.jpg)
Traverser la pandémie sur des roulettes
« Yo, veux-tu m’apprendre à skater cet été? ». C’est le message que j’ai envoyé sur Instagram à mon collègue Harold, un skateur aguerri, quelques jours après mes 28 ans.
Ça faisait déjà un bout de temps que je caressais l’idée de me remettre sur des roulettes et (essayer) de faire un kickflip comme lorsque j’avais 11 ans. À l’époque, j’avais visionné le film Grind (Ça planche! en version française québécoise…ouin) beaucoup trop de fois et je portais des chandails à manches longues avec des t-shirts par-dessus comme les héros du film. À défaut d’avoir leur talent, je me suis dit que j’allais au moins leur ressembler un peu…
Bref, tout ça pour dire qu’à l’aube de ma puberté, j’ai finalement troqué le skate pour des souliers de soccer et je n’ai pratiquement pas retouché à un deck pendant des années.
Comme pour beaucoup de gens, la fin du monde (lire ici l’interminable pandémie) m’a insufflé un air de YOLO et je me suis dit qu’il était temps que je passe de la parole aux actes avant qu’une autre catastrophe impensable, genre une sharknado, nous tombe dessus.
En parlant avec mon entourage, je me suis rendu compte que j’étais loin d’être le seul pour qui la pandémie a donné envie de retenter de faire des ollies en sacrant après des années passées loin d’une planche.
« Du jamais vu »
« On voit une tendance à la hausse dans l’achat de matériel de skate depuis quelques années, mais l’an dernier, ça a explosé. Nos ventes ont augmenté de 400%. C’est du jamais vu », affirme Julien Turner-Morin, propriétaire de la boutique Rollin Skateshop.
«Nos ventes ont augmenté de 400%. C’est du jamais vu»
Étant donné que la majorité des transactions se sont faites sur le web, Julien a de la difficulté à dresser un portrait clair du nombre de clients ayant fréquenté son commerce qui se sont remis au skateboard dans la dernière année. « Ce que je peux dire, c’est que je vois de plus en plus de gens dans la mi-trentaine qui viennent en magasin avec l’intention d’acheter un skate pour en faire avec leur enfant ou des amis. Plusieurs me confient avoir retrouvé ce plaisir qu’ils avaient lorsqu’ils étaient ados une fois qu’ils ont rembarqué sur une planche », explique l’entrepreneur, qui ajoute du même souffle que les cours de skate « parent-enfant » disponibles à son école de planche se sont envolés comme des petits pains chauds.
«Plusieurs me confient avoir retrouvé ce plaisir qu’ils avaient lorsqu’ils étaient ados une fois qu’ils ont rembarqué sur une planche»
La boutique Rollin ne semble pas être la seule à faire ce constat concernant une clientèle un peu différente. « On a remarqué que beaucoup de gens qui viennent nous voir sont d’anciens skateurs qui veulent s’y remettre. Certains n’en ont pas fait depuis la fin de l’adolescence et ont pris la pandémie comme prétexte pour recommencer même s’ils sont dans leur trentaine ou quarantaine. », remarque un employé d’un skateshop du centre-ville de Montréal, qui a désiré garder l’anonymat.
Tripper comme un ado à 44 ans
Se qualifiant de « cliché ambulant qui recommence à skater », Maxime Giroux a repris sa planche (avec un casque et des protections additionnelles) après quelques décennies sans se jeter dans un half-pipe. « Je faisais du skate quand j’avais 12-13 ans puis je me suis mis à faire des films de skate pour réunir mes deux plus grandes passions ensemble. Mais rapidement, le skate est sorti de ma vie. Le manque d’infrastructures qui permettaient de skater où j’habitais à Laval et le fait que ce n’était pas super encouragé par la société ont fait en sorte que j’ai délaissé le sport petit à petit », explique le réalisateur dans la quarantaine.
Il y a deux ans, un nouveau projet est cependant venu repiquer son intérêt pour la planche à roulettes. « Quand j’ai vu qu’ils allaient faire un skatepark sous le viaduc Van Horne dans le Mile End, je me suis dit que c’était un signe que je devais recommencer. J’ai toujours trippé sur les constructions en béton et je trouve que les skateparks créent une sorte d’harmonie architecturale dans un décor urbain. Celui de Van Horne entre dans cette catégorie et m’a inspiré, en quelque sorte ».
«Quand j’ai vu qu’ils allaient faire un skatepark sous le viaduc Van Horne dans le Mile End, je me suis dit que c’était un signe que je devais recommencer»
Maxime s’est donc équipé en stock de skate et a repris d’assaut les rampes à l’automne 2019 quelques mois avant la pandémie. « J’y allais assez souvent et je commençais à reprendre confiance jusqu’au jour où j’ai voulu éviter un enfant et que je me suis planté solide. Pour donner une idée, mon poignet faisait un “ S ” », décrit le réalisateur.
Une plaque de métal, 6 vis et plusieurs mois de réhabilitation plus tard, Maxime a décidé de « chasser la peur » en se remettant sur sa planche. « J’aimais juste trop ça pour arrêter encore à cause d’un accident de même et c’était l’activité parfaite vu que c’est individuel et que c’est dehors ». Durant les premiers mois de la pandémie, Maxime et ses amis se sont même fait des installations « custom » dans une ruelle lorsque les skateparks étaient fermés pour ne pas perdre la main. « On s’est dit qu’on allait se réapproprier notre ville tant qu’à être pognés ici ».
«On s’est dit qu’on allait se réapproprier notre ville tant qu’à être pognéS ici»
Le quarantenaire ne s’en cache pas: ce qu’il vit avec le skateboard s’apparente à une « mid life crisis ». « C’est mieux ça que de s’acheter une décapotable selon moi et ça m’a amené beaucoup de bien », estime-t-il.
Le réalisateur explique que cette « redécouverte » lui a donné envie de planifier des voyages autour de ce sport. « Ça fait souvent sourciller les gens quand je leur dis ça, mais moi, c’est ça qui me fait tripper. Il y a toute une culture et une faune particulière aux skateparks qui permet de découvrir une facette méconnue des endroits que l’on visite et j’adore ça » raconte Maxime, qui prévoit aller en Californie visiter de nouveaux skateparks quand les circonstances le lui permettront.
Regoûter à un plaisir perdu
Tout comme Maxime, Élise Bernier s’est passionnée pour le skate à l’adolescence puis a laissé sa planche de côté pendant près de 13 ans. « J’ai appris à en faire avec mon frère. Il avait construit une mini rampe à la maison et on s’amusait avec ça », raconte la jeune femme de 28 ans.
Après son déménagement à Montréal, Élise a « oublié » en quelque sorte le sentiment qu’elle retirait de faire du skate. « Je l’avais comme enlevé de ma liste de sports pendant longtemps en partie parce que je ne savais trop où en faire à Montréal à part dans les rues, ce que je trouvais risqué ».
C’est à l’automne dernier que le skate a de nouveau roulé (désolé pour ça) dans sa vie. « J’ai reçu une planche pour ma fête et je me suis dit que je devais m’y remettre ». Ça n’a pas pris deux coups de pied pour que la jeune femme retombe en amour avec le sport. « Je me suis sentie libre et un peu euphorique. J’ai tout de suite voulu aller au skatepark pour me pratiquer ».
«J ’ai reçu une planche pour ma fête et je me suis dit que je devais m’y remettre»
.jpg)
Depuis quelque temps, Élise affirme avoir « apprivoisé » les skateparks et se sentir dans son « élément » lorsqu’elle y met les pieds chaque semaine. « C’est sûr qu’au début, je me sentais un peu comme quand on arrive au gym et qu’on a l’impression que tout le monde nous regarde. Mais à un moment donné, j’ai oublié les autres et je me suis juste concentrée sur mon fun. Je suis même rendue à faire des drop ins dans les bols! »
Contrairement à Maxime et Élise, Mégane Bigot trouve son plaisir non pas dans les tricks et les sauts dans les skateparks, mais plutôt en découvrant Montréal sur son longboard. « J’ai appris à en faire en 2014. J’ai vraiment adoré ça et je me suis mise à visiter la ville de bord en bord avec une amie. Mais un beau jour, je me suis blessée et j’ai rangé ma planche », explique Mégane.
«J’ai appris à en faire en 2014. J’ai vraiment adoré ça et je me suis mise à visiter la ville de bord en bord avec une amie»
Lorsque la pandémie a frappé au printemps dernier, la jeune professionnelle s’est retrouvée avec beaucoup de temps libre puisque son domaine, le monde de l’événementiel, en a pris pour son rhume. « Je cherchais quelque chose à faire pour profiter de l’extérieur et j’ai repensé au longboard. Finalement, je m’en suis acheté un nouveau et j’ai initié une amie. Depuis ce temps-là on trippe solide! »
.jpg)
Pendant que la grande majorité des gens font la grasse matinée les fins de semaine pour essayer de digérer plus d’un an de confinement. Mégane, elle, se lève aux aurores pour se balader dans les rues désertes. « C’est mon petit moyen de me ressourcer. Je suis accro! », raconte Mégane, qui confie être en train de se magasiner une autre planche à ajouter à son arsenal.
Un engouement qui est loin de s’essouffler
Tous les skateurs amateurs interrogés s’entendent sur un point: cet amour pour le skateboard n’est pas qu’une lubie de pandémie. Il est là pour rester même quand la vie « normale » (s’il y en a une un jour…) reprendra son cours.
Si la pandémie a exacerbé l’intérêt pour le skate, Micah Desforges juge que le sport est en plein essor dans la province. « C’est la meilleure époque ever pour le skate. Il y a des pénuries de stock tellement il y a de la demande. En 20 ans d’implication dans ce milieu-là, je n’ai jamais vu ça », avoue le producteur exécutif du festival Jackalope et de Jackalope TV.
«C’est la meilleure époque ever pour le skate»
Selon lui, les réseaux sociaux comme TikTok et Instagram ont « remis sur la map » le skate en proposant du contenu au goût du jour. « Je pense que le fait que ça soit de plus en plus reconnu comme un sport légitime aide aussi à le démocratiser ». L’entrepreneur donne en exemple l’adoption du skateboard comme sport officiel des Jeux olympiques, « l’ultime consécration ».
«Je pense que le fait que ça soit de plus en plus reconnu comme un sport légitime aide aussi à le démocratiser»
Ce changement de mentalité ne se transmet pas uniquement que dans les sphères professionnelles. « On voit de plus en plus de parents avec leurs enfants en faire dans les skateparks. C’est beau à voir » trouve le futur père, qui espère secrètement que son fils voudra bien se mettre au skate.
D’ailleurs, ce n’est pas le talent qui manque chez la jeunesse québécoise selon Micah Desforges. « Déjà, des jeunes comme Lily-Rose Chouinard et Jayden Sauvé sont en train de tout casser. Ce sont des athlètes qui vont faire rayonner le Québec dans quelques années », estime l’entrepreneur qui prédit que le skateboard sera dans le top 3 des sports les plus populaires au monde dans une dizaine d’années.
En attendant la prochaine vague de jeunes talents, rien n’empêche des « vieux » de tenter quelques trucs dans les skateparks. C’est justement un mythe que Maxime Giroux aimerait déboulonner. « Faut arrêter de penser que c’est un sport de jeunes et d’éternels adolescents. C’est quelque chose que tout le monde peut faire ».
À la lumière de tout ça, disons que je vais me sentir un peu moins has been en rentrant dans un skatepark prochainement.
+++
Vous aimez jouer dehors sans vous la jouer? Suivez-nous sur Instagram @dehors_ur!