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Tatsumi Komiya, entre verre et mer

À Cap-Chat en Gaspésie, le souffleur d'origine japonaise garde en vie un art ancestral.

Par
Billy Eff
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Quand la 20 s’arrête et qu’on prend le virage pour longer le littoral du Fleuve Saint-Laurent pour se rendre en Gaspésie, on ride sur une mince ligne entre mer et montagnes. On pense aux côtes accidentées de la Bretagne, on se dit que la 132 n’a rien à envier à la P.C.H. Mais Tatsumi Komiya me propose un autre référent : « Ça ressemble au Japon ».

C’est vrai qu’à certains moments de la journée, la vue contemplative qu’offre Cap-Chat peut rappeler les grèves rurales nippones. C’est, en partie, ce qui a motivé Tatsumi et sa femme Satomi à élire domicile ici, en 2019. Rapidement, ils ouvrent la Maison des verriers, leur atelier de soufflage de verre. Depuis, touristes et locaux s’y rencontrent pour admirer leurs magnifiques créations, ou pour des ateliers d’initiation au soufflage.

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Apprendre un métier ancestral

Tatsumi a commencé sa carrière en verrerie alors qu’il n’avait que 16 ans. Si au Québec c’est surtout un métier qu’on apprend à l’école, le jeune autoentrepreneur a appris à l’ancienne, en devenant apprenti sous un maître dans un atelier près de son village d’origine. Il ne le savait même pas, mais le maître souffleur sous qui il a appris était une légende de l’industrie, au Japon.

«Je voulais être près de l’eau, je voulais du silence… Ici, la vue est jolie, et la vie ne coûte pas cher !»

« Je n’étais pas du tout artistique ou créatif quand j’étais jeune. Mais c’était différent, j’ai tout de suite trouvé ça amusant, c’est un peu comme un sport. Comme vous voyez, quand le verre est chaud, c’est un peu comme s’il était vivant. Donc travailler avec le verre, c’est devenir ami avec lui. Et le résultat est instantané, si on travaille bien ! »

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C’est dans un ancien garage automobile que Tatsumi et Satomi ont monté leur entreprise. Originaires du Japon, le couple a d’abord passé plusieurs années à travailler à Bourges, en France, et a effectué un petit crochet par Alexandria, en Ontario, où Tatsumi continue d’ailleurs à donner un coup de main dans un atelier.

De Bourges à Cap-Chat

« On est arrivés ici presque par hasard. Je savais qu’on parlait français au Québec, et j’avais vu des photos de la Gaspésie. On est venus en vacances, comme touristes, et la région nous a charmée », m’explique Tatsumi. « Je voulais être près de l’eau, je voulais du silence… Ici, la vue est jolie, et la vie ne coûte pas cher ! »

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Depuis, il conçoit chaque jour de nouveaux objets, inspirés du paysage qui l’entoure. Des champignons, parce que « je vois souvent les gens ici cueillir des champignons », et des méduses pour souligner la proximité avec la mer. Mais selon lui, ce sont les boules de Noël qui sont le hot ticket item à la Maison des verriers. La boutique en regorge, et lors de notre passage, des clients s’arrêtent pour demander à Tatsumi de leur en concevoir une sur mesure, ce qu’il fait avec plaisir pour les habitants de la région. « Ça dépend du jour, de mes envies. Moi, je ne veux pas créer les mêmes pièces deux fois, à tous les jours je veux faire quelque chose d’un peu différent. »

«je ne veux pas créer les mêmes pièces deux fois, à tous les jours je veux faire quelque chose d’un peu différent.»

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Ce que préfère Tatsumi dans son métier, c’est la liberté qu’il a. Après avoir travaillé pour des gens pendant une bonne partie de sa carrière, il est content d’enfin avoir un espace pour lui et sa femme, dans une région qui leur rappelle la maison. C’est d’ailleurs un coup de chance, que d’avoir pu mettre la main sur ce local ! C’est en échangeant avec une conseillère du Service d’accueil des nouveaux arrivants que cette dernière a informé le couple que l’ancien garage de mécanique automobile du village était à vendre.

« La plupart du temps, les gens sont accueillants. Mais il n’y a pas beaucoup d’Asiatiques, en Gaspésie, donc il y en a aussi qui se méfient. Il y a parfois de la discrimination, pas tant des gens de la région, mais de touristes qui passent et me font ça (il montre un fuck you, mais qu’il dissimule de son autre main, politesse nipponne oblige) », m’explique-t-il, quand je lui demande si les habitants de la région avaient bien reçu l’arrivée du couple.

Travailler une matière vivante

Pendant qu’on discute, le jeune souffleur, qui compte maintenant près de 20 ans d’expérience, flotte d’un coin à l’autre de son atelier. Avec la même énergie manique qu’un enfant qui veut vous montrer tout ce que peux faire son nouveau jouet, il nous montre tout ce qu’on peut faire avec du verre .

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Dans un coin de l’atelier, deux grands fours trônent. Le premier, le four à fusion, contient le verre dans un état semi-liquide. Avec une canne à souffler, il cueille cette « goutte de verre », et la roule au bout de la canne, soufflant de temps à autres, pour lui donner la forme et la taille désirée. Avec des pinces, il modifie, perce et tortille le verre. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il crée un vase, une fleur, et une boule de Noël. « Comme on travaille à chaud et que la température descend très vite, il faut être rapide et précis », indique Tatsumi.

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« Je crois que ce que les gens recherchent dans le verre est très différent, dépendamment du pays. Par exemple, aux États-Unis, les gens vont préférer des trucs très colorés, et plutôt grands. Ce qui n’est pas très difficile à faire pour un verrier, car plus une pièce est grande, plus elle est facile à personnaliser. Mais je préfère les plus petites pièces, complexes et qui demandent de la minutie. »

Des plans interrompus par la pandémie

Peu à peu, La maison des verriers s’inscrit comme un incontournable de la région, et les affaires vont bon train. Les ateliers d’initiation prennent de plus en plus d’ampleur dans le calendrier de Tatsumi, qui est toujours heureux de partager sa passion avec les autres. Mais lorsqu’il en parle, on sent que le souffleur a hâte de pouvoir retrouver, et pleinement établir, son quotidien ici avec Satomi.

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« Malheureusement, ma femme a été retenue au Japon. Elle y est retournée alors que la pandémie a été déclarée, et ç’a été un peu compliqué pour elle de revenir depuis » raconte Tatsumi. « Mais maintenant que le Japon commence à vacciner ses habitants, on a espoir qu’elle pourra revenir bientôt. Heureusement, avec internet, on peut se parler à tous les jours. Je viens de déménager, donc je n’ai pas encore beaucoup d’amis… »

Trouver sa communauté

Au moins, me dit-il, il s’est trouvé une véritable communauté dans le monde canadien de la verrerie. Par contre, avec l’industrialisation et la mécanisation, le métier de verrier n’est plus aussi populaire qu’autrefois. Selon Tatsumi, ils seraient moins d’une dizaine de souffleurs artisanaux possédant leur propre atelier, au Québec et en Ontario. De plus, cela nécessite un certain investissement, non seulement pour le local, mais aussi pour l’équipement qui est souvent conçu sur mesure par des compagnies aux États-Unis.

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« De temps en temps, j’ai des stagiaires qui viennent m’aider. Mais en général, je préfère travailler avec ma femme. C’est cool de travailler en équipe. Même si je ne lui dis rien, elle sait ce qu’il y a à faire », dit Tatsumi. « Si je travaille avec d’autres verriers, ça nous prend toujours du temps pour s’adapter. Même si c’est vrai que mes pièces et celles de Satomi finissent par être assez différentes. »

Lorsqu’on sort à l’extérieur prendre des photos devant le local, je vois les yeux de Tatsumi fureter vers la mer derrière moi. On discute un peu de la région, des autres endroits qu’il a pu visiter au Québec. « Souvent les gens me demandent pourquoi on a choisi Cap-Chat, parce qu’ils se disent qu’il n’y a pas grand-chose ici », conclut-il. « Mais je trouve que c’est une région qui a beaucoup à offrir. Je m’y sens bien. »