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Séparation et allocation canadienne pour enfants : gare aux mauvaises surprises
Si vous vivez au Canada, et que vous êtes responsable des soins et de l’éducation d’une personne de moins de 18 ans, il y a de grandes chances que vous ayez droit à l’Allocation canadienne pour enfants (ACE). Normalement, il suffit d’en faire la demande à la naissance de l’enfant pour que sa mère reçoive un versement mensuel qui corresponde à une somme calculée à partir des revenus du foyer.
Le processus paraît simple, mais peut vite se compliquer lors d’une séparation. En effet, les deux parents deviennent alors admissibles à recevoir une partie de l’ACE, à partir du moment l’enfant vit avec eux au moins trois jours par semaine. Le calcul du montant versé à chaque parent prend en compte leurs revenus et la répartition du temps de garde, mais pas le partage des frais relatifs aux enfants.
L’avocate en droit de la famille et médiatrice familiale Me Marie-Élaine Tremblay explique que la garde partagée doit être signalée à l’Agence du revenu du Canada (ARC), sinon la mère continuera par défaut à percevoir l’intégralité de la somme.
Le beurre et l’argent du beurre
Marie est mère de deux enfants de 5 et 7 ans. Il y a un an et demi, elle s’est séparée de leur père, et les ex-conjoints ont décidé que Marie garderait les enfants chez elle la plupart du temps. Son ex, lui, s’occupait d’eux « une fin de semaine par-ci par-là ». Logiquement, elle a également conservé l’intégralité de l’ACE, d’autant plus qu’elle se chargeait de la majorité des dépenses concernant les enfants, dont la garderie du plus jeune et le service de garde de l’école de l’aîné.
Au fil des mois, la répartition de la garde partagée a évolué. Les enfants passent maintenant à peu près la moitié de leur temps chez chaque parent.
Le père des enfants, entre temps, s’est aperçu de l’existence de l’ACE, et souhaite toucher sa part.
Toutefois, il voudrait que Marie continue à prendre en charge les dépenses et les démarches reliées aux enfants, ce qu’elle refuse.
« Dans ce cas, la mère pourrait se tourner vers la Cour supérieure du Québec pour demander le paiement d’une pension alimentaire et de frais particuliers », selon Me Tremblay. Ces sommes pourraient même être directement prélevées sur le salaire du père pour lui permettre de subvenir aux besoins des enfants.
« Je veux bien faire les démarches, mais je veux qu’on divise les responsabilités équitablement », explique Marie. Pour résoudre leur conflit, elle souhaite faire appel à un médiateur familial, alors que le père des enfants voudrait se contenter d’un arrangement entre eux. Concernant les allocations, ce ne sera toutefois pas à eux de décider, car l’ARC calcule automatiquement la somme versée à chaque parent.
Le litige va même plus loin, car l’ex-conjoint de Marie l’accuse maintenant d’avoir empoché l’ACE, sans l’en informer, pendant leurs années de vie commune, ce qu’elle réfute. « Je n’ai jamais caché que je touchais ce montant depuis la naissance des enfants, répond-elle. En plus, l’information existe. » De ce côté-là, elle n’a pas d’inquiétude à avoir, indique Me Tremblay. Pendant la vie commune, il était normal qu’elle perçoive l’argent. Si le père allait contester l’utilisation de l’allocation jusqu’en cour, le tribunal pourrait théoriquement demander une reddition de compte pour vérifier la répartition des dépenses concernant les enfants, « mais c’est très rare, car les tribunaux ne s’immiscent pas dans les dépenses des familles durant la vie commune. »
Des répercussions sur le long terme
Geneviève est séparée du père de ses deux plus grands enfants depuis 13 ans.
À leur séparation, elle a signalé les changements concernant sa famille à l’ARC. Pourtant, elle a reçu un courrier qui lui intimait de rembourser 12 000 $ qu’elle aurait perçu en trop de l’ACE. En effet, au moment où sa plus vieille a décidé de couper les ponts avec son père, celui-ci a décidé de réclamer un an et demi d’allocation non perçue.
« Je pensais qu’il avait fait ses démarches pour avoir sa moitié d’allocation, mais apparemment non », témoigne Geneviève.
Me Tremblay conseille ainsi de bien vérifier son relevé d’allocation pour éviter une mauvaise surprise. Si la somme reste la même qu’avant la séparation, il est fort probable que l’autre parent n’ait pas fait ses démarches. « Préparez-vous un petit bas de laine parce que l’ARC peut venir chercher si le père la demande », prévient l’avocate.
Pour procéder au remboursement, l’ARC a tout simplement suspendu ses versements. Cette situation a davantage d’impact qu’on pourrait l’imaginer, car Geneviève a désormais des jumeaux avec son conjoint actuel. Depuis leur naissance, il y a trois ans, le couple n’a ainsi pas touché d’ACE.
Chris, le conjoint de Geneviève, comprend que le père des plus vieux ait le droit à une partie de l’ACE. Il déplore toutefois l’impact de la situation sur ses jumeaux. « Je ne comprends pas comment ça se fait qu’on doive de l’argent, puis que ça se répercute sur nos enfants. »
Attention aux accords à l’amiable
Stéphanie, elle aussi, s’est retrouvée à devoir une grosse somme à l’ARC à cause du partage de l’ACE. Lorsqu’elle s’est séparée du père de ses enfants, il y a une dizaine d’années, ils avaient convenu à l’amiable qu’elle conserverait l’intégralité de l’allocation parce qu’elle avait l’habitude de se charger des dépenses qui concernaient les enfants.
Pourtant, au bout de deux ans et demi, Stéphanie a reçu un courrier qui lui demandait de rembourser 20 000 $, qu’elle aurait touchés à la place de son ex-conjoint.
L’ARC indique ne pas accepter leur arrangement, bien que l’ex-conjoint de Stéphanie consente toujours à ce qu’elle reçoive l’allocation. « Je comprends le sens de la loi, car si j’avais eu un salaire beaucoup plus faible que lui, j’aurais pu toucher beaucoup plus à moi seule qu’en partageant la somme », explique Stéphanie. Les revenus des deux ex-conjoints étant à peu près égaux, il n’y avait toutefois pas ici d’enjeux financiers.
Geneviève a donc dû rembourser le trop-perçu à l’ARC en ne recevant pas de retour d’impôt pendant un ou deux ans. Son ex-conjoint, qui a reçu l’équivalent de cette somme, lui a rendu l’argent en compensation des dépenses effectuées pour les enfants. L’argent est donc revenu à Stéphanie en ayant transité par l’ARC et son conjoint…
« Ce qui m’a frustré, c’est qu’on s’entendait bien et que le gouvernement s’est immiscé. Le gouvernement a créé du stress à un endroit où ça allait bien. »
Même si l’arrangement fonctionnait bien entre Stéphanie et son ex-conjoint, il était illégal. Comme l’explique Me Tremblay, « c’est techniquement de la fraude fiscale, car il s’agit d’une allocation et pas de l’argent des parents ». Elle précise qu’il ne faut jamais procéder à une entente soi-même concernant des montants d’AEC. « Un tribunal n’homologuera jamais un accord comme ça. Les ex-conjoints peuvent s’entendre pour se reverser l’argent, mais ils doivent se faire verser chacun leur part de l’allocation. »
Aujourd’hui, Stéphanie et son ex-conjoint touchent chacun 50 % de l’AEC, mais elle s’occupe toujours de la plupart des dépenses reliées aux enfants. « Le pli a été pris ».