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Survol de la « frénésie » de la chasse à l’orignal en Gaspésie

Histoires de passion, de ressourcement et de vengeance.

Par
Guillaume Whalen
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Les dernières semaines ont été le théâtre d’une certaine agitation en Gaspésie. De drôles de parades déambulaient dans les rues de Gaspé, où je réside depuis peu : celle de têtes et de panaches d’orignaux récemment abattus. Il n’y a pas de doute, la saison de la chasse à l’orignal, qui fait office de véritable religion ici, battait son plein. Une réalité bien éloignée de celle de ma ville natale de Montréal, où cette activité se résume souvent à une émission peu écoutée sur les ondes de RDS en plein après-midi…

En tant que spectateur de ce show quelque peu macabre et étant témoin de l’engouement général qui perdure pour ce sport jusqu’à la conclusion de la saison à la fin octobre, ma curiosité a pris le dessus et j’ai décidé de mener ma petite enquête pour comprendre l’étendue du phénomène.

Un Montréalais qui va à la chasse perd sa place

Premier constat : tout ce que je m’étais imaginé sur ce sport était erroné.

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En passant la journée dans un magasin de chasse et pêche à Grande-Vallée qui sert aussi de lieu d’enregistrement pour les adeptes de ce sport, le cliché bien tenace que je m’étais fait du redneck avec son pick-up collectionnant diverses armes à feu s’est éclipsé rapidement.

Des histoires hilarantes et intenses ont fusé de toute part au sujet de ce loisir dans lequel les gens investissent des sommes faramineuses afin d’avoir un terrain de chasse de grande qualité. J’ai rencontré une belle communauté qui s’épaule, se félicite pour ses bons coups et tisse des liens serrés. Parce qu’ici, c’est à un tout autre niveau; une bonne partie des chasseurs et chasseuses prennent congé du boulot pour passer une semaine en nature, perchés dans une cabane, à attendre patiemment leur bête.

Une bonne partie des chasseurs et chasseuses prennent congé du boulot pour passer une semaine en nature, perchés dans une cabane, à attendre patiemment leur bête.

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Bon, il faut dire que je suis facilement impressionnable puisque je pars de loin : mes parties de « chasse » se résument à tout prendre sauf les bretzels dans le sac de Party Mix… D’ailleurs, les chasseurs aguerris que j’ai rencontrés s’amusaient devant mon côté « petite nature » lorsque j’apercevais des orignaux les yeux ouverts, abattus et éventrés afin « d’aérer la viande ». « Ça paraît qu’il vient de Montréal! », se moquaient-ils devant mon teint livide.

Après les rigolades à mes dépens, on m’explique la base. Durant trois semaines en octobre, lorsque les mâles sont en rut et recherchent la femelle, les chasseurs et chasseuses en profitent pour se dissimuler dans les bois en guettant leur proie. La discipline se pratique à l’aide de plusieurs armes, soit l’arc ou l’arbalète pour les puristes, le fusil à la poudre noire ou, la plus populaire, la carabine. Pour espérer repartir avec un trophée, il faut se faire le plus discret ou discrète possible et être patient.e. Les plus chevronné.e.s s’aspergent même d’urine pour ne dégager aucune odeur humaine en raison du flair exceptionnel de l’orignal.

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Au-delà de s’échapper dans la nature dans le seul but de tirer du gun, la grande majorité des adeptes chassent évidemment pour la chair de la bête. « C’est la viande la plus bio au monde », affirme Sylvain Bouchard, propriétaire de Bouchard chasse et pêche à Grande-Vallée. « Une bête adulte peut offrir 400 livres de viande. Je n’ai même pas besoin de retourner à l’épicerie pendant l’hiver! » D’ailleurs, quand on discute de chasse avec un.e inconditionnel.le, Sylvain suggère d’utiliser le mot « abattre » plutôt que « tuer », puisque ça enlève un côté « barbare » à l’activité. Bien noté, Sylvain.

«Une bête adulte peut offrir 400 livres de viande. Je n’ai même pas besoin de retourner à l’épicerie pendant l’hiver!»

Si elle est une activité prisée de plusieurs, la chasse à l’orignal demeure excessivement réglementée. Le quota est d’une seule bête par saison pour deux personnes, ce qui explique pourquoi il faut toujours être accompagné.e. La Sépaq fait même tirer des permis au début de la saison pour savoir si on peut abattre une femelle adulte ou non, au grand dam de certains chasseurs et chasseuses. « Cette année, notre équipe a été malchanceuse. On a juste eu droit aux bucks. Il y avait plusieurs femelles dans ma ligne de mire, même de très proche, mais je pouvais seulement les observer sans tirer », raconte Valérie, qui chasse depuis trois ans et qui se garde toujours une semaine de vacances en octobre pour jouir de la tranquillité en forêt.

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Valérie me mentionne que les femmes sont de plus en plus nombreuses à pratiquer la chasse au Québec. Sylvain Bouchard voit d’ailleurs cette relève d’un très bon œil.

Pendant mon séjour à la boutique du Gaspésien, j’ai cependant entendu plusieurs blagues du genre « Hey qu’est-ce qu’une femme fait ici?» en direction de Valérie. Lorsque je lui demande si ce genre de commentaire l’agace, la chasseuse ne semble pas dérangée outre mesure. « Ça arrive que les gars veuillent se réunir ensemble, mais ça ne nous empêche pas d’avoir du fun quand même! On se surnomme les veuves de chasse pis on reste dans notre shack à écouter Dans mon shack! », se réjouit-elle, tout sourire.

Dans mon shack, de Gaspé jusqu’en Suède

Autre signe que la chasse à l’orignal est pratiquement élevée au rang de religion, une émission de radio du nom de Dans mon shack, mise en ondes seulement au paroxysme de la saison pendant une courte période de 10 jours, gagne le cœur d’une grande communauté de chasseurs et chasseuses partout au Québec et même à l’international. « C’est sans doute le dernier happening radio dans la province. On a déjà eu 20 000 auditeurs live! On a même reçu des appels de la Suède! », révèle Yannick Bergeron, animateur de l’émission à la station de radio communautaire Radio-Gaspésie.

«C’est sans doute le dernier happening radio dans la province. On a déjà eu 20 000 auditeurs live! On a même reçu des appels de la Suède!»

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À l’heure où la radio traditionnelle est graduellement remplacée par les podcasts, j’avoue être grandement étonné de cet engouement généralisé pour l’émission. Pour avoir co-animé moi-même une soirée de Dans mon shack, c’est dans les appels faits pendant les lignes ouvertes que l’émission prend tout son charme.

Des enfants aux vieux loups de mer, une faune foisonnante de mordu.e.s de la chasse appelle pour féliciter leurs proches ou leur envoyer de gentilles boutades, du genre : « On aimerait féliciter Mario et Justine qui… n’ont toujours pas abattu! Meilleure chance l’année prochaine! » Selon Yannick Bergeron, « il s’agit d’une émission qui brise l’isolement que les gens, coupés du monde, peuvent sentir en forêt. C’est pour ça que ça pogne comme ça ».

Pour illustrer le pouvoir de Dans mon shack, l’animateur me raconte une anecdote savoureuse. Un soir, bien avant qu’il prenne les rênes du show, une dame appelle pour féliciter un tel d’avoir abattu une bête. L’animateur rétorque : « Madame, vous savez, la saison de la chasse commence officiellement demain… » Elle raccroche précipitamment, consciente de son erreur. Quelques jours plus tard, l’homme congratulé en ondes se fait interpeller par les autorités et se retrouve à payer une amende très, très salée (je rappelle que la chasse demeure excessivement réglementée). Eh bien, la vérité derrière cette histoire est que la dame savait pertinemment que la saison n’était pas encore débutée, et elle s’est servie de cette tribune pour se venger d’un ex-petit ami! Comme quoi la vengeance est un plat qui se mange froid, même à la chasse…

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À la lumière de cette aventure dans le monde de la chasse gaspésienne, je peux affirmer avoir découvert une communauté très respectueuse et diablement attachée à ce sport. Mais est-ce que j’irais m’acheter un 12 et tenter d’avoir mon permis? Peut-être pas encore…