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Trail polaire Gaspésia : récit d’une course à la noirceur hors de l’ordinaire 

Comment je me suis cru assez en forme pour affronter le mont Béchervaise à Gaspé.

Par
Guillaume Whalen
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J’adore courir. Casque d’écoute sur les oreilles, longue introspection en running shoes, exquise endorphine qui kick in à l’arrivée; c’est une activité merveilleuse que j’affectionne particulièrement. Quand j’ai appris l’existence de la série trail polaire Gaspésia, j’ai sauté sur l’occasion de relever le défi de courir le soir, sur la neige, en montagne, et je me suis inscrit au 8 km, confiant de mon VO2 Max performant.

J’ai rarement eu autant tort.

La naïveté d’un joggeur estival

Bien sûr, ça fait un petit moment que je n’ai pas couru. En hiver, j’accroche mes runnings et je préfère m’adonner à des disciplines plus « de saison ». Ainsi, je suis peu entraîné pour la course, mais je me conforte en me disant que j’ai déjà rallié des 10 km sans avoir eu besoin de chercher désespérément mon souffle.

Avant toute chose, je me demande comment bien m’habiller pour courir confortablement à -15 degrés Celsius sans grelotter ou suffoquer dans ma propre sueur. On me conseille d’opter pour des vêtements mous pour me sentir libre dans mon élan. Je choisis donc des sweatpants et trois hoodies qui m’offrent la possibilité d’enlever une couche si un inconfort se présente.

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Rendu au pied du mont Béchervaise, je me mêle aux cinquante sportifs et sportives présent.e.s, dont certain.e.s ont fait le voyage de Baie-Comeau jusqu’à la pointe de la Gaspésie pour l’événement. La plupart se sont inscrit.e.s aux 5 et 8 kilomètres. Quelques courageux et courageuses se lancent dans le 16 km.

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Par ailleurs, les Trails Polaires tirent leur origine d’un hiver 2016 peu enneigé, empêchant les skieurs et skieuses de dévaler le mont Béchervaise. « On avait le désir d’utiliser la montagne pour d’autres sports que le ski. On voulait aussi garder contact avec les coureurs régionaux pour ne pas qu’il y ait de saison morte sans course », explique Jean-François Tapp, le fondateur de l’événement.

Sitôt arrivé, ma confiance est ébranlée. D’une part, j’appréhende la montagne qui s’impose avec son 244 mètres de dénivelé, puis, d’autre part, j’essaie d’ignorer l’effarement des autres coureurs et coureuses qui me regardent ahuri.e.s : « T’as pas de bâtons ou de crampons aux souliers? », me demandent-ils, les yeux grand ouverts. À moi de leur répondre, optimiste mais têtu : « Vous exagérez! C’est juste une course de 8 km, pas une randonnée! »

« Bonne chance, alors! », me lancent-ils.

Une sorte de mythe de Sisyphe sportif

Puis, la sirène retentit et c’est parti! Je m’élance avec l’énergie du grunge de Nirvana à plein volume dans les oreilles, parfait pour me donner le courage de gravir la montagne. Évidemment, je commence la course en accélérant mon rythme habituel étant donné la foule de coureurs et coureuses que je veux impressionner. Damné égo… D’autant plus que ce n’est pas tout le parcours qui est bien tapé, alors il faut parfois donner un effort supplémentaire pour mettre un pied devant l’autre pour ne pas s’enfoncer dans la neige.

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Tout commence donc relativement bien jusqu’à ce que je rencontre ma plus grande ennemie du parcours : la pente en continu qui mène jusqu’au sommet. Je fonce maintenant au son entraînant des White Stripes, résistant à la tentation d’arrêter de courir et de poursuivre la montée en marchant. Je force mon allure, mais à chaque nouvelle enjambée, mon souffle me glisse entre les doigts. Je regarde derrière et je suis soulagé de constater que presque tout le monde s’arrête pour continuer l’ascension en marchant, sauf quelques irréductibles qui résistent et cheminent vers la gloire.

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Haletant comme si j’avais fumé autant de cigarettes que Serge Gainsbourg, je poursuis la montée en marche rapide. À mon grand désarroi, je viens à peine d’entamer le deuxième kilomètre. À ce rythme, il me faudrait deux heures pour terminer ma course. En plus, n’ayant rien pour me harponner au sol (faute de bâtons et de crampons – on ne peut pas dire qu’on ne m’avait pas prévenu), la montée devient particulièrement ardue. Je me mets alors à glisser et à presque crier de désespoir en voyant chaque petite avancée chèrement acquise se volatiliser en fumée. Disons que mon moral en prend un coup et que je deviens découragé et frustré.

À mon grand désarroi, je viens à peine d’entamer le deuxième kilomètre. À ce rythme, il me faudrait deux heures pour terminer ma course.

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Soudain, tel un écho provenant d’une autre galaxie, j’entends une phrase qui me donne le coup de pied au derrière nécessaire : « Do, or do not, there is no try » (« Fais-le, ou ne le fais pas, mais ne te contente pas d’essayer »), susurré par maître Yoda. Au même moment, douce providence, un bon samaritain me donne ses deux bâtons et m’assure être correct avec ses bottes à crampons.

Alors que je suis presque rendu au sommet, un bénévole d’une station de ravitaillement me crie : « Pour le 8 km, tu continues la montée tout droit, et pour le 5 km, tu descends à droite. » Sans hésitation, je bifurque vers la droite et j’entame la descente. J’entends au loin un « bon choix » bien senti qui me fait sourire. Je profite de la descente pour reprendre mon souffle et admirer le soleil qui se couche à l’horizon. C’est assez curieux de voir tous les petits faisceaux lumineux des lampes frontales percer l’obscurité. Un spectacle de toute beauté.

Assez vite, je reviens au point de départ en un seul morceau et bien satisfait. Spoiler alert : il faut faire un deuxième tour de piste pour le 5 km.

Ayoye, ok…

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Toujours rempli d’orgueil, je m’élance et, encore une fois, la montée me fait maudire la montagne. Cette fois, je sais au moins à quoi m’attendre, mais mon énergie crie famine. Malgré l’aide de mes bâtons, je m’agrippe avec l’énergie du désespoir pour ne pas dégringoler. J’ai l’impression de transporter trois Frodon sur mon dos. En plus, la quétaine Aux Champs Élysées de Joe Dassin se met de la partie dans mes écouteurs. Je n’ai même plus l’énergie de changer de chanson, alors j’endure ce bon vieux Joe pendant mon supplice physique…

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Bon je l’avoue, avec du recul, je suis un peu drama queen, mais sur le coup, c’était vraiment rough. L’effort physique en valait toutefois la chandelle.

La prochaine course aura lieu au mont Saint-Mathieu, pas très loin de Trois-Pistoles, le 26 mars. Considérant ce bel happening dans l’Est-du-Québec et sachant aussi à quoi m’attendre, il se peut très bien que je me joigne à la partie.

Mais cette fois, je vais peut-être écouter les conseils des expert.e.s et laisser mon orgueil de côté afin d’espérer vaincre la montagne.