec le fait de souffrir dans la nature, selon Marie-Josée. C’est moins pire quand on est plusieurs.

«C’est vraiment plus rassurant de voir que t’as 7 autres personnes dans la même misère que toi.»

Non seulement on est plus courageux.ses ensemble, mais elle me fait remarquer que l’esprit de groupe désamorce vraiment le grognon qui sommeille en nous dans ce genre de situation : «C’est vraiment plus rassurant de voir que t’as 7 autres personnes dans la même misère que toi. Même dans un groupe où il y aurait une personne moins positive, il y a toujours 4-5 membres pour rallumer les autres dans les moments plus difficiles.»

Quand on décide de partir seul.e, c’est une autre paire de manches. Parlez-en à Sarah Dostie-Ménard, une jeune cycliste qui s’était donné le défi de faire le tour de la Nouvelle-Zélande à vélo, solo. Elle a fait face aux forts vents de la place, des bourrasques de 40 à 60km/h à certains moments.

«Je comptais chaque kilomètre. Je pleurais sur mon bike, je criais, j’étais en cr*** contre la nature et contre la vie presque! »

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«Ça m’a pris 2 mois. Je me souviens d’une journée où j’avais pas le choix de parcourir 100 kilomètres. Dès les premiers mètres, je me suis rendue compte que ce serait compliqué d’arriver à mon camping le soir. Il y avait de gros vents, il s’est même mis à pleuvoir. Je comptais chaque kilomètre. Je pleurais sur mon bike, je criais, j’étais en cr*** contre la nature et contre la vie presque! »

Mais aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose qui rend Sarah plus fière que cet exploit physique et mental. « C’était en 2015, et j’en parle encore souvent. Je me suis poussée à la limite, j’ai tellement appris sur moi et je suis encore fière de moi », me confie-t-elle.

Regardez cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Sarah dostie-ménard🌻 (@zazz_)

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Retomber sur ses patins

On s’entend que dans toutes les sphères de notre vie, on espère toujours vivre du plaisir de type 1. Mais étant donné que les sports extérieurs impliquent d’être dépendants de la météo, c’est souvent là que le p’tit frère #2 nous attend dans le détour.

Quand je demande à Marie-Josée combien de groupes de voyage des Karavaniers risquent de vivre des expériences qui fricotent avec le type 2, sa réponse est claire. « Pas mal tous les groupes. On prépare bien nos voyages et nos voyageurs, mais il peut tellement arriver de choses… On ne peut pas toujours tout prévoir ».

Et combien de personnes voudront revivre ces aventures, même après avoir momentanément souffert ? Elle estime que ça frôle le 99%.

«On a marché 1h pour se rendre compte qu’on était même pas sur la bonne montagne…» Ouin.

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Dans ce petit échantillon-là, Sales Moussaoui est impatient de pouvoir finalement relever un défi qu’il s’était lancé avec une amie à la fin de l’été 2019. En toute honnêteté, c’est mon ami, et j’étais avec lui ce jour-là. On s’est remémoré cette histoire ensemble : « On voulait aller monter le mont Haystack dans les Adirondacks. C’était la première fois qu’on allait dormir sur une montagne. On a marché 1h pour se rendre compte qu’on était même pas sur la bonne montagne…» Ouin.

Après une recherche de quelques heures infructueuse, on s’est rabattu sur un autre sommet random inconnu. « On a pas pu se rendre au sommet, puisque la nuit tombait. En bons novices, on avait plus assez d’eau pour cuisiner notre souper déshydraté, donc on a mangé des noix et des concombres pour souper. Un énorme vent qui frappait la tente nous a empêchés de dormir presque toute la nuit ».

Mais malgré tout ça, on est plus motivé.e.s que jamais à retourner dans les Adirondacks. «On a tellement hâte que les frontières rouvrent pour pouvoir aller monter ce foutu mont», assure Sales, un peu orgueilleux.

Sales qui cherche encore le mont Haystack
Sales qui cherche encore le mont Haystack
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Entendre ces histoires d’épreuves surhumaines peuvent en faire reculer certains, qui se disent qu’ils n’auront jamais de plaisir après avoir porté des bottes humides tellement longtemps qu’ils en ont les pieds moisis (oui, ça arrive ce genre de choses).

Ça ne veut pas dire que le type 2 est réservé seulement aux expert.e.s. Marie-Josée estime elle aussi que chacun.e a sa propre limite dans ce genre de sorties, et qu’il s’agit de faire preuve d’un peu de persévérance et de la dépasser pour être fier.ère.s de soi et d’en tirer du plaisir.

« Tout le monde peut en retirer quelque chose. Quand on commence, c’est toujours plus facile de s’amuser en s’entourant de gens, mais je pense vraiment que tout le monde peut profiter d’une expérience avec des embûches ».

Voilà. La prochaine fois que vous défoncerez votre canot sur une roche parce que vous n’avez pas écouté le petit Sébastien, 14 ans, au stand de location de canots, qui vous disait d’éviter la berge à l’est du lac, et que ça vous vaut une nage imprévue dans l’eau froide, rappelez-vous que c’est pas grave si vous n’avez pas eu de fun sur le coup.

L’important, c’est peut-être finalement d’en avoir après.

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