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Théâtre: les leçons économiques de la COVID-19

La pandémie a accéléré la recherche de solutions pour revitaliser ce secteur culturel.

Par
Malia Kounkou
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Lorsque la pandémie a sévi, le théâtre, comme de nombreux milieux culturels, en a ressenti les secousses. Et pourtant, avant même que 2020 ne commence, le Conseil québécois du théâtre (CQT) — nouvellement présidé par Anne Trudel — identifiait déjà des points clés à améliorer au cours des dix prochaines années. «On souhaitait voir ce qui ne fonctionne pas bien dans notre milieu pour essayer de passer à l’action, trouver des solutions», explique Anne Trudel.

«Puis la pandémie a remis en lumière ces craques-là et en a révélé des nouvelles», poursuit Anne.

Un filet social extrêmement fragile

«Tout s’est arrêté d’un coup», témoigne-t-elle. Les représentations, les tournées, les répétitions, les rencontres… le freinage a été si brutal qu’il a fallu du temps pour s’adapter à l’immobilité de ce nouveau no man’s land.

Anne Trudel, présidente du Conseil québécois du théâtre
Anne Trudel, présidente du Conseil québécois du théâtre
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Sans compter que les artisans ont évidemment besoin d’un revenu pour subsister. Sur ce point, Anne relève qu’il y a eu deux vitesses de soutien entre salariés et travailleurs autonomes, les requêtes de ces derniers ayant connu une attente plus longue. «Ils participent pourtant à l’économie du pays autant que les travailleurs qui sont salariés.»

Et puis, lorsque les représentations ont redémarré, les artistes se sont retrouvés devant l’un de ces deux scénarios: ne plus rien avoir en programmation ou se retrouver avec une année entière de travail qui doit être livré rapidement.

«Est-ce que ton spectacle est encore pertinent? Est-ce que la programmation va le conserver dans sa programmation? À voir.»

Du premier côté, cela génère angoisses et insécurités. «Est-ce que ton spectacle est encore pertinent? Est-ce que la programmation va le conserver dans sa programmation? À voir», énumère Mathieu Quesnel, acteur, auteur et metteur en scène. De l’autre, les artistes font face à du surmenage et de l’épuisement, confronté à une dose de travail qui semble impossible à exécuter dans le laps de temps imparti.

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Tout cela ne rend que plus urgente la nécessité de revoir les modes de production à la source de ce déséquilibre. «Il faut que notre écosystème puisse se redéfinir pour ne pas revenir à la normale d’avant», insiste à ce sujet la présidente du Conseil.

Se laisser du temps

Dans cette pause imposée par la pandémie figure un rare point positif, selon Anne: le fait qu’ait été soulignée l’importance d’accorder plus de temps à la recherche et à la création. «On ne s’accorde pas beaucoup de réfléchir à long terme en temps normal. Et là, tout à coup, que le temps s’étire et qu’il y ait une respiration, ça a été bénéfique pour chacun», remarque-t-elle. Et peut-être que le secret derrière la révision du mode de production se trouve justement là: le temps. Peut-être que les compagnies n’ont pas besoin de produire autant d’oeuvres à l’année.

«Comment ajuster le rythme tout en s’assurant que les artistes sont assez bien payés pour manger, même avec moins de contrats?»

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Mais pour imaginer un tel monde, il faut également penser son cadre. C’est précisément ici que les questionnements recommencent. «Comment ajuster le rythme tout en s’assurant que les artistes sont assez bien payés pour manger, même avec moins de contrats? C’est beaucoup de questions auxquelles je n’ai pas encore de réponses, mais qui doivent être pensées», s’interroge Anne.

Du dilemme au compromis

L’heure est aussi à repenser les modes de diffusion. Le Québec étant un vaste territoire, les captations virtuelles ont été un canal précieux qui a permis à l’art de continuer à se propager malgré les restrictions sanitaires. «C’était des réflexions qui étaient là avant la pandémie», en dit Anne. «Faire déplacer le théâtre pour le rendre accessible à un public plus lointain ou moins en mesure de se déplacer.»

Cependant, pour elle, le monde de l’immatériel est trop étroit pour contenir la richesse de la culture théâtrale. «Le fait d’enregistrer un balado ou une captation, c’est une façon de prolonger la vie d’un spectacle. Mais ce n’est pas sa visée première et ce n’est pas sur ça que les artistes misent», juge-t-elle. Ayant eu l’occasion de faire une tournée courant novembre 2020 dans des salles ouvertes, mais réduites, elle connaît la fébrilité du public pour un retour de l’art en physique. «On fait de l’art vivant», rappelle-t-elle. «Et l’art vivant a besoin de son public en direct. Sinon, ça perd de son sens.»

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Reprendre la réflexion

Dès le début de l’automne, le CQT recommencera officiellement à se pencher sur ce vaste sujet. «On va relire tout ça à la lumière de l’année qu’on vient de traverser. Voir ce qui tient la route et ce qui a empiré par rapport à nos constats d’il y a un an et demi», planifie sa présidente.

«Disons que tu sors d’école de théâtre, tu sais pas trop quand tu vas travailler. Eh bien là, tu le sais encore moins.»

Certaines initiatives déjà en cours continueront du fait de leur efficacité. Parmi elles, le projet Points de suture du théâtre Bistouri qui participe à l’immersion professionnelle de jeunes diplômés en les invitant, entre autres, à assister à des répétitions ou encore rencontrer des créateurs. Cela permet ainsi de «lier la relève à son milieu», tel que l’explique le slogan.

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«Je compatis avec les jeunes comédiens, dit Mathieu Quesnel. Disons que tu sors d’école de théâtre, tu sais pas trop quand tu vas travailler. Eh bien là, tu le sais encore moins.» Une partie de lui est impatiente de voir de quelle manière cette jeune génération retombera sur ses pieds. Va-t-elle lancer ses propres troupes? Réinvestir dans des entrepôts abandonnés et autres lieux peu orthodoxes pour y livrer des représentations? «J’ai vraiment hâte de voir comment ils vont faire», dit-il avec optimisme.

Anne reste tout aussi confiante. Pour que le secteur culturel s’en sorte, son mot d’ordre est celui de la solidarité artistique et institutionnelle. «Je suis une grande optimiste de nature, mais il faut absolument que le milieu reste soudé», préconise-t-elle.