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Taxe rose en construction : comment rénover sans se faire crosser

C’est le combat des Filles de la construction.

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Faire des joints de gypse, assembler des meubles, utiliser une scie circulaire : on nous a toujours dit que c’étaient des « affaires de gars ». Mais quand on balaie les travaux manuels, comme les rénovations et la construction, dans la cour des hommes, on néglige des répercussions financières qui impactent disproportionnellement les femmes.

C’est le constat de Marie-France Côté-Nolet, la fondatrice des Filles de la construction, un réseau de plus de 1000 femmes qui reprennent le contrôle d’un milieu où elles sont encore souvent sous-estimées.

Je me suis donc entretenue avec elle pour jaser « taxe rose » en construction, de négociations, et de la place des femmes dans le royaume de la drill.

C’est quoi, Les filles de la construction?

Notre but, c’est d’aider les femmes à ne pas se faire avoir quand elles entreprennent des projets de rénovations. On offre des ressources aux femmes qui n’ont pas ou peu d’expérience et qui veulent se lancer dans des petits ou grands projets. On veut leur donner confiance en elles et les aider à se faire prendre au sérieux pour arriver à de bons résultats, pour moins cher.

Pour beaucoup de monde, une maison, c’est le plus gros investissement de leur vie.

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On y dépense une fortune, en main-d’œuvre et en travaux qui ne sont pas toujours nécessaires, ou bien faits. Et comme la construction, c’est une industrie majoritairement masculine (sur les chantiers du Québec, le pourcentage d’hommes s’élève à 97 %), ça fait en sorte que les femmes sont systématiquement défavorisées.

En quoi les femmes sont-elles défavorisées en construction?

C’est un milieu dans lequel on se fait souvent regarder de haut, parce qu’on n’a pas l’air de savoir de quoi on parle. On se retrouve souvent dépendantes des autres – on peut être très chanceuses et tomber sur de bonnes personnes, mais c’est malheureusement pas toujours le cas.

En tant que femme, à quoi ressemble ton expérience dans le milieu de la construction?

J’ai acheté un plex à Montréal, juste avant la Covid. Je ne connaissais rien à la construction. Je pensais que je me lançais dans un petit projet de rénos esthétiques qui allaient me prendre moins de 6 mois.

Finalement, on s’est dit que tant qu’à se lancer dans des rénos, qu’on allait aussi refaire les fondations, ajouter un autre étage, changer le toit, l’électricité, la plomberie, la structure… Il n’y a vraiment pas grand-chose auquel on n’a pas touché. Ça a duré plus de 2 ans et on a pensé à quelques reprises qu’on allait faire faillite. J’ai mis l’argent de toute une vie dans ce projet-là.

Chaque erreur me coûtait des dizaines de milliers de dollars.

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J’ai été choquée de voir à quel point c’est le Far West : j’étais la petite madame qui ne connaissait rien là-dedans, les entrepreneurs voulaient toujours parler à mon chum. Ça a été très difficile pour ma santé mentale, mon couple et mes finances.

Ça ressemble à quoi, la taxe rose, en construction?

Il y a des entrepreneurs qui donnent automatiquement des prix plus élevés aux femmes parce qu’ils assument qu’elles n’y connaissent rien.

D’autres y vont plutôt avec la technique « lowball ». Souvent, quand on connaît pas ça, on a tendance à aller vers les soumissions les moins chères – mais c’est une technique connue : certains entrepreneurs qui veulent obtenir des contrats soumissionnent à des prix très bas pour ensuite doubler le prix en cours de projet. C’est quelque chose qu’on voit beaucoup.

Quelle place occupent les négociations dans le monde de la construction?

Tout, tout, tout se négocie.

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Personnellement, une des choses qui m’a le plus marquée, c’est quand j’ai négocié à l’achat de mon frigo. Je savais que tu pouvais négocier tes matériaux, les prix de tes contrats, ton prêt avec tes entrepreneurs… Mais je n’aurais jamais pensé que je pouvais rentrer dans un magasin d’électroménagers neufs, et dire : « OK, voici mon budget approximatif, voici vos options. Je veux lui. Comment on le fait rentrer dans mon budget? ».

Et j’ai sauvé à peu près 2000 $ sur mon frigo!

Tu peux aussi négocier tes soumissions, et faire baisser le prix de 10% – et parfois jusqu’à 50 %, quand on se fait donner un très mauvais prix au départ. Quand tu connais bien tes prix et que tu montres que tu veux travailler avec ton entrepreneur comme un partenaire, tu peux vraiment trouver une façon pour que tout le monde en ressorte gagnant : l’entrepreneur fait son argent, et toi, tu es satisfaite de ton prix.

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Je recommande d’ailleurs à tout le monde de choisir son entrepreneur pour sa personne – pas pour ses prix – et ensuite, parler de prix.

Qu’est-ce que les femmes ont tendance à penser qu’elles ne peuvent pas faire par elles-mêmes?

Gérer un projet de construction, c’est avant tout de la gestion de projet, ce que beaucoup de femmes font déjà, comme des professeures, des avocates, etc. On a donc toutes des compétences, qu’on est capables de transférer vers les projets de réno. Les femmes sont parfaitement équipées pour négocier avec leurs entrepreneurs, faire respecter les dates de livraison et vérifier la qualité du travail accompli.

On pense aussi souvent à tort qu’il faut être grand et fort pour faire des travaux manuels.

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La réalité, c’est que 90 % des travaux manuels sont des choses qui exigent de la planification, des connaissances, de la minutie, mais très peu de force physique : utiliser les outils électriques, poser du gypse, tirer des joints, poser de la céramique, même installer des objets lourds – tant que t’es deux, ça se fait bien. Même construire une terrasse ou ajouter une pièce chez soi, ça se fait très bien.

As-tu des exemples?

Pour rénover une salle de bain, on peut engager quelqu’un qui chargera 35 000 $. Mais on peut aussi prendre le temps, investir un peu d’énergie, et faire les choses soi-même pour environ 12 000 $. Quand on a les connaissances, on a plus de choix, et on peut prendre des décisions en connaissance de cause plutôt que par obligation.

Avec les Filles de la construction, je négocie des contrats pour nos centaines de membres, et je suis capable de donner des prix de groupe.

Selon toi, pourquoi les femmes ont-elles tendance à penser qu’elles ne sont pas manuelles?

On n’a pas eu de modèle féminin qui faisait ça. On a dû apprendre de nos pères.

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Mais personnellement, quand j’étais jeune, une des choses que je trouvais vraiment difficile, c’était de me mettre du mascara sans me rentrer l’applicateur dans l’œil. Pour moi, tous les trucs manuels de construction sont beaucoup plus faciles à faire que ça. On ne nous a juste pas appris à le faire sous prétexte que « c’est une affaire de gars ». Eh bien, ça nous coûte cher de penser que c’est juste une affaire de gars.

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