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Trail polaire GaspĂ©sia : rĂ©cit dâune course Ă la noirceur hors de lâordinaireÂ
Jâadore courir. Casque dâĂ©coute sur les oreilles, longue introspection en running shoes, exquise endorphine qui kick in Ă lâarrivĂ©e; câest une activitĂ© merveilleuse que jâaffectionne particuliĂšrement. Quand jâai appris lâexistence de la sĂ©rie trail polaire GaspĂ©sia, jâai sautĂ© sur lâoccasion de relever le dĂ©fi de courir le soir, sur la neige, en montagne, et je me suis inscrit au 8 km, confiant de mon VO2 Max performant.
Jâai rarement eu autant tort.
La naĂŻvetĂ© dâun joggeur estival
Bien sĂ»r, ça fait un petit moment que je nâai pas couru. En hiver, jâaccroche mes runnings et je prĂ©fĂšre mâadonner Ă des disciplines plus « de saison ». Ainsi, je suis peu entraĂźnĂ© pour la course, mais je me conforte en me disant que jâai dĂ©jĂ ralliĂ© des 10 km sans avoir eu besoin de chercher dĂ©sespĂ©rĂ©ment mon souffle.
Avant toute chose, je me demande comment bien mâhabiller pour courir confortablement Ă -15 degrĂ©s Celsius sans grelotter ou suffoquer dans ma propre sueur. On me conseille dâopter pour des vĂȘtements mous pour me sentir libre dans mon Ă©lan. Je choisis donc des sweatpants et trois hoodies qui mâoffrent la possibilitĂ© dâenlever une couche si un inconfort se prĂ©sente.
Rendu au pied du mont BĂ©chervaise, je me mĂȘle aux cinquante sportifs et sportives prĂ©sent.e.s, dont certain.e.s ont fait le voyage de Baie-Comeau jusquâĂ la pointe de la GaspĂ©sie pour lâĂ©vĂ©nement. La plupart se sont inscrit.e.s aux 5 et 8 kilomĂštres. Quelques courageux et courageuses se lancent dans le 16 km.
Par ailleurs, les Trails Polaires tirent leur origine dâun hiver 2016 peu enneigĂ©, empĂȘchant les skieurs et skieuses de dĂ©valer le mont BĂ©chervaise. « On avait le dĂ©sir dâutiliser la montagne pour dâautres sports que le ski. On voulait aussi garder contact avec les coureurs rĂ©gionaux pour ne pas quâil y ait de saison morte sans course », explique Jean-François Tapp, le fondateur de lâĂ©vĂ©nement.
SitĂŽt arrivĂ©, ma confiance est Ă©branlĂ©e. Dâune part, jâapprĂ©hende la montagne qui sâimpose avec son 244 mĂštres de dĂ©nivelĂ©, puis, dâautre part, jâessaie dâignorer lâeffarement des autres coureurs et coureuses qui me regardent ahuri.e.s : « Tâas pas de bĂątons ou de crampons aux souliers? », me demandent-ils, les yeux grand ouverts. Ă moi de leur rĂ©pondre, optimiste mais tĂȘtu : « Vous exagĂ©rez! Câest juste une course de 8 km, pas une randonnĂ©e! »
« Bonne chance, alors! », me lancent-ils.
Une sorte de mythe de Sisyphe sportif
Puis, la sirĂšne retentit et câest parti! Je mâĂ©lance avec lâĂ©nergie du grunge de Nirvana Ă plein volume dans les oreilles, parfait pour me donner le courage de gravir la montagne. Ăvidemment, je commence la course en accĂ©lĂ©rant mon rythme habituel Ă©tant donnĂ© la foule de coureurs et coureuses que je veux impressionner. DamnĂ© Ă©go⊠Dâautant plus que ce nâest pas tout le parcours qui est bien tapĂ©, alors il faut parfois donner un effort supplĂ©mentaire pour mettre un pied devant lâautre pour ne pas sâenfoncer dans la neige.
Tout commence donc relativement bien jusquâĂ ce que je rencontre ma plus grande ennemie du parcours : la pente en continu qui mĂšne jusquâau sommet. Je fonce maintenant au son entraĂźnant des White Stripes, rĂ©sistant Ă la tentation dâarrĂȘter de courir et de poursuivre la montĂ©e en marchant. Je force mon allure, mais Ă chaque nouvelle enjambĂ©e, mon souffle me glisse entre les doigts. Je regarde derriĂšre et je suis soulagĂ© de constater que presque tout le monde sâarrĂȘte pour continuer lâascension en marchant, sauf quelques irrĂ©ductibles qui rĂ©sistent et cheminent vers la gloire.
Haletant comme si jâavais fumĂ© autant de cigarettes que Serge Gainsbourg, je poursuis la montĂ©e en marche rapide. Ă mon grand dĂ©sarroi, je viens Ă peine dâentamer le deuxiĂšme kilomĂštre. Ă ce rythme, il me faudrait deux heures pour terminer ma course. En plus, nâayant rien pour me harponner au sol (faute de bĂątons et de crampons â on ne peut pas dire quâon ne mâavait pas prĂ©venu), la montĂ©e devient particuliĂšrement ardue. Je me mets alors Ă glisser et Ă presque crier de dĂ©sespoir en voyant chaque petite avancĂ©e chĂšrement acquise se volatiliser en fumĂ©e. Disons que mon moral en prend un coup et que je deviens dĂ©couragĂ© et frustrĂ©.
Ă mon grand dĂ©sarroi, je viens Ă peine d’entamer le deuxiĂšme kilomĂštre. Ă ce rythme, il me faudrait deux heures pour terminer ma course.
Soudain, tel un Ă©cho provenant dâune autre galaxie, jâentends une phrase qui me donne le coup de pied au derriĂšre nĂ©cessaire : « Do, or do not, there is no try » (« Fais-le, ou ne le fais pas, mais ne te contente pas dâessayer »), susurrĂ© par maĂźtre Yoda. Au mĂȘme moment, douce providence, un bon samaritain me donne ses deux bĂątons et mâassure ĂȘtre correct avec ses bottes Ă crampons.
Alors que je suis presque rendu au sommet, un bĂ©nĂ©vole dâune station de ravitaillement me crie : « Pour le 8 km, tu continues la montĂ©e tout droit, et pour le 5 km, tu descends Ă droite. » Sans hĂ©sitation, je bifurque vers la droite et jâentame la descente. Jâentends au loin un « bon choix » bien senti qui me fait sourire. Je profite de la descente pour reprendre mon souffle et admirer le soleil qui se couche Ă lâhorizon. Câest assez curieux de voir tous les petits faisceaux lumineux des lampes frontales percer lâobscuritĂ©. Un spectacle de toute beautĂ©.
Assez vite, je reviens au point de départ en un seul morceau et bien satisfait. Spoiler alert : il faut faire un deuxiÚme tour de piste pour le 5 km.
Ayoye, okâŠ
Toujours rempli dâorgueil, je mâĂ©lance et, encore une fois, la montĂ©e me fait maudire la montagne. Cette fois, je sais au moins Ă quoi mâattendre, mais mon Ă©nergie crie famine. MalgrĂ© lâaide de mes bĂątons, je mâagrippe avec lâĂ©nergie du dĂ©sespoir pour ne pas dĂ©gringoler. Jâai lâimpression de transporter trois Frodon sur mon dos. En plus, la quĂ©taine Aux Champs ĂlysĂ©es de Joe Dassin se met de la partie dans mes Ă©couteurs. Je nâai mĂȘme plus lâĂ©nergie de changer de chanson, alors jâendure ce bon vieux Joe pendant mon supplice physiqueâŠ
Bon je lâavoue, avec du recul, je suis un peu drama queen, mais sur le coup, câĂ©tait vraiment rough. Lâeffort physique en valait toutefois la chandelle.
La prochaine course aura lieu au mont Saint-Mathieu, pas trĂšs loin de Trois-Pistoles, le 26 mars. ConsidĂ©rant ce bel happening dans lâEst-du-QuĂ©bec et sachant aussi Ă quoi mâattendre, il se peut trĂšs bien que je me joigne Ă la partie.
Mais cette fois, je vais peut-ĂȘtre Ă©couter les conseils des expert.e.s et laisser mon orgueil de cĂŽtĂ© afin dâespĂ©rer vaincre la montagne.