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Seabiosis se donne le défi de mettre des algues dans votre assiette
Lors d’un passage récent en Gaspésie, j’en ai profité pour conduire les trois heures qui séparent Grande-Vallée, où je couvrais un festival de musique, et Carleton-sur-Mer, à la frontière avec le Nouveau-Brunswick. Dès qu’on sort de la voiture, on se fait accueillir par une forte brise marine qui remonte de la baie des Chaleurs.
À la Chope sur Mer, une épicerie de produits locaux fins et de bières de microbrasserie, je retrouve Élisabeth Varennes, directrice générale de l’entreprise Seabiosis. Depuis 2016, elle gère avec son mari et un autre partenaire cette société qui transforme des algues gaspésiennes en produits prêts à la consommation.
Pour l’instant, la compagnie offre à la vente une dizaine de produits, dont des saucissons kombu-bière Pit Caribou, des pestos verts et rouges, ainsi que des cornichons élaborés à partir de la tige de la laminaire sucrée.
Vraie passionnée de cuisine, c’est Élisabeth elle-même qui élabore toutes les recettes de Seabiosis, et passe plusieurs mois à les fignoler jusqu’à ce que le produit final soit parfait. Elle me fait goûter un excellent kimchi végétarien aux algues qui se rapproche beaucoup de certaines recettes que j’ai pu goûter en Corée du Sud.
Mais les algues n’ont pas toujours goûté aussi bon pour Élisabeth et son mari.
Un trésor sous la mer
« On est arrivés en 2016. On était à Rimouski avant, et à la fin de mon doctorat, on s’est installés ici. Et l’aquaculture s’est mise à nous intéresser », m’explique Élisabeth Varennes. Le couple se rend vite compte que les algues sont sous-exploitées au Québec.
Peu à peu, avec l’aide du Dr Éric Tamigneaux, expert et pionnier de la filière des algues au Québec, et du centre de recherches Mérinov, le couple se lance dans l’aventure. Au début, il compte avoir sa propre parcelle de mer, où faire pousser ses bébés algues et les voir grandir.
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Mais les problèmes sont arrivés tôt dans leur cheminement. « L’année de notre première récolte, on pensait récolter 3000 kilos d’algues, et on s’est retrouvés avec seulement 300 kilos, au final. Déjà, ça partait mal!, explique Élisabeth. Mais c’était la première fois qu’une expérience du genre se passait au Québec. »
«On a mis à l’eau un hook, qui devait faire remonter les algues, mais nos cordes n’étaient plus là.»
Et la jeune entreprise n’était pas au bout de ses peines.
« Après, à l’automne 2017, on avait installé des cordages, avec des bébés algues. L’année suivante, on s’est rendus aux coordonnées GPS qu’on avait notées pour nos cordes. On a mis à l’eau un hook, qui devait faire remonter les algues, mais nos cordes n’étaient plus là .»
Après plusieurs heures à tenter de retrouver leurs algues, ils ont trouvé une bouée un peu plus loin, avec leur étiquette. C’est à ce moment qu’ils se sont rendu compte que leur récolte avait été emportée par la glace et les torrents.
C’était la fin de leur récolte avant même qu’elle n’ait commencé.
Se transformer et transformer les algues
« Ce qui a fait qu’on n’a pas eu à faire faillite, c’est qu’on avait eu du financement pour nos recherches, ce qui a permis de compenser pour nos pertes », dit Élisabeth. Toutefois, elle croit beaucoup en l’industrie de la cultivation des algues, et se dit prête à encourager n’importe quel autre entrepreneur qui voudrait se lancer dans l’aventure.
« On s’est rendu compte que c’était trop dur pour nous, tous seuls, de développer l’aquaculture alors qu’il n’y a rien de connu au Québec, et en plus c’est un marché qui n’existe pas! » Depuis, ils travaillent sur le peaufinement de leurs produits, tout en diversifiant leurs fournisseurs de matière première, qu’elle soit issue de cueillette ou d’aquaculture.
Créer une demande et un marché
Dès qu’ils reçoivent les algues, Élisabeth et son équipe doivent travailler vite, car ils peuvent recevoir d’importantes quantités, et les algues fraiches ne se conservent au réfrigérateur que deux ou trois jours. Donc pour les conserver, l’équipe de Seabiosis les blanchit, avant de les congeler pour pouvoir les utiliser au besoin.
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Mais elle m’avoue que, surtout à leurs débuts, ça fut beaucoup d’essais et d’erreurs. «On a acheté à Antoine (Nicolas, cueilleur professionnel et président d’Océan de saveurs; NDLR) des algues, et on s’est mis à faire des tests. On les a fait frire, mariner, saumurer. L’idée des cornichons s’est mise à germer dans nos têtes. On faisait des expériences avec le kombu, pour utiliser la feuille, la tige, mais même le crampon!»
D’un défi à l’autre
Élisabeth ne comptait pas trop mettre l’accent sur la vente en ligne, avant la pandémie, mais tout a vite basculé.
Si les premiers moments de la pandémie ont pu faire peur, alors que les points de vente fermaient les uns après les autres, Élisabeth Varennes et son équipe se sont rendu compte du potentiel que pouvait avoir la boutique en ligne de leur site. Elle m’avoue qu’elle ne comptait pas trop mettre l’accent sur la vente en ligne, avant la pandémie, mais que tout a vite basculé.
Très vite, les ventes ont monté en flèche, alors que l’engouement pour l’achat local se faisait sentir. De plus, la horde de touristes qui s’est emparée de la Gaspésie l’été dernier a pu découvrir les produits de l’entreprise. La DG de la compagnie a même réussi à négocier une entente avec les supermarchés Métro, qui distribue ses produits dans certaines succursales.
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Aujourd’hui, Élisabeth Varennes espère voir son entreprise continuer sur sa bonne lancée. Elle veut aussi encourager plus de jeunes entrepreneurs à s’intéresser à la culture et la transformation des algues qui, selon elle, n’est pas près de ralentir.
«On essaie d’écouter les consommateurs, pour être assez proches de ce qu’ils veulent dans un produit. Je dis souvent que notre but, c’est de démocratiser la consommation d’algues en Amérique du Nord», conclut Élisabeth Varennes. «Mais je rajouterais aussi d’être un bon premier point d’entrée pour les gens qui ne connaissent pas ça, en créant les produits les plus délicieux possible.»