Le 9 mars 2020, enceinte de 41 semaines, je vais manger à L’Express. Probablement de loin la chose la plus téméraire que j’ai faite de toute ma vie. Entourée de gens vraiment volubiles collés les uns sur les autres, ce n’est pas dit qu’une ou deux gouttelettes de producteurs très enthousiastes n’ont pas trôné sur mon croque-monsieur ou qu’il n’y avait pas un p’tit peu de charge virale sur le pot de cornichons…bref ! On débutait dans la pandémie, on n’était pas encore super bon. On n’a rien attrapé, thank god ! En Italie, le nord surtout, on rapportait des centaines de morts. D’ici, on regardait ça avec stupeur, mais avec distance, malgré les cas qui augmentaient. Le jeudi 12 mars, Robin, mon chum, va faire une grosse épicerie au MAXI parce que c’était clair qu’avec un bébé naissant ÇA-NE-NOUS-TENTERAIT-PAS-DE-SORTIR-PENDANT-AU-MOINS-1-AN ! (ha ha ha) Il est revenu meurtri, le monde s’arrachait le papier de toilette et y avait plus rien dans les étagères de boîtes de conserve…?!
Au moins, on était setté pour plusieurs jours.
La France annonce qu’on ne peut plus se serrer la main. Sont ben intenses.
Ici, on confirme que toutes les écoles et les garderies ferment, on met le Québec « sur pause ». Hé ben.
Dimanche 15 mars. C’est la fête de Robin. 40 ans. 40 ans en quarantaine ! Promis que le jeu de mots était encore drôle le 15 mars à 9h15 ! Même si le rendez-vous pour la césarienne à Sainte-Justine est prévu pour 6h00 du matin le lendemain, ma mère nous cuisine une grosse Paella de fête. On chante « Bonne fête daddy » j’ai oublié d’y acheter un cadeau (mommy brains) et on se couche. Le 16 mars aux aurores, on part pour Sainte-Justine. Juste avant de partir, Robin pense à mettre le reste de la Paella dans un contenant Ziploc pour l’apporter avec nous. Ça donne faim accoucher. Ouais…okok.
On part: valises, siège de bébé, couches, Paella, un peu de peur. Arrivés à Sainte-Justine, tout est encore normal. Mon amie Noémie Yelle est là. C’est mon accompagnante à la naissance et elle m’accompagne quand même malgré la césarienne : une vraie ! Elle est là, souriante, rassurante, est-ce qu’elle sait combien sa présence est précieuse ? Combien son humour et son amitié m’ont fait tout le bien du monde? Les infirmières arrivent, on me prépare et on m’amène dans la salle d’opération.
(Parenthèse ici : une césarienne, on va se le dire, c’est stressant. OK. Merci.)
on se croirait presque en croisière, malgré cette étrange sensation que quelqu’un m’ouvre le corps.
L’anesthésiste, formidable-gentille-humaine, sent ma peur et me demande si j’aimerais un p’tit cocktail pour me faire feeler un peu « 5 à 7 ». J’accepte, ça tourne, mais ça calme. Robin, toujours soucieux de la qualité de l’ambiance, demande si on peu mettre de la musique. Les trompettes suaves et le piano effréné de Dizzy Gillespie (Dizzy On The French Riviera) jouent ouvert au boutte dans la salle d’opération, la fabuleuse Dr. Duperron est de bonne humeur, on se croirait presque en croisière, malgré cette étrange sensation que quelqu’un m’ouvre le corps.
(Autre parenthèse là : une césarienne, on va se le dire, c’est-pas-si-plaisant. OK. Merci.).
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Il est 9h09 heure de l’Est sur la planète Terre, le 16 mars 2020 quand tu émerges dans cette étrange ambiance de wrap-party et de guerre. Tu es beau, tout rond, tout parfait. Je pleure de joie, d’étrangeté, d’amour. De retour à notre chambre, Robin va réchauffer sa Paella dans la cuisinette. Juste après lui, un concierge vient coller un gros ruban jaune « DO NOT TOUCH » sur le micro-ondes. La fête est terminée.
Est-ce que ce sont les algorithmes de notre cerveau qui nous influencent? Il est clair à ce moment-là que tu t’appelleras Milan. Comme la ville du nord de l’Italie. Cette ville blessée, qui tente de survivre, mais que nous avions tant aimée il y a 3 ans lors de ce voyage dans cette vie qui, on ne le sait pas encore très bien, nous paraîtra si lointaine bientôt.
tu es né le premier lundi « ouvrable » fermé de la pandémie, sur des accords de jazz en pleine dérape de la vie humaine.
Milan Cool (Cool, oui ton vrai nom de famille, tes racines acadiennes/écossaises, gage de résilience, lègue inestimable ces temps-ci) tu es né le premier lundi « ouvrable » fermé de la pandémie, sur des accords de jazz en pleine dérape de la vie humaine. Tu nous as été d’un grand réconfort durant ta première année de vie.
Merci mon bébé, je t’aime et je te promets qu’un jour tu pourras faire des choses vraiment spéciales comme m’accompagner à l’épicerie dans le panier en tenant une orange dans tes petites mains ou être déposé tendrement dans les bras de tes grands-parents.
Bonne fête mon bébé,
Maman