Cet article a été publié dans sa première version le 28 janvier 2022 et mis à jour le 26 janvier 2024.
Avez-vous déjà fait une balade en traîneau à chiens?
Moi non plus, avant cette semaine. Comme vous, je pensais que cette activité n’était qu’un cliché « traditionnel » servi aux Français.es en visite, au même titre qu’une virée dans le Montréal souterrain, une poutine à la Banquise ou une séance d’observation d’écureuils au parc Lafontaine.
J’avais tort, puisque les Québécois.es se laisseraient à leur tour tenter par l’aventure canine sur neige, du moins selon deux adresses visitées dans Lanaudière.
Si tout notre fil Facebook semble s’être mis au ski de fond, le traîneau à chiens semble avoir la cote en plus de constituer une alternative originale – quoique dispendieuse – pour meubler le spleen pandémique.
« On observe un engouement pour le tourisme hivernal. Les Québécois sortent plus et on observe un changement dans notre clientèle », résume Marie-Hélène Bélair, copropriétaire avec son chum David Boyer de l’entreprise Les Aventures liguoriennes, qui propose différents types de balades en traîneau à chiens dans un décor bucolique.
Le couple, deux anciens enseignants, ouvre ses sentiers à plein temps en hiver depuis une dizaine d’années sur la terre familiale de David à Saint-Liguori, en plus de s’adonner à l’agriculture bio.
C’est pour tâter son gagne-pain de l’intérieur – et son essor – que le duo m’offre une ride par un froid mordant.
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Je ne serai pas seul, puisqu’un couple de Montréal prend part à l’expédition avec nous. Une première pour Mathilde et Philippe, qui incarnent parfaitement cette nouvelle clientèle observée depuis deux ans. « On a toujours nos “pvtistes” français basés à Montréal, mais on a remplacé la clientèle étrangère par des Québécois », souligne Marie-Hélène, qui note la présence de quelques Européen.ne.s dans le temps des Fêtes, juste avant qu’Omicron ne replonge la province en confinement.
« C’est mon cadeau de Noël! », lance pour sa part Mathilde pour expliquer ce qui l’amène ici. « Mes parents avaient déjà fait ça et avaient eu du fun », justifie Philippe, qui vient de placer la barre des cadeaux de Noël romantiques assez haute.
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D’emblée, Marie-Hélène me chicane parce que je ne suis pas vêtu assez chaudement. On gèle dehors, mes pantalons cirés et mes bottillons de chez Yellow ne feront pas la job, me prévient-elle. Le trajet s’étire sur deux heures et 25 kilomètres, mieux vaut être prévoyant. Elle me fournit donc – à moi et aux autres – une salopette plus épaisse, de meilleures bottes, une paire de lunettes de ski, de grosses mitaines chaudes et des hot pads à insérer à l’intérieur.
Nous sommes prêt.e.s, c’est le moment d’aller retrouver David au chenil pour le départ.
À mesure qu’on approche, le jappement des chiens s’intensifie.
David nous accueille avec un large sourire, nous expliquant d’emblée les règles à suivre sur le traîneau. « Deux mains sur le guidon! », martèle notre « musher » en chef en décortiquant le fonctionnement de notre bolide, l’emplacement des freins, etc.
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Philippe et Mathilde prendront place dans un traîneau, moi et David dans l’autre.
Ça a l’air assez simple, les chiens connaissent la chanson. « Pas besoin de leur dire quoi que ce soit, on les laissent travailler et le timbre de la voix est important : doucement », explique David, ajoutant que chaque chien est capable de tirer trois fois son poids.
Il y en aura huit pour nous propulser, nous et le traîneau d’environ 45 kilos. David précise que ses 60 chiens de race alaskan (un chenil jugé modeste dans l’univers du traîneau à chiens) sont des « chiens de travail », des « athlètes » qui brûlent 12 000 calories par jour. « Ce ne sont pas des sprinteurs, mais des marathoniens, efficaces sur de longues distances », note-t-il en nous conduisant à l’intérieur du chenil, où les chiens bondissent contre le grillage de leurs enclos en nous apercevant.
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C’est dans cette cacophonie canine que nous prenons place dans nos traîneaux, avec nos chiens déjà attelés par l’employé de David. Ce dernier présente les bêtes une à une à Mathilde et Philippe. Tous les chiens ont des noms, la majorité ont été baptisés par les trois enfants de David et Marie-Hélène.
Goyave, Daisy, Gaspard, Luna, Flèche, Poncho, Baladin, Patraque, etc. : ces derniers se sont lâchés lousse.
Mathilde flatte son équipage. Je prends des photos en retrait.
Ce n’est pas le moment d’avouer que je n’ai jamais trippé chien. J’en ai eu un dans ma jeunesse, feu Toxon, mais je préférais de loin l’indépendance de mon chat, feu Boris.
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Je flanche un peu devant la passion contagieuse de David pour ses chiens, lui qui est tombé en amour avec ce sport durant l’enfance après avoir visionné le film Toby McTeague de Jean-Claude Lord. « J’avais 12 ans quand j’ai eu mon premier chien, un vieux husky d’un voisin. Il me tirait autour de la maison sur une chaise installée sur des skis de fond que mon père m’avait patentée », raconte David, qui s’est rapidement retrouvé responsable d’une meute d’une quinzaine de chiens à l’adolescence. « Au lieu de m’amener jouer au hockey la fin de semaine, mon père m’emmenait faire des courses de chiens de traîneau », ajoute le musher, qui fait toujours des compétitions, dont une prévue en Gaspésie en mars.
C’est le départ. Nos huit chiens attelés s’élancent brusquement, il faut bien se tenir. Je suis debout, avec les pieds de chaque côté du traîneau, David est derrière moi. Le couple de Montréalais.es nous suit de près derrière, Mathilde est assise au chaud dans une sorte de cocon à l’avant de sa luge.
On gèle, mais heureusement, le soleil plombe sur les terres agricoles enneigées qui s’étendent à perte de vue.
L’expérience est apaisante, bercée par le son des pas synchronisés des chiens dans le sentier.
Pendant que je m’efforce de prendre des images d’une main en tenant le guidon de l’autre, David m’explique que les tireurs en face de nous n’ont pas été attelés au hasard.
Les plus massifs sont derrière pour absorber les chocs et les moins compétitifs sont à l’avant, puisqu’ils ne courent après rien. Quelque chose comme ça. Les duos qui filent côte à côte sont souvent de la même portée. D’ailleurs, les deux sœurs au milieu de l’attelage se chamaillent sans arrêt.
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J’aurais mille questions à poser à David, mais j’essaye aussi de profiter de cette expérience unique.
Devant l’effort déployé pour nous traîner à vive allure (environ 15-20 km/h), je plains un peu nos pauvres chiens. Je pèse plus de 200 livres quand même.
David m’assure que ce type de chiens est capable d’en prendre et que cette promenade est de la petite bière pour eux. Il est conscient que certain.e.s dénoncent l’exploitation animale associée à cette industrie, mais assure rouler sa business de manière éthique. « La tendance est au petit chenil comme nous et non aux gros de 3-400 chiens », explique David, qui fait courir ces chiens à l’année longue et pas juste l’hiver pour transporter des touristes.
Notre traîneau s’enfonce dans la forêt. La vue de ce long sentier blanc tapé au milieu de hautes rangées d’érables est féérique. Nous filons maintenant dans le village voisin à Saint-Ambroise-de-Kildare, m’informe David, qui a négocié le droit de passage avec le propriétaire du terrain.
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Le musher me décrit presque avec émotion la sensation de se promener ici la nuit, lorsque le son des pas synchronisés des chiens dans la neige fait lever des perdrix.
Lorsque notre traîneau grimpe une pente, David descend pour courir à côté de l’attelage pour donner un break à ses chiens.
Derrière, Philippe fait ça comme un pro, malgré quelques sorties de pistes épiques dans les courbes. À mi-chemin, il cède les rênes du traîneau à Mathilde.
La balade s’achève, j’ai bizarrement froid à la bedaine, si bien que je termine ma balade en maintenant fermement un hot pad dessus.
« C’est ça, mon bureau », résume en souriant David au sujet du manteau blanc qui enveloppe les terres autour de nous.
Nous retrouvons le chenil au moment où le soleil commence à descendre à l’horizon.
Mathilde et Philippe ont adoré leur expérience et cajolent avec reconnaissance leur équipage.
David nous raccompagne à l’entrée du chenil avant de retourner s’occuper de ses chiens. Dans son bureau attenant la résidence familiale, Marie-Hélène nous attend avec du chocolat chaud.
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Le comité d’accueil de Kinadapt
À quelques kilomètres de là, à Rawdon, j’ai fait arrêt plus tôt chez Kinadapt, autre entreprise de chiens de traîneau populaire dans la région. L’endroit propose notamment « plus de trente kilomètres de sentier en harmonie avec la nature ».
Un comité d’accueil de beaux huskys m’attendent dans le stationnement, étendus sur la neige autour et assis devant la portière.
Les chiens sont ben relaxes, habitués de voir des étrangers débarquer chez eux.
Je trouve Carole Turcotte, la propriétaire et coordinatrice de la meute, dans son bureau au fond d’une belle maison rustique, où un feu de foyer ardent crépite dans la salle à manger. Carole est au téléphone en train de prendre une réservation.
Elle me fait signer un formulaire de sécurité obligatoire pour fouler le site. « C’est une formalité, le plus grand risque est une chicane entre les chiens », m’indique Carole au sujet de la cohabitation à l’occasion périlleuse entre ses 103 colocataires. « Une partie de notre travail est de démystifier le comportement du chien. Ce n’est pas un toutou et il a droit à sa bulle, on fait beaucoup d’éducation », assure Carole.
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En plus de différents forfaits de randonnées en traîneau à chiens, Kinadapt offre depuis 15 ans du canicross, du camping sauvage, des camps d’été, des cours pour apprendre à devenir « musher » et du parrainage. « L’engouement est fort pour notre programme de membership, qui permet aux gens de venir quand ils veulent profiter du site avec leurs propres chiens. Chacun d’entre eux est introduit à toute la meute », souligne Carole.
Ses employé.e.s s’occupent de ses chiens à l’année, l’hiver mais aussi l’été, saison où le chenil est transféré dans la forêt, où les chiens profitent de la nature au frais. Le dossier médical de chaque chien est consigné dans d’épais cartables alignés sur une étagère de son bureau. « Chaque chien nous coûte environ 2000 $ d’entretien chaque année, et on a une vingtaine de retraités. On ne vend aucun chien, on les garde à la vie, à la mort », assure Carole, pendant que Malice – un retraité de 13 ans – pointe son museau dans la porte vitrée.
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Si la santé des chiens est importante, celle de la clientèle l’est tout autant pour les propriétaires. Si Carole est psychoéducatrice de profession, son mari Peter W. Boutin travaillait en réadaptation comme kinésiologue avant d’aménager leur centre sur le site pittoresque d’une ferme centenaire entourée de grands espaces. « On s’intéresse beaucoup au mouvement et notre but est de rendre les activités du centre accessibles à tous. On a toujours dit que le plein air était une pilule », résume Carole, qui dit avoir eu la visite de beaucoup de travailleurs et travailleuses de la santé depuis le début de la pandémie. « C’est un apaisement pour eux. Une infirmière aux soins intensifs m’a même déjà dit : “Vous êtes mon service essentiel.” On n’est pas des thérapeutes, mais on utilise un cadre enchanteur pour faire du bien », ajoute Carole.
La pandémie a certes contribué à modifier le visage de sa clientèle, confirme-t-elle. « Avant la COVID, on avait des gens de 71 pays qui venaient faire du traîneau chez nous; là, on a de plus en plus de gens du Québec qui viennent découvrir ça, sans oublier les étudiants étrangers et les familles issues de l’immigration (de plus en plus de ressortissants chinois et hindous) », décrit Carole, qui doit présentement refuser du monde.
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Un beau problème en perspective lorsque les Européen.ne.s viendront réalimenter ce cliché touristique hivernal à la levée des restrictions.
En attendant, Kinadapt se croise les doigts pour continuer d’attirer des gens d’ici, consciente que les promenades en traîneau à chiens ne sont pas à la portée de toutes les bourses (environ 325 $ pour deux heures avec une famille de quatre et un guide).
C’est sans compter le côté « non éthique », qui en rebute certain.e.s. « Il y a encore des gens qui pensent que ces chiens sont martyrisés, alors qu’ils ne demandent qu’à courir », assure Carole, consciente qu’il existe de l’abus dans cette industrie.
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Avant de partir, Peter, le mari de Carole, m’offre une tournée du propriétaire sur le majestueux site.
On visite le chenil, où les chiens qui ne sont pas en laisse se précipitent vers nous pour se faire flatter par Peter. Toutes les niches sont identifiées et Yamaska profite du soleil étendu sur la sienne, peinard malgré le niveau élevé de décibels produit par cent chiens excités. En visitant le vieux bâtiment rustique qui sert de camp d’été, on tombe au deuxième étage sur Paméla, la fille de Carole et Peter, en train de coudre des harnais sur sa machine.
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En quittant le site, je comprends un peu mieux l’effet thérapeutique dont me parlait Carole un peu plus tôt en voyant s’éloigner dans mon rétroviseur le chenil perdu au milieu d’un décor de carte postale.
Et je comprends évidemment mieux pourquoi les touristes en font une destination chouchou lorsqu’ils débarquent ici.