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Nous sommes une famille montréalaise plutôt sympathique, ayant décidé de tout sacrer là pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois. Notre parcours n’est pas encore arrêté (nous avons pris un aller simple), mais il devrait traverser l’Inde, le Sri Lanka, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, le Japon et même Hawaï s’il nous reste de l’argent ou si une tribu primitive non-évangélisable ne nous a pas criblés de flèches quelque part. Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement décrété que ce projet supplantait en importance tous les autres. Voici le récit de notre voyage.
« Crisse d’esti de ciboire de voyage à marde! »
À quelques jurons près, ce sont les premiers mots qui sont sortis de ma bouche lorsque le cadran a sonné aux aurores, après une nuit d’insomnie. Je dormais mal au début à cause d’une pléthore de sevrages forcés, mais ça va mieux, après avoir personnifié une version chubby d’Ewan McGregor dans Trainspotting.
La dernière fois qu’on s’est parlé, on était à Mumbai.
« Crisse d’esti de ciboire de voyage à marde! »
C’est de là qu’on a pris un train ce matin-là pour Goa, une région (très) touristique située à huit heures au sud. On aurait évidemment pu prendre un vol d’une heure pour des pinottes, mais ma blonde – incorrigible hippie- tenait à vivre l’expérience d’un train entassés comme des sardines dans une cabine à fragrance de petits pieds.
Soit.
Nous voilà donc sur le quai de l’immense gare déjà animée au lever du jour, flanqués de nos sacs à dos et nos mioches à moitié endormis. Des familles entières campent encore un peu partout sur le sol. Le train est en retard. À noter, tout est interminable en Inde : les trajets, la bouffe, les files, etc.
Résultat : nous sommes arrivés à Panaji, notre destination, environ douze heures plus tard, à cran comme Michael Douglas dans L’Enragé.
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Ces gens ont fait office de pouf pour un inconnu.
Faut dire qu’en chemin, nous avons subi un voisin de banquette aussi désagréable que moustachu, qui ne se gênait pas pour étendre ses jambes sur nous autres. Il avait aussi cette manie d’écouter ses soaps à tue-tête sur son téléphone grichant. Si au moins il nous avait demandé «which country?» comme tout le monde. Même pas. Il était détestable ET se sacrait de nous autres. Les pires.
Au moins, d’autres Indiens défilaient nous observer comme si on était au zoo, faisant la file pour se faire prendre en photos avec Simone, l’orgueil de la famille. «One last!», prévenait sa mère, sensible à l’exaspération de la petite.
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Une star en Inde.
Pour tuer le temps, j’ai commandé 3-4 chaïs en faisant mon frais comme si j’étais super intégré.
La capitale de Goa, Panaji, est la porte d’entrée dans la région. On a décidé d’y faire un pit stop de trois jours, avant de descendre vers les nombreuses plages longeant la mer d’Oman. L’influence de la colonisation portugaise se fait sentir dans l’architecture, les églises surtout. La cuisine locale est à l’image de n’importe quelle ville portuaire : des fruits de mer. Martine s’est laissée séduire par un poisson Goan style, qui a rendu tout le monde malade, sauf Victor, qui a (encore) commandé un spag.
Délit de fuite à l’indienne
C’est donc le cœur au bord des lèvres que nous avons abattu deux heures de route en taxi en direction de Palolem, sorte de station balnéaire où nous avions prévu passer une semaine.
Notre chauffeur, un homme de peu de mots, s’est vite révélé être un véritable danger public, zigzaguant entre les voitures et dans la voie à contresens comme s’il avait la mort aux trousses.
Notre chauffeur, un homme de peu de mots, s’est vite révélé être un véritable danger public, zigzaguant entre les voitures et dans la voie à contresens comme s’il avait la mort aux trousses. La pauvre Simone a vomi quatre fois, tandis que Martine hyperventilait.
Comme les bords de route indiens ressemblent à Montebello au lendemain du Rockfest, j’ai garoché les sacs de vomi par la fenêtre pour prévenir l’effet domino.
Shiva me jugera.
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En ce moment, Dieu regarde des sacs de vomi.
J’essayais de me convaincre que la conduite erratique était la norme, jusqu’au moment où on a percuté violemment un motocycliste en le coupant, le propulsant au sol, ce qui m’a valu un solide bleu.
«AYOYE CRISS!»
Malgré mon wack et la vue du pauvre gars qui faisait des roulades au sol dans son rétroviseur, notre chauffeur n’a pas daigné ralentir.
«Maudit malade mental!», ai-je beuglé en arrivant à cette version indienne de Paul Walker, sans aucune considération envers Bell cause pour la cause. À bien y penser, nos remontrances étaient peut-être un peu molles, vu notre état post-poisson pas frais.
El dorado des dreads
Quoi de mieux qu’un paradis terrestre pour se remettre.
La toilette coulait et on a tué nos premières coquerelles dans le dos des enfants. La nuit, des noix de coco se détachaient des palmiers vertigineux pour s’écraser dans un boucan d’enfer sur notre toit en tôle.
Le Roundcube beachouse propose, comme son nom l’indique, des petits bungalows près de la mer sous les palmiers. Vraiment un lieu enchanteur, même si notre family room était pas mal plus défraichie que sur la brochure. La toilette coulait et on a tué nos premières coquerelles dans le dos des enfants. La nuit, des noix de coco se détachaient des palmiers vertigineux pour s’écraser dans un boucan d’enfer sur notre toit en tôle.
Mais bon, le spot et l’extrême gentillesse du personnel rachetaient le reste, à commencer par notre ami Shanky, qui s’est occupé de nous toute la semaine, surtout les enfants, traités aux petits oignons.
«Je m’ennuie de ma famille», nous a confié Shanky un soir des trémolos dans la voix, pendant qu’on sirotait une Kingfisher, la Molson locale.
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Une famille sympa, mais qui ne remplacera jamais celle de Shanky.
Comme lui, la plupart des employés s’entassent dans des mansardes en retrait et font des heures de fous pour subvenir aux besoins de leurs familles qui vit à l’autre bout du pays. Le salaire n’est pas vargeux, mais les pourboires font toute la différence.
Déjà qu’ils mériteraient tous un salaire de médecin spécialiste juste pour supporter les touristes qui convergent massivement à Goa, assurément les pires de la galaxie.
Rare endroit en Inde où ils sont en supériorité numérique, les touristes de Goa sont tous pareils à force d’être tous marginaux.
Les touristes de Goa sont tous pareils à force d’être tous marginaux.
Pantalons bouffants, bijoux en bois, camisoles, vêtements en lin : ils déambulent nu pieds – une guitare en bandoulière – se gargarisant des richesses offertes par Mother earth.
Sinon ils se déplacent à mobylette, toujours en quête d’un racoin pour méditer. Au fait, je pense n’avoir encore jamais vu un Indien faire du yoga.
Et les dreads sont à l’honneur. Un atelier de fabrication de tignasses rastas est même offert, de quoi faire faire une syncope au personnel de la Coop Les Récoltes.
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Appropriation culturelle? Jamais entendu parler.
Mais bon, il faut que jeunesse se fasse. Je suis venu à Goa il y a quinze ans et moi aussi je me promenais en scooter avec un bandana.
Jamais trop tard pour réaliser à quel point c’est hypocrite de se la jouer « simplicité volontaire libéré des valeurs matérielles » quand les seuls Indiens que tu croises sont à ton service.
Un peu comme le groupe Maroon 5, ils ont l’air bad ass les chiens errants, mais ils sont inoffensifs.
Oui c’est chill de dormir chez l’habitant avec les cheveux sales, mais quand ton plus grand défi dans la vie c’est le défi 28 jours sans alcool, ça veut juste dire que t’es tombé du bon bord de la clôture. De grâce, sois-en conscient avant de te faire tatouer Namaste sur l’avant-bras.
J’en suis à ces réflexions sur la terrasse de notre resort, pendant qu’une Française chiante se plaint du service. «Ça fait 30 minutes que j’ai commandé, c’est pas possible!», s’emporte-t-elle en menaçant le staff d’une mauvaise note sur Trip Advisor.
Sur la plage, une touriste improvise une danse semi-sensuelle avec le sable et une meute de chiens errants jappent après un duo de joggeurs. Un peu comme le groupe Maroon 5, ils ont l’air bad ass les chiens errants, mais ils sont inoffensifs.
Au coucher du soleil, on a été faire un tour organisé sur un vieux rafiot pour observer des dauphins. J’ai rarement été jaloux de la job des autres (sauf celle de Rocco Siffredi ar ar ar), mais j’avoue que «spotteur de dauphins » c’est assez dur à battre.
L’activité était en réalité cinq minutes de couraillage de dauphins et 55 minutes de tentatives de nous vendre des gogosses sur des îles autour, mais bon, on a vu un troupeau de cétacés prendre une puff d’air et on a des images pour le prouver. Booya.
On a quitté Shanky avec un petit pincement pour prendre un vol vers Bengalaru, une grosse ville encore plus au sud.
Bengalaru est une ville de plus de huit millions d’habitants. C’est d’ici que j’écris ces lignes. Un p ôle technologique, considéré comme la Silicon Valley indienne. Pas étonnant d’y croiser des Starbucks, McDo, KFC, Nike et autres bannières occidentales, à des années-lumière de la pauvreté observée ailleurs au pays.
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Partout pareil.
Même si le son des klaxons bourdonne encore dans mes oreilles, ça valait la peine d’avaler des émissions de smog dans un chicken bus bondé pour aller visiter le magnifique palais de Mysore à quelques heures de route.
Demain, on met le cap vers le Kerala, dernière étape avant le Sri Lanka.
D’ici là, on continue notre adaptation au rythme indien, une ride de touk-touk à la fois.
Je me demande comment ça se passe dans le cerveau des enfants, qui encaissent chaque jour des tonnes d’informations plus dépaysantes les unes des autres.
«Ça te fait comment de voir du monde de ton âge dormir dans la rue Victor?»
-«Ça va» a-t-il simplement répondu.
Mais j’aime croire qu’il se passe des choses dans sa tête. Un début de réflexion, qui sait.
Ou sinon la certitude de ne jamais revenir à Goa méditer avec des dreads.
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Ah oui, on a un blogue hein, mettons que vous n’avez pas d’opinion sur la sentence d’Alexandre Bissonnette.