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C’est souvent un passage obligé dans un parcours professionnel, surtout lorsqu’on est jeunes : travailler à Noël. Eh oui, pendant que la majorité des gens dégrisent en écoutant Ciné-Cadeau, quelques valeureux continuent de faire fonctionner la société, en sacrifiant une partie leur propre période des Fêtes.
Et ils sont plus nombreux qu’on pourrait le croire, selon un sondage effectué en 2014 pour le compte de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. On peut y lire qu’une organisation sur quatre demande à ses employés d’être disponibles à Noël et au jour de l’An et ce, dans une foule de secteurs d’emploi comme la vente au détail, le transport, l’hébergement, les spectacles, les soins ou l’agriculture.
Une organisation sur quatre demande à ses employés d’être disponibles à Noël et au jour de l’An et ce, dans une foule de secteurs d’emploi.
Selon la Loi sur les normes du travail, la plupart des salariés du Québec ont droit à un congé payé le 25 décembre et le 1er janvier. Ceux qui sont obligés de travailler ces jours-là ont droit pour leur part à une indemnité ou à un congé compensatoire pris dans les trois semaines précédant ou suivant le jour férié.
J’ai retracé ici des gens qui s’apprêtent à vivre (revivre dans la plupart des cas) l’expérience, mais aussi d’autres qui l’ont vécue dans le passé.
Réveillonner dans l’ambulance
David Gagnon, lui, va passer sa nuit du 24 au 25 en stand-by dans son ambulance. « Pendant la tournée du père Noël! », lance le paramédic, qui a commencé dans le métier il y a onze ans… un 24 décembre. « Les gens veulent rester avec leurs proches à Noël, alors quand on nous appelle, c’est rarement pour des banalités », souligne David, qui a déj à exécuté, en vain, des manœuvres de réanimation sur une dame âgée au pied de son sapin de Noël.
« On répond souvent à des cas graves ou encore des gens qui s’ennuient. On passe alors une partie de la soirée avec eux », admet le paramédic de Belœil, qui savait qu’il raterait probablement quelques Noël en optant pour un tel métier. « Lors de ma première nuit de Noël, j’avais été voir mon bébé chez ma sœur avec mon partner, avant d’aller récupérer une dame décédée à quelques coins de rue puis retourner faire un tour au réveillon familial », raconte David.
La vraie mère Noël
Stéphanie Paquette a beau dire qu’elle ne célèbre jamais Noël, cette préposée en soins à domicile de Québec porte pourtant le mieux les valeurs judéo-chrétiennes associées à cette fête.
Plutôt que de rester avec ses enfants, elle va prêter main-forte à des personnes âgées dans le besoin, après avoir fait la même chose auparavant dans une maison pour personnes autistes. Bref, Stéphanie a toujours travaillé à Noël. « Pour moi ça ne change rien, mais je sais que ça leur fait plaisir. Et puis, je les aime mes petits vieux! », lance sans détour Stéphanie, qui prépare quelques attentions pour ses patients. « Je sais que Noël est important pour eux, j’envoie mes cartes ou j’apporte du sucre à la crème. Certains me donnent du chocolat », explique celle qui s’efforce de rendre cette journée spéciale. « Je leur donne du temps et c’est ça, selon moi, le plus beau cadeau. C’est ma façon à moi de fêter Noël sans le fêter », résume Stéphanie.
Survoler Noël
Si une conversation semi-raciste avec votre beau-frère vous exaspère, ayez une pensée pour l’agente de bord Marie-Claude, qui fera des vols Montréal-Winnipeg et Montréal-Calgary les 25, 26 et 27 décembre prochain. « Je devais être à Paris du 24 au 26, mais j’ai fait un échange désespéré pour être avec ma famille le 24 », souligne cette maman de trois enfants.
Désespéré, car elle devra se coucher super tôt puisque son cadran sonnera à 3h45 du matin le 25 décembre. « Et je ne peux pas boire douze heures avant mon shift, alors mon dernier verre sera à 17h le 24… », ajoute Marie-Claude, qui prépare toutefois quelques surprises pour combattre le spleen. « Je décore mon chariot-bar avec des lumières de Noël. Au jour de l’An passé, j’avais amené des flûtes à champagne en plastique du Dollarama et l’équipage avait trinqué au Ginger Ale. C’est un peu pathétique, mais ça aide pour vrai », confie l’agente de bord.
La samaritaine du cinéma
Outre les gens qui travaillent à Noël, j’ai aussi eu droit à une pléthore de témoignages de ceux qui l’ont déjà fait.
Philippe par exemple, a travaillé quelques années dans un cinéma à Noël, une journée très achalandée. « C’est touchant parfois. Une madame dans la soixantaine était venue avec sa famille et avait préparé des petits sacs de biscuits avec des cartes de Noël pour tous les employés. « La carte disait genre : merci de sacrifier du temps avec votre famille pour que je passe une belle journée avec la mienne », se souvient Philippe, qui se rappelle également d’une violente bagarre qui avait forcé l’intervention de la police.
Épiphanie en changeant des draps
Marie-Ève se souvient d’un Noël difficile, à l’époque où son conjoint et elle travaillaient dans un hôtel des Laurentides. « Notre fils venait d’avoir un an et demi et nous devions le faire garder. Notre petite gardienne de 14 ans a bien voulu nous dépanner. Je me souviens de m’être demandé en faisant mes lits ce que je faisais là pendant que quelqu’un d’autre était avec mon bébé le jour de Noël », raconte Marie-Ève, qui avait néanmoins profité de la générosité des clients. « J’ai reçu d’un client un immense bouquet de fleurs que j’ai offert à ma gardienne », souligne-t-elle.
L’étoile de Bethléem
La palme de la job de Noël la plus inusitée revient quand même à Éric, un ancien employé de la morgue.
Il m’a raconté plusieurs anecdotes plus ou moins publiables, dont un intense fou rire en se faisant accueillir par trois prêtres orthodoxes en tenue traditionnelle en allant chercher une dame décédée dans une résidence de Tétreaultville.
« Avez-vous eu du mal à trouver l’endroit? », avait demandé un des trois prêtres.
« Non, on a suivi l’étoile de Bethléem », avait répliqué Éric, provoquant l’hilarité de son comparse. « On était tellement crampés qu’on a eu toutes les misères du monde à descendre le défunt et même à ouvrir les portes du camion. »
Histoires de journalistes
J’ai pour ma part travaillé à Noël comme plongeur chez Cora déjeuner, comme commis d’épicerie chez Provigo, comme pompiste chez Super-Gaz, mais surtout comme journaliste.
Tous mes collègues ont vécu au moins une anecdote ou une couverture difficile à Noël.
La loi de Murphy étant ce qu’elle est, c’est immanquable qu’une catastrophe survienne à Noël alors que personne n’est joignable et qu’on est pratiquement seul dans la salle de rédaction. T’sais le tsunami de 2004, ben c’est survenu un 26 décembre et ça a forcé un branle-bas de combat de niveau olympique dans les salles de rédaction.
J’avais pour ma part été marqué par la couverture de cette famille décimée dans un incendie le 24 décembre. Un seul enfant avait survécu et je me demande encore chaque année comment il survit à ses Noël.
Mon collègue du Journal de Montréal Philippe Orfali – qui était à l’époque au journal Le Droit – se souvient quant à lui de la comparution du fils de l’ancien premier ministre de Terre-Neuve Brian Tobin, accusé d’avoir causé la mort de son meilleur ami dans une collision mortelle. Une comparution hautement émotive pour les familles éprouvées, qui se déroulait un 25 décembre. « Mettons que ça m’aidait à relativiser mon propre drame de rater Noël », souligne le journaliste.
La journaliste Monic Néron aussi a plusieurs 25 décembre à son actif derrière un micro, tant à l’époque où elle animait à Charlevoix que cette fois où elle s’est retrouvée seule au 98,5 à tenir les rênes de la station.
D’emblée, elle dit avoir été frappée par la solitude des gens. « J’étais souvent la seule personne à qui ils allaient parler ce jour-là, à qui ils allaient souhaiter « joyeux Noël », raconte Monic, qui se souvient particulièrement d’une dame mélancolique qui avait perdu son époux et qui réclamait une demande spéciale pour se remémorer ses belles années. « Ça m’avait crevé le cœur de devoir raccrocher pour retourner à ma besogne. J’avais la jeune vingtaine et j’étais sidérée parce que pour moi, Noël, c’était une infinie frénésie », confie la journaliste, qui aura au moins profité de ces années pour développer l’empathie qui la caractérise aujourd’hui dans son travail.
Morale de l’histoire, si vous travaillez à Noël cette année, dites-vous que vous n’êtes pas seul(e) et que d’autres sont passés par là avant vous, mais aussi que ça pourrait être pire.
Joyeux quart de travail et bonne année.