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Dans la vie comme dans ses chansons, Vincent Vallières a un tas de belles histoires à nous raconter. Il nous le démontre une fois de plus en signant cette fiction aux effluves d’aréna et de gants de hockey.
Nous sommes quelque part vers la fin des années quatre-vingt dans la ville de Fleurimont, capitale mondiale de la balle molle. J’ai douze ans. Malgré le beau soleil de la mi-novembre, le froid coupe déjà le souffle. La neige craque sous nos pieds. C’est un début d’hiver digne des Filles de Caleb. Les calèches en moins, le hockey en plus. L’aréna de Fleurimont, une bâtisse brune et sans charme, prend vie les fins de semaine. Dans l’estrade clairsemée de spectateurs, nos parents font figure de supporters, un café tiède de cantine en main. Si les mères nous encouragent de façon plutôt éducative, les pères sont divisés en deux clans. Il y a ceux qui lisent leur journal et marmonnent quelques bravo en attendant que la partie finisse. Puis il y a les autres, debout et crispés, gérants d’estrades impénitents, qui crient après leur fils toutes sortes de formules à la poésie variable.
-Envoye Kevin esti! Patine! Forchek! Va te placer dans’ slotte! Passe-lé le puck! SHOOT!
Et tout ça se déroule sous les regards habitués de nos frères et sœurs cadets qui se bourrent la face dans des sacs de chips sel et vinaigre Humpty Dumpty à 50 cents en écoutant des cassettes copiées de Paula Abdul dans des walkmans jaune à l’épreuve de l’eau.
Et la vie bat à Fleurimont.
Cet après-midi, un duel épique des Cantons de l’Est se joue sur la patinoire. Mon équipe, les Pyros, affronte les Papetiers de Windsor. Nous, les urbains de Fleurimont, le centre du monde, méprisons nos adversaires de Windsor qui ne sont que de vulgaires gars de campagne qui ne connaissent rien mis à part faire pousser des coupes Longueuil.
En entrant sur la patinoire à la queue leu-leu, nous scandons avec force et conviction All the way! All the Way ! All the Way ! en se donnant mutuellement des tapes sur nos casques protecteurs. Dans ma tête, il y a la chanson d’ouverture de Lance et compte qui joue à fond la caisse. Most of the time/ You keep on trying… Des frissons me parcourent le corps et nous ne sommes pas encore en séries.
La partie prend son envol.
Nous sommes déjà à mi-chemin en deuxième période. Jusqu’ici, le match est serré. Aucun des gardiens n’a encore cédé. Les gars de Windsor nous bousculent. On riposte. Sur le banc, on s’encourage, on gueule, on insulte, on reprend notre souffle, on attend impatiemment notre tour. De mon côté, ce n’est pas ma journée. Je suis erratique sur la patinoire. Je ne trouve pas mon rythme et j’ai déjà écopé de deux punitions mineures inutiles. Derrière moi, mon entraîneur s’impatiente.
-O.K. Vince, c’est votre ligne qui prend le prochain shift. T’es capable d’en donner plus, Big. Tu le sais pis je le sais. Fait que GO! GO! GO!
Quand l’équipe adverse se défait de la rondelle en la repoussant dans notre territoire pour effectuer des changements, j’enfourche la bande avec toute l’aisance et la grâce qu’un Peewee B peut avoir. Bigosse, mon meilleur ami et le défenseur étoile de notre équipe, ramasse le disque derrière notre filet et me repère du coin de l’œil au centre de la patinoire. Il me file une longue passe que j’accepte en pivotant pour me défaire d’un joueur adverse. Soudainement devenu Dean Youngblood, j’accélère avec détermination et réussis à me faufiler entre les deux défenseurs costauds pour ensuite déjouer le gardien d’un tir du poignet par-dessus l’épaule. Un but top net et je me dis que les spectateurs viennent sérieusement d’en avoir pour leur argent.
À plein poumon, je m’écrie: «Ouuuuiiii monsieur!»
Puis, en continuant à patiner, j’enlève mon gant pour faire un mouvement de poignet à la Yaromir Yager, histoire de narguer l’équipe adverse avant d’aller donner l’accolade à mes coéquipiers. De retour au banc, mon entraîneur me félicite pendant que je fais gicler l’eau d’une gourde sur mon visage.
-Way to go mon VV. Good job Bigosse. THAT’S THE WAY I LIKE IT BOYS!
Notre entraîneur, dans ses moments d’euphorie, n’hésite jamais à faire la démonstration de son anglais. Et on aime ça. Ça a l’air plus vrai.
Je passe la gourde à Bigosse assis à mes cotés. L’espace d’un instant, nous sommes Pierre Lambert et Bob Martin. Nous sommes Wayne Gretzky et Mark Messier. Et nous sommes surtout Mats Naslund et Larry Robinson. Notre bonheur culmine lorsque l’annonceur maison, Carl Tremblay, notre Lionel Duval local, prend le micro.
-Le but des Pyros, son 14ième de la saison compté par le numéro 26, Vincent VaLLLLLIÈÈÈres, assisté du numéro 19, Michel Gendron, à 10 minutes 12 secondes de la deuxième période.
J’ai le sourire en coin. Bigosse aussi. Je ne l’avouerai jamais, mais intérieurement, j’éprouve un bonheur glorieux à entendre mon nom dans les haut-parleurs vétustes de l’aréna brune. Je jette un œil dans les estrades. Mon père et ma mère applaudissent fièrement. Et un peu plus bas, parmi une petite bande de filles venues poser à l’aréna, j’aperçois Manon Beaudoin qui me regarde avec ses plus beaux yeux. Mon cœur se serre de bonheur. Je revois notre premier slow. Notre premier french. Ma meilleure amie. Ma première blonde. Je suis amoureux fou d’elle et de savoir qu’elle m’a vu compter un but ajoute à cette gloire momentanée. Je suis au sommet du monde. À Fleurimont.
-Heille Vallières, regarde, nos blondes sont là.
Bigosse a repéré Emmanuelle, assise juste à côté de Manon. Il a le sourire du conquérant. Compte tenu de sa dentition, c’est plutôt impressionnant.
– On devrait les inviter à venir voir la game à soir dans ma cave, qu’il me dit.
– C’est une bonne idée man. Penses-tu que ta mère va vouloir?
– Ben, on a juste à pas lui dire, mes parents ont un souper à soir, ils vont revenir tard c’est sûr.
– Niiiiice.
Perdu dans mes pensées, j’en oublie presque de retourner sur la glace.
***
Le pointage est resté le même jusqu’à la fin de la partie. Nous avons quitté la patinoire après avoir donné quelques coups de bâtons bien sentis sur les jambières de notre gardien, qui a littéralement volé le match dans les trois dernières minutes.
Des fois on gagne, des fois on perd. C’est ça la game, comme ils disent. Aujourd’hui on a gagné et je suis content. Je me douche rapidement afin d’aller rejoindre Manon qui m’attend dans le hall de l’aréna. J’ai hâte à ce soir pour la tenir dans mes bras pendant que le CH plantera Boston. Dans ma tête, la vie est encore un cadeau, l’amour est pur, l’hiver est beau. Et il me reste encore des tas de buts à compter.