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Travailler avec des collègues plus vieux quand on est jeune

Faites-nous donc confiance!

Par
Jasmine Legendre
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Je suis de la génération qui jouait à Tap’Touche à l’école primaire. J’ai donc rapidement troqué les feuilles de papier et les lettres attachées pour mon clavier et mon écran. Bye Liquid Paper et gomme à effacer.

Depuis que je travaille comme journaliste, quand je réalise des entrevues, je ne prends pas de notes et je me concentre sur la discussion en enregistrant avec mon téléphone cellulaire. Au grand désarroi de mon collègue quadragénaire Hugo Meunier qui remplit un carnet par semaine. J’ai d’ailleurs dû lui donner cette semaine celui que je traîne depuis un an et demi, parce que les réserves de cahiers « pour vieux journalistes » sont à plat chez URBANIA.

Du haut de mes 24 ans, je suis souvent la plus jeune employée dans les entreprises où j’ai travaillé jusqu’ici.

Depuis que je suis arrivée sur le marché du travail à l’âge de 15 ans dans la très glam boutique Baron II du Carrefour Frontenac de Thetford Mines, j’ai pu observé plusieurs clashs générationnels. Surtout parce que, du haut de mes 24 ans, je suis souvent la plus jeune employée dans les entreprises où j’ai travaillé jusqu’ici.

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Je ne pense pas avoir fait partie de ces employés qui n’ont « aucun sentiment d’appartenance ni loyauté envers la main qui les nourrit, trop conscients de pouvoir aller porter leur CV où ils veulent », comme le décrit Hugo.

Il existe clairement des divergences entre les générations au sein d’une entreprise, comme les faux statuts Facebook que Hugo ne cesse d’écrire sur les comptes de tous ses collègues s’ils ont le malheur de laisser leur ordi ouvert, mais mon côté naïf me fait voir la situation d’un bon œil. Je crois qu’on s’apporte mutuellement des connaissances qui nous font évoluer.

Pour savoir si j’étais la seule à percevoir le monde du travail avec des lunettes plus roses que la moyenne, j’ai interrogé d’autres milléniaux sur Instagram. Bin non, par téléphone, de vive voix. On fait encore ça, OK?

Des mentors professionnels (mais aussi de vie)

Avant toute chose, revenons sur ma courte expérience professionnelle qui me fait voir les X et les boomers comme des alliés plutôt que des compétiteurs et des détracteurs de notre génération.

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Ma première boss Chantal me trouvait trop jeune pour être vendeuse lorsque je l’ai convaincue de m’embaucher le jour de mes 15 ans. Mon CV qui mentionnait « gardiennage » n’était clairement pas le plus vendeur.

Vingt heures par semaine pendant presque quatre ans m’auront appris à défendre mes compétences, même si je suis « jeune », en plus de faire de Chantal une deuxième mère pour moi. Surtout quand je vomissais dans le back-store après une soirée trop arrosée et qu’elle me faisait changer le facing du magasin au complet. Une vraie mère, juste assez intransigeante. Je gère mieux mes hangovers au bureau grâce à elle.

Après deux ou trois autres jobines plus ou moins significatives où je côtoyais surtout des gens de mon âge (Spring au terrain de jeu, c’est moi!), je suis entrée dans le vrai monde du travail à la recherche de mentors qui allaient propulser ma carrière de journaliste. Deux semaines après la fin de mon baccalauréat, j’ai été embauchée dans un grand média, au numérique (je suis une femme de ma génération). Quelque temps après mon arrivée, je me suis liée d’amitié avec un certain Hugo Meunier dont j’avais déjà lu les livres. Je connaissais juste assez les highlights de sa carrière pour lui faire enfler la tête (un peu plus). J’ai appris plus tard qu’à mon âge il travaillait dans un Provigo et que son passage au quotidien La Voix de l’Est de Granby était pas mal plus rushant que ce dont on s’attendait de nous, les jeunes « milléniaux fainéants ».

Quelque temps après mon arrivée, je me suis liée d’amitié avec un certain Hugo Meunier dont j’avais déjà lu les livres.

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Entre la configuration de son iPhone qui traînait sur son bureau depuis des mois faute de compétences nécessaires pour le faire fonctionner et la relecture de ses textes pour savoir s’ils avaient un potentiel VIRAL (il carbure plus aux likes que moi!), j’ai appris à être plus patiente, mais j’ai aussi appris qu’il n’y avait pas que la job dans la vie et que j’étais le principal frein à mes ambitions. J’entends souvent sa petite voix dans ma tête quand je prends une décision professionnelle et c’est lui qui m’encourage à partir un mois en Inde sans penser au boulot. C’est l’influence d’un X et non pas d’une bande de milléniaux YOLO.

Puis, j’ai rencontré Barbara-Judith, ma nouvelle boss depuis un an et demi dont je vante la polyvalence à tous mes amis. « Si je suis comme elle à 40 ans, je vais avoir réussi ma vie », est une phrase qui sort souvent de ma bouche. Et si elle participe au remake du Sportnographe, une émission de radio qui était diffusée dans le temps où je regardais encore Cornemuse, je chéris quand même chacune de ses éditions de textes, ainsi que ses précieux conseils dans l’élaboration de mes vidéos.

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Amorcer une discussion

Je suis parmi ces chanceuses qui vivent dans une bulle d’inclusion et de respect. Comme vous savez, les mots « féministe », « personne racisée » et « communauté LGBTQIA+ » reviennent souvent en réunion éditoriale chez URBANIA.

Mais pour ce capitaine de bateau-remorqueur dans la mi-vingtaine à qui j’ai parlé, ça représente des conversations complexes avec ses collègues, presque tous âgés de 40 à 60 ans. « On est une génération plus ouverte », me raconte celui qui côtoie un collègue qui peine à croire aux changements climatiques.

« Ce n’est pas facile se faire bosser par un plus jeune que nous. »

Puisqu’il a souvent été en position d’autorité vis-à-vis de personnes plus vieilles que lui, il doit gagner leur respect parce que « ce n’est pas facile se faire bosser par un plus jeune que nous ». Il croit cependant que leur expertise est essentielle à son travail. « Ils connaissent les bateaux par cœur, ils sont là depuis plusieurs années. Je n’hésite jamais à leur demander comment quelque chose fonctionne. »

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Sinon, c’est parfois par rapport à l’informatique que les choses se corsent. « J’ai toujours été le meilleur avec les ordis dans tous les équipages avec lesquels j’ai travaillé. » C’est parfois difficile d’inciter les plus vieux à remplir des rapports informatiques, mais il essaie de les aider à développer ces nouvelles compétences, maintenant indispensables à la pratique.

Des mentors avant tout

« On a le réflexe de nous classer dans des catégories, selon notre âge », me lance au bout du fil ce fonctionnaire de 29 ans qui travaille dans une société d’État. Pour lui, on appose trop rapidement des étiquettes et il ne ressent pas d’énormes disparités entre lui et ses collègues.

« Il y a une personne au bureau qui, à 24 ans, n’est pas actif sur les réseaux sociaux, tandis qu’un collègue de 40 ans est hyper présent sur Instagram. Il s’est récemment booké un voyage en Suède, à la campagne, pour suivre une recommandation de resto de Chef’s Table. ». Un comportement plus digne d’un millénial que d’un X, en effet.

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Pour lui, les plus vieux de l’entreprise apportent de l’expérience et les plus jeunes agissent en fonction de leur âge et d’où ils sont rendus dans leur vie.

Un constat que partage un acteur que j’ai interrogé pour l’exercice. Les metteurs en scène, réalisateurs et collègues plus vieux qu’il côtoie sont ceux qui font de lui un meilleur comédien en lui inculquant les meilleures pratiques. « La maturité dans le jeu et dans la compréhension de ce qu’on fait, c’est souvent négligé », explique-t-il.

« [Les plus vieux] ont tellement le visage collé à ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont déjà fait, qu’ils arrivent moins à s’en sortir. On a un regard neuf sur ce qui va suivre, sur ce qu’on a le goût de créer. »

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Il s’inspire donc des plus vieux pour forger sa propre façon de travailler. Selon lui, où ça diverge, c’est que sa génération est plus prompte à prendre des risques. « [Les plus vieux] ont tellement le visage collé à ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont déjà fait, qu’ils arrivent moins à s’en sortir. On a un regard neuf sur ce qui va suivre, sur ce qu’on a le goût de créer. » Les plus vieux du domaine peuvent toutefois venir sonner une cloche si la « nouvelle » proposition a déjà été faite auparavant, puisqu’ils ont plus de métier derrière la cravate.

Gagner la confiance

J’ai bouclé la question du travail avec des collègues plus vieux en parlant avec un employé d’un autre média. S’il n’a jamais senti que ses collègues le trouvaient peu travaillant (dans ses premières années, il travaillait les soirs et fins de semaine alors qu’eux avaient gagné leur 9 à 5), c’est la confiance qui a été plus « difficile » à obtenir.

« Il a fallu que je leur prouve que j’étais capable de rédiger rapidement, et de faire de bons reportages », dit-il. Un sentiment que je partage. Souvent, notre âge n’est pas égal à la hauteur de nos ambitions et de notre potentiel qui ne demande qu’à être exploité.

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Comme les X et les boomers ne sont pas un groupe homogène, les milléniaux non plus. Et certains, malgré la pénurie de main-d’œuvre, ont fait deux, trois stages non rémunérés avant d’entrer par la grande porte.

Nous ne méritons pas toujours votre méfiance, même à 24 ans. On est capable de bien s’entendre et s’aider. Faites-nous confiance.