Il s’agit peut-être du plus grand tabou de la parentalité : le cododo, sujet ultra controversé (et non recommandé par toutes les instances de santé publique canadiennes et américaines), est pourtant pratiqué par environ 30 % des mères au pays, que ce soit de manière occasionnelle, régulière… ou même accidentelle.
J’aime dire que je dors avec ma fille par obligation et non par choix. Au retour de l’hôpital, elle refusait de dormir ailleurs que sur moi. J’ai tout essayé : impossible de la déposer dans son (super beau et cher) moïse sans qu’elle se mette à crier. Comme la plupart des parents québécois, j’étais convaincue que de dormir avec elle serait une grave erreur.
Une nuit, je me suis réveillée en sursaut avec ma fille couchée sur ma poitrine. J’étais à demi assise dans le lit — je m’étais endormie sans m’en rendre compte. J’aurais pu l’échapper par terre! C’est là que j’ai réalisé qu’entre les recommandations des médecins et la vraie vie, il y a un monde de différences. Entre risquer d’échapper mon bébé par épuisement ou la mettre dans mon lit, mon choix était fait.
En me renseignant sur le sujet, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions. Pourquoi est-ce que quelque chose qui est aussi répandu est refusé en bloc par tout le corpus de santé publique? Pourquoi les parents continuent-ils de pratiquer le cododo même si on leur dit de ne pas le faire? J’ai appelé deux spécialistes pour en discuter.
Mille ans de proximité
On définit le cododo de manière différente selon les études. Pour certain.e.s, il s’agit du partage de chambre, mais en mode « chacun.e dans son lit ». Santé Canada recommande d’ailleurs de garder le bébé dans la chambre des parents jusqu’à au moins 6 mois afin de prévenir, entre autres, le terrible et très effrayant syndrome de la mort subite du nourrisson. D’autres considèrent que le cododo est un terme qui ne s’applique qu’au partage de lit — c’est, de manière générale, la définition la plus utilisée.
«Un enfant ne meurt pas du cododo. Il meurt de différents facteurs de risque qui sont conjugués.»
Dans les années 1990, la recommandation de coucher bébé sur le dos, seul, dans un lit qui ne comprend aucune couverture, peluche ou oreiller a permis de faire diminuer les cas de mort subite du nourrisson de 50 à 70 %. C’est probablement là que la peur du cododo s’est installée : cette crainte d’étouffer notre enfant pendant la nuit, très répandue chez les parents qui ne souhaitent pas partager le lit avec leur petit.e, est née. Toutefois, cette perception occulte quelque chose d’assez important.
« Un enfant ne meurt pas du cododo », indique Anne-Marie Rouillier, détentrice d’un bac en travail social et d’un doctorat en anthropologie à l’Université Laval. « Il meurt de différents facteurs de risque qui sont conjugués, comme des enjeux de santé cardiaque pour le bébé, un parent sous somnifères, un animal dans le lit… »
Plusieurs pays occidentaux, la Grande-Bretagne ou le Danemark par exemple, ont ainsi choisi d’éduquer la population sur les pratiques sécuritaires en matière de cododo plutôt que de décourager les familles de le faire. Oui, partager le lit avec un bébé peut être dangereux, mais ce qui l’est réellement, c’est le cododo non sécuritaire — sur un sofa, dans un lit rempli d’oreillers ou encore avec un parent qui a consommé de l’alcool ou des médicaments, par exemple. Les études sur la mort subite du nourrisson ne sont d’ailleurs pas en mesure d’établir un lien de causalité direct entre le partage du lit et les cas de décès des bébés.
Mais c’est-tu moi, ou ce n’est pas notre impression collective, comme parents?
Une affaire de privilège?
« Ce n’est pas parce qu’on a des pratiques qu’on juge adéquates ici au Québec que la situation n’est pas différente ailleurs, poursuit l’anthropologue. On se sent suffisamment en sécurité ici pour laisser un enfant seul dans une autre pièce parce qu’on sait qu’il ne va rien lui arriver, qu’il est bien, qu’il a chaud. »
Ce n’est pas le cas de toutes les familles du monde, qui ne possèdent pas nécessairement un appartement chauffé avec une chambre pour chaque enfant ou même qui, culturellement, pratiquent le sommeil séparé. Comme quoi le sommeil, c’est aussi une affaire de culture et de privilège!
L’autre truc qu’on semble oublier quand vient le temps de jaser « lit familial », c’est que le cododo est une pratique millénaire. Tous les mammifères dorment avec leur bébé : cette pratique permet de s’assurer de la sécurité du petit durant la nuit, une période de grande vulnérabilité, mais aussi de répondre au besoin très naturel de proximité du nourrisson.
«Pour certains bébés, le besoin de toucher ou de sentir est plus important, et la meilleure façon de le faire sentir en sécurité durant la nuit, c’est le cododo.»
« Dans la première année de vie, nos bébés s’attachent par les sens », explique Karolann Robinson, docteure en neuropsychologie et cofondatrice de Cœur en tête, une entreprise qui propose des services d’accompagnement sur le sommeil et la parentalité. « Pour certains bébés, le besoin de toucher ou de sentir est plus important, et la meilleure façon de le faire sentir en sécurité durant la nuit, c’est le cododo. »
Le cododo comporte plusieurs bénéfices, comme une synchronisation du système nerveux, une régularisation de la température corporelle du bébé et, oui, un apaisement de ce besoin plus ou moins grand de proximité de notre coco. « À travers les époques et les pays, le bébé cherche quand même le contact de son parent. Il a besoin de chaleur humaine », remarque Anne-Marie Rouillier, qui a étudié le sommeil partagé dans une perspective anthropologique.
Votre bébé n’est donc pas brisé parce qu’il veut dormir avec vous, et vous n’êtes pas un mauvais parent parce que vous voulez le coller en dormant — tout comme l’inverse est tout aussi normal et correct! Comme pour la plupart des pratiques parentales, il y a un monde de possibilités (et de réalités) différentes à soupeser avant de prendre une décision finale.
En gros, le cododo n’est pas mieux qu’un autre arrangement. C’est simplement une avenue à considérer parmi le large éventail de possibilités entourant le sommeil. That’s it!