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Tirer des leçons de la fameuse publication virale du Ritz-Carlton
La fin de semaine dernière, l’hôtel Ritz-Carlton Montréal publiait sur son compte Instagram une vidéo de la Fondation du CHU Sainte-Justine. On y promettait d’acheter des jouets pour les enfants malades à l’occasion de Noël. Plus précisément, on pouvait y lire la mention: 1 partage = 1 jouet.
En quelques heures seulement, la publication devient virale. Plus d’un million de partages plus tard, le Ritz change le message sous la vidéo, retire la notion de partage pour simplement indiquer qu’il livrera des cadeaux aux enfants de l’hôpital le 20 décembre prochain.
Cue le levée de boucliers. On reproche au Ritz-Carlton de ne pas honorer sa promesse, d’utiliser la misère du monde pour se faire de la publicité gratuite, etc.
Mais qu’est-ce qui est arrivé?
«On ne peut pas donner un million de jouets»
Lorsque je joins au téléphone Katia Piccolino, la directrice des ventes et du marketing du Ritz-Carlton Montréal et l’auteure de la publication en question, je la sens d’abord bouleversée.
«Ça me déchire», me dit-elle. Elle m’explique que le Ritz est un partenaire de longue date de la Fondation Sainte-Justine et qu’il organise chaque année des évènements pour les enfants malades à l’approche du temps des Fêtes. «Même si cette année c’est la pandémie, je ne pouvais pas dormir sur mes deux oreilles sachant qu’on ne ferait rien. Je me suis dit, il faut faire quelque chose pour les enfants.»
«Jamais, jamais, jamais on pensait que ça deviendrait viral comme ça.»
Elle repartage donc sur le compte Instagram du Ritz la vidéo publiée par la Fondation du CHU Sainte-Justine pour sa campagne annuelle, le Grand sapin. Puis, sans s’imaginer les répercussions que ça aurait, elle rédige le texte qui va avec, sans consulter l’organisme.
«Jamais, jamais, jamais on pensait que ça deviendrait viral comme ça. Et l’intention était aussi que les gens sachent où donner les dons. On se disait que ça pourrait inciter les gens sur notre plateforme à donner sur le site de la fondation de l’hôpital.»
«L’hôpital n’a pas besoin d’un million de jouets, ils ont besoin d’un million de dons.»
Sauf que le lien en question se retrouve à la fin de la vidéo seulement. On ne peut pas cliquer dessus directement, il faut taper l’adresse URL par soi-même. Un geste beaucoup plus impliquant (et compliqué) que de simplement cliquer sur le petit avion de papier à droite de la publication et de partager.
Katia admet et assume aujourd’hui son erreur. «Si je pouvais le refaire, je mettrais une limite. Mais c’est allé tellement vite. L’hôpital n’a pas besoin d’un million de jouets, ils ont besoin d’un million de dons.» Le Ritz donnera des jouets à tous les enfants qui reçoivent actuellement des soins à l’Hôpital Sainte-Justine, mais c’est évidemment beaucoup moins qu’un million.
Des critiques inévitables?
Si la publication originale du Ritz-Carlton a voyagé beaucoup en peu de temps, les critiques elles aussi n’ont pas tardé à faire le tour des réseaux sociaux. Même avant que la compagnie ne change son message, des voix s’élèvent pour dénoncer l’hôtel qui, selon plusieurs, a profité d’une cause noble pour s’autopromouvoir.
«C’est un peu automatique. Dès qu’on a un individu, une entreprise ou une corporation qui cumule quand même beaucoup de capitaux qui met les pieds dans la philanthropie, automatiquement il y a un réflexe de dire “c’est quoi l’intention?”, “c’est quoi leur intérêt derrière?”», précise Jean-Marc Fontan, professeur à l’UQAM et directeur du centre de recherches en philanthropie le PhiLab.
Selon lui, s’impliquer avec un organisme de charité quand on est une entreprise à but lucratif, c’est toujours délicat. Encore plus quand l’entreprise en question a pas mal d’argent, disons: «C’est à double tranchant. Ça peut être positif, comme ça peut nuire. Soit parce que la cause est mauvaise, parce que la façon de procéder est mauvaise, parce qu’il y a un conflit d’intérêts.»
«La meilleure manière de faire ça, c’est d’assurer la cohérence entre nos activités commerciales et philanthropiques.»
Raison de plus, selon Rachel Desbiens-Després, directrice générale et chef de la stratégie de l’agence de communication Canidé, de bien planifier les choses. En général, les gens sont de plus en plus critiques des corporations et cherchent à comprendre les valeurs qui motivent leurs actions.
Le défi, donc, lorsqu’on fait de la philanthropie corporative? Convaincre les gens que la d émarche est authentique. «La meilleure manière de faire ça, c’est d’assurer la cohérence entre nos activités commerciales et philanthropiques. Il faut qu’il y ait un lien fort entre l’entreprise et ses dons et, surtout, un engagement à long terme», me dit l’experte en communication.
Dans le cas du Ritz, elle admet que les motivations semblent nobles et authentiques, surtout que l’hôtel collabore depuis des années avec la fondation. Mais c’est la manière de procéder et, par la suite, la réaction de l’entreprise pour corriger le tir qui étaient franchement maladroites.
La technique de l’escargot
«Le fait de se déconnecter de son engagement, là c’est vraiment vu comme un geste Séraphin, c’est-à-dire un geste d’argent», explique Jean-Marc Fontan. «Le Ritz aurait pu faire un mea culpa: avouer leur erreur, dire que finalement il y avait un plafond de tel montant.»
«La réaction de l’escargot qui est que dès que tu es en danger, tu rentres dans ta coquille, là ça a vraiment créé de la frustration.»
Sauf que ce n’est pas ce qui est arrivé. Et en voulant d’abord éviter la controverse, la compagnie a mis de l’huile sur le feu. «La réaction de l’escargot qui est que dès que tu es en danger, tu rentres dans ta coquille, là ça a vraiment créé de la frustration», indique le professeur de sociologie.
Leur principale erreur dans tout ça, selon Jean-Marc Fontan? Ne pas avoir consulté les bonnes personnes. D’abord, la Fondation du CHU Sainte-Justine qui n’avait pas été mis au courant de l’initiative.
Ensuite, il faut s’assurer de bien connaître les codes des réseaux sociaux ou être conseillé par des gens qui comprennent bien les pièges qui y résident. «Il y a des réflexes, des bonnes intentions qui doivent être mises à l’épreuve avec des experts en communication pour vraiment savoir s’il y a des effets pervers qui peuvent s’en suivre. Et ça malheureusement ce n’était pas au rendez-vous», rappelle le professeur.
Le pouvoir des algorithmes
Ce qui est certain, c’est que le Ritz n’est pas la première entreprise à être pris à son propre jeu sur les réseaux sociaux. Et il ne sera sûrement pas la dernière.
«Plein de compagnies se sont déjà dit, on va donner des coupons à tous ceux qui partagent et se sont rendu compte que 100 000 personnes voulaient maintenant des coupons. C’est juste toujours une bonne pratique de mettre une limite claire. Ce n’est pas juste dans les dons, c’est dans n’importe quoi. On ne sait jamais quand quelque chose va devenir viral», explique Rachel Desbiens-Després.
«C’est sûr que de jouer avec l’algorithme des médias sociaux, c’est en faveur de la cause, plus les personnes like, partagent, plus ça apporte de la visibilité à la cause.»
En fait, la technique du 1 pour 1 où l’internaute doit faire une action de son côté, qui accorde souvent de la visibilité à l’entreprise en question, pour que la compagnie elle-même pose ensuite un geste est assez répandue sur les réseaux sociaux.
«Quand il y a eu les feux en Australie, beaucoup d’entreprises ont mis de l’avant cette stratégie, indique la conseillère en communication. «C’est sûr que de jouer avec l’algorithme des médias sociaux, c’est en faveur de la cause, plus les personnes like, partagent, plus ça apporte de la visibilité à la cause. Mais là où il y a un certain malaise, c’est face à la notion du don conditionnel.»
Est-ce que si un certain objectif n’est pas atteint, l’argent ne sera pas remis en entier? C’est ce sentiment de marchandage et de négociation qui cause aussi de la frustration.
Le mot de la fin
Pour Katia Piccolino, cette expérience en est une d’apprentissage. «En toute transparence, c’était mal écrit. Mais jamais, et je te le jure, qu’on était mal intentionné là-dedans. C’est un apprentissage. Dans le futur, il faut être clair, beaucoup plus clair», me dit-elle.
Jamais elle n’aurait pensé que sa publication aurait cet effet. «J’ai des larmes aux yeux, me confie-t-elle à la fin de notre appel. Je ne peux pas trouver de mots. C’est vraiment navrant. Oui je travaille au Ritz, mais cette initiative-là [avec le CHU Sainte-Justine] je l’ai vraiment à cœur. Ça vient du cœur complètement.»
«C’est un sujet complexe avec beaucoup de ramifications, mais c’est ni blanc ni noir. Je pense que c’est très très sain d’avoir cette discussion-là pour s’améliorer.»
«C’est un sujet complexe avec beaucoup de ramifications, mais c’est ni blanc ni noir. Je pense que c’est très très sain d’avoir cette discussion-là pour s’améliorer. Et pour voir comment on peut sensibiliser les gens, mais aussi les entreprises», conclut de son côté Rachel Desbiens-Desprès.
Pour Jean-Marc Fontan, il est certain que toute cette saga a prouvé l’importance de bien faire les choses et de consulter les bons acteurs.
«Je ne pense pas que la fondation apprécie en bout de ligne une retombée négative. Je pense qu’ils aimeraient mieux que le tout se soit soldé par un effet positif», avance Jean-Marc Fontan qui espère toutefois que l’organisme a bénéficié des «effets pervers positifs» de cette affaire et a pu récolter des dons de plus.
D’ailleurs, la campagne du Grand sapin de la Fondation Sainte-Justine se termine demain. Si l’organisme a préféré ne pas commenter le dossier, il invite cependant les gens à donner, juste ici. Parce qu’au final, les enfants malades ont besoin de bien plus que des jouets pour Noël.