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«Tu rêves en couleur si tu penses que tu peux faire des milliers en sortant de l’école des arts»
Quand j’arrive à joindre Maxilie Martel, alias Mono Sourcil, elle est au Colorado pour l’événement Art in the streets. Elle y reste 10 jours pour peindre une murale.
Ses œuvres, vous les avez sans doute déjà vues en arpentant les rues de Montréal. Des dizaines de personnages hauts en couleur (littéralement), regroupés en une foule de visages aux expressions multiples et au look humanoïde. Ce style, ça fait des années qu’elle le perfectionne en s’investissant à 100% dans son art et en travaillant fort pour se faire un nom.
Aujourd’hui, elle vit de sa passion. «Ça prend du temps pour pouvoir en vivre, j’ai bossé longtemps gratuitement et je ne veux pas faire de mon cas une généralité», prévient-elle.
Le business des murales
Le budget pour une murale varie d’un projet à l’autre. Maxilie explique que si elle arrive à décrocher une subvention ou à participer à un programme, elle peut aller chercher entre 5000$ et 15 000$. «Mais tu peux avoir [à débourser] jusqu’à 6000$ de dépenses. Pour ma dernière murale sur la rue Berri, le budget était de 14 000$ et au final dans mes poches il ne me reste que 7000$ ou 8000$».
Si ces dernières années elle a pu observer une croissance dans le nombre de contrats qu’elle décroche (une murale en 2016-2017 contre cinq en 2020), c’est parce qu’elle a pris le temps d’étoffer son portfolio, un outil essentiel pour obtenir des subventions. «Au début, tu fais des projets à perte, pour toi et ton portfolio et après ça prend de l’envergure», explique-t-elle.
Dans les dernières années, elle arrivait à se faire annuellement entre 15 et 20 000$, et pour 2020 elle espère pouvoir atteindre 30 000$. «Mais ce salaire ce n’est pas qu’avec les murales, dit-elle. C’est 70% les murales, et 30% qui proviennent d’autres projets artistiques.»
Le salaire de la sueur
Ce qu’on comprend très vite en écoutant Maxilie parler, c’est qu’arriver à se tirer un salaire avec son art exige des sacrifices et des années de travail acharné. «On s’investit et on bosse fort pour en vivre. Puis on n’est pas les personnes les plus riches, j’ai toujours eu un mode de vie assez économe, dit-elle. Je suis en colocation, mes dépenses ne sont pas élevées, donc ce n’est pas un problème de vivre avec un 15 000$ par année.»
C’est clair que la profession d’artiste ne se retrouve pas en haut de la liste des professions avec la sécurité d’emploi la plus élevée. Maxilie est indépendante et opère seule, ses revenus dépendent donc de sa capacité à se trouver des contrats. «Quand je travaille sur un projet, ça prend au moins six mois de procédures. On contacte, on croise les doigts en attendant les réponses. On stresse, on angoisse, on est constamment dans l’insécurité», raconte-t-elle.
Une incertitude présente depuis ses premiers pas en tant qu’artiste à temps plein.
Tenter le tout pour le tout
Ça fait plus de dix ans qu’elle fait du street art, mais l’élément game changer dans sa carrière est arrivé quand elle décide de se lancer full time en tant qu’artiste. Avant ça, elle alternait avec une job de serveuse. Après avoir perdu son emploi et avec seulement 10 000$ d’économies en banque, elle tente le tout pour le tout. «Je me suis dit qu’avec ça, je pouvais vivre un an, se souvient-elle. J’ai pris le risque et j’ai lancé ma carrière d’artiste.»
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Sur cette première année, elle n’a presque pas fait d’argent. Mais alors qu’elle arrive à la fin de ses économies, elle finit enfin par avoir des réponses positives aux demandes de subvention pour des projets. «Au printemps, j’ai eu des retours sur mes applications, j’ai eu de l’argent qui a commencé à rentrer et j’ai pu avoir un 8000$.»
De quoi lui permettre de tenir encore un peu de temps.
La cle du succès: la visibilité
Ça fait maintenant cinq années qu’elle en vit. Son secret? Elle n’a jamais refusé un projet s’il est synonyme de visibilité. «Même si on ne mange pas avec la visibilité, j’accepte pas mal n’importe quoi si [la visibilité] est bonne», dit-elle.
Le contrat actuel au Colorado est un bon exemple. Payé 2000$, moins le billet d’avion et le matériel il lui restera sûrement autour de 1000$ à la fin, soit pas grand-chose pour une murale de 40 pieds par 20 pieds. «Ce qui est intéressant c’est de sortir de mon territoire, et d’essayer lentement d’avoir des contrats qui ne se limitent pas qu’au Canada ou à Montréal.»
C’est une philosophie de travail qu’elle applique depuis les early days. Au début elle ne se faisait jamais payer. «Quand tu commences, tu donnes beaucoup pour essayer de te faire un nom. T’es pas en demande, personne ne te connait, tu rêves en couleur si tu penses que tu peux faire des milliers en sortant de l’école des arts.» La rentabilité qu’elle atteint depuis quelques années, elle la doit à son talent et à son acharnement qui a fini par payer, mais son parcours est loin d’être un fleuve tranquille. «Si t’es pas prêt à vivre de façon minimale, ce n’est pas une job pour toi!», s’exclame-t-elle.
Se libérer de la contrainte
Si Maxilie accepte des projets pour de la visibilité, elle pose tout de même ses limites. Un critère qui la suit depuis ses débuts: avoir le contrôle créatif. Là-dessus, pas de place pour le compromis: «J’applique à des projets où j’ai carte blanche, je ne veux pas avoir de contraintes artistiques.»
Elle ne souhaite pas être poussée dans des directions qui ne lui correspondent pas. Puis les contrats avec des guidelines, ça ne l’inspire pas, donc elle n’accepte pas les commandes.
Elle a toujours évolué en freelance, une situation qui comporte ses avantages et ses inconvénients. «Des fois je trouve ça plate car le temps que je prends pour faire une demande je ne l’utilise pas pour faire de l’art, mais quand j’obtiens un contrat je n’ai pas à partager la rémunération.»
L’impact de la COVID-19
Quand je lui demande si la COVID l’a affectée, elle répond que ça a surtout eu un impact sur son mental. À un certain moment, tous ses contrats étaient en stand-by alors que 2020 s’annonçait comme sa meilleure année à date. «C’est comme si on te donnait le plus beau cadeau du monde puis qu’on te le reprend.» Ouch.
Finalement tout s’est bien aligné et elle a pu participer à différents projets, dont le festival MURAL de Montréal. Elle reste néanmoins incertaine pour l’avenir, les effets de la COVID sur son milieu se feront plutôt ressentir l’année prochaine. «Est-ce qu’il y aura autant de programmes ou de subventions? C’est plus ça la question.»
Maxilie demeure tout de même positive. Après le struggle des dernières années pour percer en tant qu’artiste, on peut dire qu’elle en a vu d’autres. Elle est plutôt solution-oriented comme personne, avec une vision claire de ce qui est important pour elle.
«Mon meilleur salaire, c’est de pouvoir gérer mon temps comme je le veux», termine-t-elle.