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Trouver le réconfort à l’extérieur pour un énième confinement
Au téléphone, un ami proche m’appelle quand il perçoit dans mes textos décousus quelque chose de plus que des réponses écrites trop vite.
« Ouais, je me sens anxieuse, ça spin pis j’ai de la misère à me ramener. »
« Es-tu allée dehors aujourd’hui? »
(Silence)
« T’as raison. Non. »
Quelques jours de flottement.
Un de mes amis nommait sa petite déprime sur Instagram. « C’était l’fun les vacances avant qu’on retombe dans le désespoir montréalais. »
Le désespoir montréalais, c’est aussi une image pour faire l’exercice qu’on nous exige, c’est-à-dire restructurer notre vie sociale. J’ai ri, pas parce que c’est drôle.
Ce n’est pas choisir le rôle de victime, ce n’est pas ne pas reconnaître ses privilèges, c’est se demander juste maintenant, et au moins pour les prochaines semaines : je prends soin de ma tête comment?
Ça s’est un peu embrouillé dans la mienne, parce que je campe habituellement le rôle de la fille de plein air volontaire et lumineuse, rafraîchissante, pétillante – des synonymes de « limonade » ou d’une Josée Lavigueur des temps modernes.
C’est vrai, je suis celle qui ne chialera jamais si j’ai les pieds mouillés dans un trek sous la pluie à Tremblant ou si je manque d’eau après 5 h de randonnée au Saguenay.
Je suis toujours volontaire.
Il le faut quand on est en nature parce qu’on ne régit pas ses codes – c’est elle qui nous les impose.
La réalité, c’est que j’ai un essoufflement. Ça va revenir.
Au premier confinement, je me suis imposé un deux heures de marche par jour. Pour oxygéner mon cerveau, m’allouer une pause de mon cellulaire, être debout et non sur une chaise.
J’ai été assez rigide sur cette routine et elle m’a bien servie, même si pendant des semaines, ça s’est attaché dans le creux de ma tête comme des taches laides de café dans le fond d’une tasse :
« J’avance les années et j’incarne maintenant une Sylvie de Saint-Basile-le-Grand ridée. »
« Je suis beige beige beige comme des patates pilées pas de beurre pas assaisonnées. »
« Il n’y a rien de plus annihilant que de marcher dans sa ville, seule, sans but précis. »
« Est-ce que mes amis vivent des choses plus grandes parce que mon écran m’annonce qu’ils étaient tous en ski dimanche? »
Je n’ai rien révolutionné, je n’ai pas de leçon à donner à personne, je n’ai surtout pas inventé les chicken waffle ou écrit Le cœur a ses raisons, mais ce choix d’être dehors deux heures par jour s’est esquissé comme une solution si simple et de base, qui a coiffé mon quotidien d’une grande candeur :
« Rappelle-toi quand tu n’arrivais plus à faire tes travaux de mathématiques au primaire et que ta mère t’habillait pour que tu prennes une pause. »
« Que tu grimpais la colline devant la maison pour pousser ta sœur en bas en jouant au Roi de la montagne. »
« Que tu lançais le ballon de football avec ton père avant le souper. »
« Que tu marchais dehors avant un examen ou plus tard, avec une date. »
« Que tu montais le mont Édouard au Saguenay après un hangover juste pour gérer le trop-plein de shooters au Berlioz. »
« Que maintenant, tu pars en vélo quand la tristesse s’attable parce que tu sais que c’est plus facile pour toi de la laisser aller sur une piste cyclable. »
« Que tu organises des chalets avec ta gang chaque saison, dans le bois. C’est pas dans un condo à Montréal ou une maison à Brossard. C’est dans le bois. »
Et là, ça revient depuis quelques jours. Cette fatigue latente, ces réponses arides, le froid.
Quand ça glisse trop, une certitude : j’ai vécu tout ce que j’avais à vivre dans mes mauvaises journées du dernier confinement. À me crinquer d’idées opaques qui s’installent insidieusement comme des cellules cancéreuses.
Dans la honte de mon manque de jugement, le contrôle et le ratio de mes portions, l’investissement de temps dans des enjeux sans issue, à espérer plus de douceur de l’un et des questions de l’autre, à réparer mes rides ou mon char.
J’ai vécu tout ce que j’avais à vivre et je n’ai plus rien à faire là.
J’ai de l’espace à occuper ailleurs que dans ma tête, des voyages de fin de semaine à incarner et des ami.e.s à convaincre qu’on devine, dans une journée dehors, un confort similaire à un pâté chinois cuisiné par un père qui maîtrise sa recette un dimanche.
Le mien a d’ailleurs commencé à marcher tous les jours lors du premier confinement. Le voir se fâcher sur moins d’affaires m’apaise, aussi. À prendre l’air et prendre une pause du son du frigo, du chauffage qui s’active ou du clavier qui clappe.
En écrivant ces lignes, j’entends des rires. Ceux des deux merveilleuses filles de mes proprios, dans leur cour clôturée à Hochelaga, leur liberté d’allées et venues rasée par la Covid, mais pas celle de construire un fort à -20.
Leurs visages qui s’élèvent, des « alloooooooo » d’enfants, des salutations dans des mitaines trop grandes.
La grande idée. Moi aussi, je m’habille et je vais jouer dehors, les filles.