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Trouver une pépite d’or dans un paquet de cartes de hockey

Gambling et pandémie chez les collectionneurs.

Par
Jean Bourbeau
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Je me rappelle bien l’époque où mon père m’amenait à la boutique Collecto Sports sur la rue Lindsay. Si j’étais chanceux, nous repartions avec une petite boîte blanche qui contenait une précieuse collection d’Upper Deck. Je pouvais passer des heures à étudier fièrement les cartes de mes joueurs préférés. Je les ai encore, oubliées quelque part à ramasser la poussière, mais soigneusement classées dans leurs cartables.

Les temps ont bien changé depuis les années 90 de mon enfance. Les cartes sportives sont devenues, plus que jamais en ces temps pandémiques, une sérieuse forme d’investissement. Leur valeur passe de quelques dollars à de petites fortunes. Galvanisé par des enchères stratosphériques et un engouement sans précédent nourri par les médias sociaux, le hobby est désormais un territoire pour adultes averti.e.s.

Curieux de cette transformation vertigineuse, j’ai interrogé quelques membres de la communauté des cartes de hockey afin de mieux saisir ce nouvel eldorado financier. C’est tout un univers qui s’est ouvert à moi.

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« Si tu parlais à ma blonde, elle dirait que c’est une maladie. Mais pour moi, c’est une passion », lance au bout du fil Étienne Leduc.

«La passion est rendue du gambling. Le but est de dénicher le prochain poulain pour enrichir son portefeuille.»

Chaque collectionneur entretient une perception et une relation très différentes avec les cartes. Certains se considèrent comme de vrais collectionneurs alors que d’autres opèrent davantage dans une perspective d’investissement. Ils suivent les conseils d’influenceurs et analysent les graphiques au quotidien. Une approche somme toute très proche du day trading.

« Ils veulent trouver la grosse carte, le prochain joueur hot et le flipper », souligne l’homme de 40 ans qui voit son profil plus traditionnel « d’accumulateur » de plus en plus rare. « La passion est rendue du gambling. Le but est de dénicher le prochain poulain pour enrichir son portefeuille. »

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À lire la grande quantité de littérature sur le sujet, le monde des cartes de hockey est devenu, au cours des deux dernières années, d’une extrême volatilité. Ça monte, ça descend, il y a des vagues, des effets de mode. Miser sur des joueurs d’exception semble une façon sûre d’obtenir un rendement à long terme. Étienne a principalement misé sur la super-vedette Sidney Crosby, possédant plusieurs de ses cartes les plus convoitées.

En ce moment, le joueur avec la plus forte inflation est Alexander Ovechkin. Le franc-tireur des Capitals de Washington se rapproche dangereusement du record de buts du légendaire Wayne Gretzky. La carte recrue du capitaine vaut aisément dans les quatre chiffres et toute la scène se l’arrache en ce moment, sachant que s’il réussit à battre le record, la valeur de l’objet sera décuplée.

«Une boîte neuve leur fait croire qu’elle cache le holy grail, une Ovechkin qui va changer leur destin. Pareil qu’au casino.»

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Cette nouvelle manne vient toutefois avec son lot de risques financiers. « Beaucoup de nouveaux collectionneurs n’ont pas tant d’argent et c’est devenu un passe-temps très dispendieux, souligne Étienne Leduc. Une boîte neuve leur fait croire qu’elle cache le holy grail, une Ovechkin qui va changer leur destin. Pareil qu’au casino. C’est pour certains une dépendance sérieuse. Espérer trouver une carte rare au lieu de mettre de la bouffe sur la table pour leurs enfants. »

«Grâce à ma collection, j’assure une mise de fonds future sur la maison de chacun de mes enfants.»

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Le basketball connaît également une grande fluctuation des prix, pompé par un marché américain en plein essor. « Petite histoire, un ami a acheté une Lebron James année recrue au prix de 18 000 $ au début de la pandémie, raconte Étienne. La série The Last Dance est lancée et connaît un succès monstre. La valeur de sa carte grimpe jusqu’à 350 000 $. Il pense qu’il est riche, mais il attend, espère que ça va monter encore et encore. Et ça crash. Aujourd’hui, elle vaut 75 000 $. Il est toujours profitable, mais il sait qu’il a passé à côté d’une immense somme et encore aujourd’hui, ça a un impact sur sa santé mentale. »

J’ose demander à Étienne quel est le ratio d’investissement entre son revenu professionnel et sa collection personnelle. « J’aime mieux garder secrète la valeur de ma collection. Mais j’estime faire un rendement actuel de dix à vingt fois le prix d’acquisition. Je peux te confier que je mets entre 50 et 100 000 $ par année dans les cartes. Ça peut paraître beaucoup, mais c’est en fonction de mon salaire. J’ai une business, je gagne bien ma vie. Ça doit toujours rester équilibré. Ultimement, grâce à ma collection, j’assure une mise de fonds future sur la maison de chacun de mes enfants. »

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Le marché est tellement en ébullition en ce moment qu’une carte est synonyme de liquidité. Les ventes se font presque dans l’instantané sur les nombreux groupes Facebook, par l’entremise de razz ou sur eBay.

Jonathan Blouin développe quant à lui une approche beaucoup plus « joueur ». Bouger ses cartes est son modus operandi. Un artisanat finement étudié. « Ce qui me fait le plus tripper, c’est les espoirs, mentionne-t-il. Tenter de dénicher les cartes moins connues qui vont exploser. Dans l’idéal, t’es pas là pour faire de l’argent, mais ça devient rapidement un jeu de stratégie. Tu lis sur les joueurs plus effacés, des inconnus en début de carrière qui ont un potentiel de prise de valeur. C’est un mélange entre du scouting et du gambling. »

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Le jeune homme, originaire de Saint-Eustache, fait rouler son inventaire. Il possède peu de cartes de grande valeur, mais flippe beaucoup, transige, mise sur le volume de petits gains.

«Quand j’ai commencé ma collection, j’avais des amis qui allaient en voyage, moi je m’en privais pour acheter des boîtes.»

Conscient du danger monétaire qui plane sur le milieu, Jonathan Blouin a pris l’initiative de séparer ses revenus personnels et ceux des cartes. « J’ai un compte de banque juste pour mon hobby. Je réinjecte mes profits dans ce compte qui, avec le temps, est autosuffisant. Il y en a tellement qui basculent dans le dark side. Il faut que tu restes vigilant pour investir au bon moment. Comme à la Bourse. C’est excitant, mais je suis conscient que je ne vais pas m’acheter une maison avec mes gains et qu’il est facile de dérailler, d’oublier ses responsabilités financières. Ça reste sain, mais je dirais pas non à une McDavid signée pour ma retraite », dit-il en riant.

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Dans les années 90, Dominic C. – qui désire garder son nom confidentiel – analysait déjà les prix avec l’aide des guides Beckett, véritables bibles pour tout collectionneur débutant. Sa collection a pris au cours des derniers mois une valeur considérable. « En ce moment, j’ai un total de 400 cartes et je viens d’assurer ma collection à 780 000 $. Si mes calculs sont bons, j’ai investi initialement environ 50 000 $. Au début, j’espérais un léger rendement pour ma retraite. Disons que ça a évolué pour le mieux », se réjouit-il avec humilité.

« Je n’ai jamais revendu une carte, mentionne-t-il. J’accumule, je peaufine. Je suis incapable de laisser aller mes cartes. Même avec l’explosion actuelle des prix. Quand j’ai commencé ma collection, j’avais des amis qui allaient en voyage, moi je m’en privais pour acheter des boîtes, se souvient-il. Ils comprennent mieux maintenant.»

Son trésor le plus estimé fut trouvé en 2015 : « J’ai acheté une boîte à 130 $ qui contenait une Connor McDavid numérotée sur cinq, d’une valeur marchande estimée à 75 000 $. »

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Pour ceux et celles qui, un brin décoiffé.e.s, se demandent quelles variables définissent le prix d’une carte, en résumé, il y a le joueur et son patrimoine, la rareté de la carte, l’exclusivité de la série et l’état esthétique. Par exemple, une carte en parfaite condition de l’année recrue d’un grand joueur, signée avec un morceau incrusté de son maillot, vaut son pesant d’or par rapport à mes vieilles Upper Deck.

La plupart des cartes prestigieuses des collectionneurs sont envoyées aux États-Unis pour se faire grader officiellement par des instances établies comme PSA et Beckett. Les numéros que l’on rencontre au coin supérieur droit des cartes dans un plastique rigide représentent une annotation sur 10 de leur apparence physique.

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Je rejoins au téléphone Daniel De Angelis, un collectionneur bien établi dans le milieu, pour écouter son avis sur la renaissance en cours. « J’ai 60 ans et ça fait 50 ans que je collectionne, raconte-t-il. J’ai environ deux millions de cartes, surtout dans le vintage. La valeur totale de ma collection est d’environ 500 000 $. J’ai même un coffre à la banque pour protéger mes plus grosses cartes. »

«Grâce à nos ventes en ligne, notre chiffre d’affaires a augmenté de 400 % par rapport à l’année précédente.»

Daniel et son épouse habitent un sept et demie où trois pièces sont réservées uniquement pour ses cartes, mais il commence tranquillement à liquider le hockey, un marché qu’il estime trop volatil. « C’est rendu le même principe que le Bitcoin. Je vais me concentrer sur d’autres sports que je considère comme un meilleur investissement à long terme. Collectionner, c’est comme une action, faut être à l’affût des bons coups et des mauvais coups, mais jouer safe », commente celui qui se concentre surtout sur le baseball, un marché immense chez nos voisins du Sud.

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Pour mieux saisir l’envergure du boom des cartes sportives, je me suis également entretenu avec un professionnel du domaine, Yohann Benarroch, copropriétaire de la boutique Ultime Sports Collection à Laval.

Je lui demande d’emblée s’il y avait des signes de cette croissance avant la pandémie : « Lorsque la crise a commencé, avec le confinement à la maison, moi, je pensais que cette industrie allait disparaître, que c’était la fin, raconte l’expert. Je me disais : les gens vont être en état de survie. La dernière chose sur laquelle ils vont embarquer, c’est les cartes sportives. Et à ma grande surprise, ce n’est pas du tout ce qui est arrivé. Pour te donner une idée, le magasin était fermé, mais grâce à nos ventes en ligne, notre chiffre d’affaires a augmenté de 400 % par rapport à l’année précédente. »

« Tout le monde y trouvait son compte, souligne Yohann. Les anciens gambleurs qui étaient dans le pari sportif, les anciens collectionneurs qui se trouvaient quelque chose à faire. Tout ce monde a créé une pénurie, les manufactures n’étaient pas prêtes à un tel intérêt et les prix ont grimpé. »

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Au sujet de l’investissement qui dérive en péril financier, il abonde dans le même sens que les collectionneurs sur les risques potentiels du hobby : « Ça m’est arrivé à plusieurs reprises de calmer des clients. Leur faire comprendre qu’ils perdaient le contrôle. T’as le collectionneur intelligent qui voit ça comme un investissement : au lieu de mettre son argent dans la Bourse ou la crypto, il va acheter une boîte et la ranger, attendre qu’elle prenne de la valeur. Un rendement sur un ou deux ans. Tous les jours, des boîtes scellées sont ouvertes et celles encore dans leur emballage prennent donc de la rareté. »

«Ça a monté rapidement à un point record, et maintenant, ça baisse tranquillement. C’est un réajustement à la spéculation.»

« Alors que d’autres sont plus de nature gambler. Ils achètent des boîtes, s’en foutent du prix, et croient qu’elles vont changer leur vie. Ils veulent sortir les grosses cartes, mais les probabilités sont toujours contre eux », précise le commerçant, qui tient une chronique sur le sujet chaque semaine sur les ondes de la station sportive 91.9.

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« Tu le vois tout de suite quand ils ont des ennuis financiers. Lorsqu’ils viennent vendre toute leur collection contre une seule boîte. Je deviens comme un prêteur à gage qui achète des choses pour que son client puisse aller au casino. C’est ma responsabilité de dire que c’est pas intelligent lorsqu’il y a du désespoir », rappelle-t-il sans équivoque.

« Quand je vois la courbe des cartes sportives et comment elles sont en train de se réajuster, je peux pas trouver meilleure comparaison que les cryptomonnaies, mentionne Yohann Benarroch. Ça a exactement la même forme. Ça a monté rapidement à un point record, et maintenant, ça baisse tranquillement. C’est un réajustement à la spéculation. »

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Je lui demande quels conseils il prodiguerait à un nouveau venu ou une nouvelle venue qui aimerait placer quelques économies. « Un mot : passion, lance-t-il. Si t’as pas quelque chose qui vient te chercher et tu le fais juste pour le côté monétaire, alors ne le fais pas. Tu vas perdre de l’argent. Mais si une équipe, un joueur t’interpelle, te fait vivre une émotion, vas-y, mais avec un budget raisonnable. Collectionner, c’est un investissement qui peut fructifier, mais avant toute chose, ça doit demeurer passionnant. »