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Seaspiracy dans le filet d’une biologiste marine

Nos océans vont mal, mais est-ce vraiment la faute aux « méchants pêcheurs »?

Par
Benoît Lelièvre
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Le documentaire Seaspiracy fait beaucoup jaser depuis sa sortie sur Netflix à la fin mars. Portant sur les impacts de l’action humaine sur la santé de la vie marine, le film a été critiqué de toutes parts dans les médias par plusieurs intervenants pour ses affirmations fallacieuses, sa présentation des faits hors contexte et surtout pour son utilisation de statistiques fausses ou désuètes. À un point tel que c’est difficile d’en évaluer la pertinence. Pourtant, la souffrance animale montrée par le réalisateur Ali Tabrizi est plus que réelle.

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J’ai discuté de Seaspiracy avec la biologiste marine et co-fondatrice d’Organisation Bleue Anne-Marie Asselin afin d’essayer de comprendre pourquoi le documentaire est aussi décrié par la communauté scientifique.

D’un point de vue d’amateur de cinéma, c’était clair pour moi que certains aspects dans la démarche du réalisateur de Seaspiracy manquaient d’honnêteté. Il se met en scène comme le héros d’un film d’action. Si on prend par exemple la scène où il prend des photos, caché dans un coin de mur dans un port japonais, c’est clair que les images qu’il nous montre à la suite ne sont pas celles qu’il a prises. En tant que professionnelle de la biologie marine, qu’as-tu pensé du film?

Pour rebondir sur ce que tu dis : je suis biologiste, mais je travaille beaucoup en communication et en vulgarisation scientifique. J’ai fait une thèse sur les pêches durables dans le monde au baccalauréat. Pour connaître un peu le milieu de la production, j’utilise des images d’archives provenant de YouTube pour des capsules vidéo et je fais aussi de la recherche pour en trouver d’autres. Ce film est bourré d’images d’archives. Certaines scènes du film laissent croire qu’il s’agit d’images originales et je me disais: « voyons donc, ça vient de la BBC. » Il n’a pas mis les crédits à la fin du film non plus. Ça m’a extrêmement dérangé.

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L’activisme émotif au départ, c’est jamais une bonne tangente pour expliquer des faits, mais le réalisateur s’est mis au centre de son film alors qu’il n’a vraiment aucun pouvoir de parole. Je ne suis pas élitiste au point de juste donner la parole juste aux gens qui ont des diplômes, mais ce gars-là était clairement en quête d’un coup d’éclat.

«on y parle d’une fausse statistique extrapolée d’une étude mal interprétée en 2006. On part sur de très mauvaises bases.»

J’aurais aimé avoir aimé ce film-là. J’aurais aimé voir la thématique abordée plus en profondeur. Dès le départ, le film repose une prémisse de fake news comme quoi les océans seront dépourvus de vie d’ici 2048. J’ai fait un peu de recherche parce que je n’avais jamais vu ou entendu parler de cette statistique. Je suis remontée à un article du New York Times qui date de 2006, mais le problème c’est qu’on y parle d’une fausse statistique extrapolée d’une étude mal interprétée en 2006. On part sur de très mauvaises bases.

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Donc, qu’est-ce qui te dérange le plus dans ses affirmations?

[Parmi les autres facteurs] on peut penser au réchauffement climatique, à l’acidification, à la perte d’oxygène dans les fonds marins, au fait que le niveau des océans est en train de s’élever, à la pollution, à la pollution sonore, au ralentissement du Gulf Stream. C’est tellement plus compliqué que de pointer du doigt l’industrie de la pêche comme le fait le réalisateur.

«C’est vrai qu’en haute mer […] Il y a du braconnage. Des techniques illégales. Le trawling, ça existe. Les filets fantômes aussi. Mais tout pêcheur n’est pas un pirate meurtrier.»

Après ça, il affirme que la pêche durable n’existe pas. Ce qui est complètement faux. On estime à l’heure actuelle que les deux tiers des pêcheries de la planète sont durables. Tabrizi s’est tourné sur le tiers des pêches du monde. Celles situées en haute mer. C’est vrai qu’en haute mer, c’est difficile de garder les yeux sur ce qui se passe vraiment. Il y a du braconnage. Des techniques illégales. Le trawling, ça existe. Les filets fantômes aussi. Mais tout pêcheur n’est pas un pirate meurtrier.

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Aussi, on y pointe encore du doigt les « méchants Japonais » et les « méchants Chinois » lorsqu’on parle de dauphins et des ailerons de requin, ce qui à mon avis exacerbe encore plus le racisme anti-asiatique. En Chine, on parle d’une culture vieille de 10 000 ans. Ça ne se change pas du jour au lendemain. Les jeunes sont de plus en plus éduqués et les ailerons de requins sont de moins en moins populaires auprès des jeunes générations. C’est pas comme si tous les Chinois en mangeaient. On parle d’une délicatesse gastronomique servie dans les mariages. Ça, le film l’explique quand même un peu.

Qu’aurais-tu aimé voir dans un documentaire sur le sujet?

J’aurais aimé voir une brochette d’intervenants plus spécialisés que des activistes et des caméramans. Il y a beaucoup de choses qui ont changé grâce à des documentaires comme Sharkwater, The Cove et Blackfish, qui sont parus depuis la publication de l’étude sur laquelle Tabrizi base son film. Il ramène ces problèmes-là en utilisant des informations désuètes dans le contexte actuel.

«Il y a trois milliards d’humains qui dépendent de la pêche pour survivre.»

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Il y a 30 ans à peine, on découvrait l’importance des océans pour notre survie. Je trouve que c’est de précipiter les choses que de brûler l’industrie de la pêche au grand complet au bûcher comme ça alors qu’il y a tellement de sociétés en train de se mobiliser pour trouver des solutions. Il y a trois milliards d’humains qui dépendent de la pêche pour survivre. Ça, c’est dérangeant aussi parce qu’en tant que blanc privilégié, c’est facile de dire: «deviens végane». Dis ça à quelqu’un qui vient d’un petit village en Amérique latine ou en Afrique. On le voit dans le film, il y a des gens qui meurent de faim parce qu’il y a moins de poissons dans les océans et cette diminution n’est pas simplement due à la surexploitation. C’est un amalgame de phénomènes reliés aux changements climatiques.

À ce point-ci, le message n’est pas: devenez végane. Arrêtez de manger du poisson. C’est plutôt : si tu manges du poisson tous les jours, te soucies-tu de sa provenance? De la même manière que si tu manges de la viande tous les jours. Ce qui est issu de la monoculture et de l’hyper industrialisation, c’est jamais bon. Il y a un prix associé à ta bouffe. Pas seulement en prises accessoires, mais en transport, de la façon que c’est cultivé, etc.

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Tu dis qu’il n’y avait pas beaucoup de spécialistes consultés. Quel intervenant du film décrirais-tu comme un.e spécialiste?

Sylvia Earle. C’était la seule qui était vraiment pertinente avec son message d’espoir à la fin. Une chance qu’elle était là. Elle EST une scientifique et elle travaille sur les pêches durables et se mobilise pour créer des hope spots (des aires marines protégées des activités humaines).

Une statistique m’a beaucoup marqué dans le film. Seaspiracy affirme que 46% du plastique dans les océans vient de l’industrie de la pêche. Est-ce que c’est vrai?

C’est très difficile à évaluer. On a pas les yeux rivés partout et il y a une grande quantité de pollution plastique à laquelle on n’a pas accès parce qu’elle a coulé au fond de l’eau où elle s’est désagrégée en microplastiques. La première source de contamination des eaux recensée en ce moment, c’est ce qu’on jette aux poubelles.

«La première source de contamination des eaux recensée en ce moment, c’est ce qu’on jette aux poubelles.»

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Ce qui est déplorable dans le film, c’est qu’on parle de «propagande d’organisme à but non lucratif contre les pailles» et c’est de regarder juste une petite partie de ce qu’on jette l’environnement. C’est vrai qu’on a beaucoup parlé des pailles à la suite de la fameuse vidéo virale avec la tortue. C’était inévitable qu’il y allait avoir une campagne autour de ça. C’est tellement choc. Si la paille a servi de messager pour tout le reste du plastique, eh bien ça aura été ça. C’est pas uniquement l’industrie de la pêche qui est responsable du plastique dans les océans. Promenez-vous sur les berges au Québec et il y a un prorata 1/10 de déchets de pêche vs objets domestiques. On parle de bouchons, de bouteilles, d’emballages, de chips, de bonbons, des jouets, pics à soie dentaires, emballage de tampons, etc.

En tant qu’être humain pas militant pour deux sous, comment est-ce que je peux consommer de manière plus responsable pour aider nos océans à survivre?

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Il y a plein de choses qu’on peut faire en tant qu’individu. Ça a l’air souvent flou, mais dans le concret: se munir de contenants réutilisables, ça peut faire toute la différence. Si t’es quelqu’un qui va se chercher un café par jour, c’est 350 cafés en takeout que tu vas te chercher minimum. Tu pourrais éviter tout ça avec une tasse réutilisable. Même chose pour une gourde d’eau. Si tu traînes ta gourde, t’en achètes plus d’eau embouteillée.

Par contre, il faut noter que les choses évoluent très vite et que les gouvernements sont très préoccupés par la pollution même si on ne l’entend pas et on ne le voit pas. Le Canada est en train de mettre sur place une nouvelle législation pour bannir dix items de plastique à usage unique de nos tablettes en 2021: les ustensiles de plastique, le polystyrène sera banni dans les contenants pour emporter, de nouveaux emballages vont voir le jour. Les pailles vont être bannies également.

Même si on est sur l’île de Montréal ou à l’intérieur des terres au Québec, on a toujours un impact parce que le fleuve nous traverse et tout finit toujours dans les cours d’eau.

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On peut aussi se mobiliser pour faire des corvées de nettoyage. Même si on est sur l’île de Montréal ou à l’intérieur des terres au Québec, on a toujours un impact parce que le fleuve nous traverse et tout finit toujours dans les cours d’eau. Quand un déchet de plastique touche à l’eau, il y demeure et c’est sûr que ça s’accumule et ça se dirige vers les océans.

Organisation Bleue tient la Semaine de l’Océan en juin prochain. Il y a quelques informations en ligne sur cet événement, mais c’est somme toute mystérieux … qu’est-ce qui va se passer pendant cette semaine-là?

Ah ha! Notre programmation sort officiellement le 1er mai! On est présentement en levée de fonds. Je peux te donner des pistes. Ça va être 7 jours de programmation hybride. Avec beaucoup de contenu virtuel: des classes de maîtres, des 5 à 7 virtuels, etc. On va avoir aussi des activités sportives, de la mobilisation pour nettoyer les rivages à Montréal, Québec et au Bas-Saint-Laurent. Il va y avoir une programmation culturelle aussi: des DJ sets, des prestations artistiques et une exposition 360 degrés sur le web.

Ton mot de la fin?

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C’est facile de pointer du doigt les Japonais qui tuent les dauphins en pensant que les dauphins mangent les stocks de poissons. Nous, jusqu’en 1978 on a accepté la chasse aux bélugas. Au point de réduire notre population à 3000 individus et on se bat encore à l’heure actuelle pour sauver l’espèce. Je trouve qu’on est très mal placés pour pointer du doigt. Il faut laisser le temps aux sociétés et aux nations de changer leurs moeurs et leurs cultures. Ça s’en vient. Il faut juste toujours se regarder le nombril avant de dénoncer.

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La semaine de l’océan est un événement mondial qui allie vulgarisation scientifique, art et créativité. Si la santé de nos océans vous tient à coeur et que vous souhaitez soutenir l’événement, vous pouvez participer à leur levée de fonds en ligne ici! Ne tardez pas trop, ça se termine le 22 avril! Pour en apprendre plus sur le sujet, vous pouvez visiter le site web de l’Organisation Bleue et/ou suivre la Semaine de l’Océan sur Facebook et Instagram! Ça sera probablement plus utile que d’écouter Seaspiracy.

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