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Se payer un psy, un privilège?
Ce mois-ci, ça va me coûter 420$ de psy. Ça, c’est presque autant que le prix de mon loyer.
La conjoncture est malheureuse et, en toute honnêteté, un peu de ma faute. Une pause d’études imprévue a mis mes assurances étudiantes au point d’arrêt et le début improvisé d’une carrière en tant que travailleur autonome ne m’a pas permis, à ce jour, d’en trouver de nouvelles. Cerise sur le sundae, la perte de mon statut a fait augmenter le prix de mes consultations de 30$. Tout. Va. Bien.
Dring, dring. Je fais sonner le téléphone de mon CLSC local. Au bout de la ligne, une préposée me répond, mais refuse de donner un temps d’attente approximatif à ma demande de consulter un.e psychologue gratuitement.
Elle n’en a pas besoin : une amie a déjà tenté d’avoir de l’aide au même CLSC. Après six mois d’attente, elle a finalement rencontré une thérapeute… qui l’a référée à un autre centre. C’est qu’elle avait changé d’adresse. Un mois s’est écoulé depuis, sans nouvelles.
La préposée avec qui je discute semble deviner mon scepticisme. Sans me laisser le temps de répondre, elle enchaîne en me proposant une liste de cliniques privées « abordables » si mon besoin est immédiat. On parle généralement d’un peu moins de 100$ par séance, soit un peu mieux que ce que l’on retrouve ailleurs.
Je la remercie, puis je raccroche.
Le ping-pong public-privé
Consterné, il me suffit de poser la question autour de moi pour réaliser que même dans mon petit milieu privilégié, l’argent et les soins de santé mentale en stressent plus d’un.e.
Un collègue me confie avoir tenté de chercher de l’aide auprès d’un médecin, qui s’est contenté de lui prescrire des pilules en cas de nouvelles crises d’anxiété. Après avoir été mis sur une liste d’attente à son CLSC, il a dû se tourner vers la psychologie privée pour passer à travers l’hiver.
« Mais je me sentais mal quand j’allais là-bas, car je coûtais cher à mes parents. Après un moment, j’ai arrêté parce que je me sentais trop mal qu’en tant qu’adulte, je ne puisse pas payer mes propres services pour ma santé mentale », me confie-t-il.
« J’ai l’impression que, pour aller au public, faut presque que tu fasses ta demande quand tu vas bien, en prévision du moment où tu vas peut-être passer de l’autre bord. »
Après quatre mois, il a finalement eu une place au public, qu’il a décidé de laisser à quelqu’un « de plus malheureux » que lui. Mais un peu plus tard, son état a recommencé à se détériorer. « J’ai l’impression que, pour aller au public, faut presque que tu fasses ta demande quand tu vas bien, en prévision du moment où tu vas peut-être passer de l’autre bord ».
Ça commence souvent par une rencontre avec un.e médecin menant à des pilules.
Rapidement, une dizaine de témoignages de connaissances et d’inconnus remplissent mon inbox et font sonner mon téléphone. Tous me racontent une histoire similaire. Ça commence souvent par une rencontre avec un.e médecin menant à des pilules. Puis, de longs délais au public débouchent sur des consultations parfois éparses avec un.e thérapeute. Le problème non résolu, c’est la résignation : direction clinique privée. Finalement, le portefeuille ne suit plus et c’est le retour à la maison.
On a un peu l’impression de tomber dans une craque du système lorsqu’on ne se sent pas assez proche du gouffre pour se rendre aux urgences (pour en ressortir avec quoi, de toute façon?), mais suffisamment mal en point pour ne pas pouvoir supporter l’idée de traverser les mois d’attentes et de procédures du réseau de santé public.
Soigne-moi le corps, mais aussi l’esprit
Au Québec, c’est une personne sur cinq qui sera affectée par un trouble de santé mentale à un moment dans sa vie. S’il semble que le tabou entourant les troubles de santé mentale légers se lève progressivement, l’accès à des soins adéquats, lui, suit plus difficilement la tendance.
Pourtant, ne pas offrir de suivi psychologique aux personnes en détresse est coûteux. Environ 50 milliards de dollars par année, selon la Commission de la santé mentale du Canada. Un chiffre qui augmenterait d’année en année. On parle des coûts du système de santé, mais également de la baisse de productivité, entre autres choses.
La chercheuse Helen-Maria Vasiliadis est allée plus loin : dans un article scientifique primé, elle évalue que chaque dollar investi dans des services gratuits de psychothérapie aux patients aux prises avec la dépression permettrait d’épargner 2$ à la société canadienne.
Dans le dernier budget provincial, le ministère de la Santé et des Services sociaux s’est fait allouer un fonds de dépenses de 40,8 milliards de dollars. De ce montant, 29,9 milliards sont réservés aux services à la population, dont 1,35 milliard de dollars pour la santé mentale, me confirme par courriel la directrice des communications du ministère. Autrement dit, 4,6% de l’enveloppe.
Sans être un indicateur précis des actions gouvernementales dans le domaine, cela rappelle malgré tout que notre système de santé a été développé d’abord pour la santé physique, et que nous sommes (on l’espère) encore en transition vers un investissement plus substantiel en santé mentale.
Le côté givré du mini-wheat : depuis 2017, le gouvernement injecte chaque année 35 à 40 millions de dollars dans un programme pilote d’accès gratuit à des psychologues ou à des professionnel.le.s du milieu. Actuellement déployé uniquement en Mauricie-Centre-du-Québec, il vise, à terme, à offrir des soins gratuits via la RAMQ à 240 000 personnes supplémentaires, soit environ 3% de la population québécoise.
Se magasiner un bien-être
D’ici là, lorsque notre travail n’offre pas d’assurance santé collective avantageuse et que nos épargnes ne nous permettent pas de flamber 100$ de l’heure pour parler (ironiquement) de notre angoisse financière, on va où?
Quelques options s’offrent à nous.
Dans le « privé », certaines cliniques offrent de moduler leur prix en fonction des revenus de leurs clients. Cherchez-les, adoptez-les, et ne les laissez plus jamais partir!
Autrement, certaines universités proposent des séances de consultation avec des doctorants en psychologie en formation clinique. À Québec, par exemple, on peut obtenir une séance de 45 à 60 minutes pour 50$.
D’ailleurs, si vous êtes étudiant, la plupart des universités possèdent un service de consultation interne. Tant mieux, car plus de 75% des troubles mentaux se développent avant 25 ans. À l’Université de Montréal, on peut consulter pour aussi peu que 25 à 35$ par séance. Si le prix est intéressant, on doit néanmoins souvent subir des délais d’attente de quelques mois.
Le constat est similaire dans les autres établissements d’enseignement supérieur de la métropole. Et lorsque les temps d’attentes sont moins longs, la durée du suivi, elle aussi, a tendance à diminuer…
Mentionnons également que la plupart des associations étudiantes québécoises offrent à leurs membres de cotiser au régime d’assurance étudiante de l’ASEQ. Dans mon cas, j’ai dû débourser 220$ pour une couverture santé d’un an, ce qui est plus abordable que ce à quoi j’ai maintenant accès en tant que travailleur autonome.
À titre d’exemple, celle-ci m’offrait un retour de 50$ par rencontre jusqu’à concurrence de 10 séances de psychothérapie. Le hic : ces séances coûtent 120$ chacune. Mes dépenses totales? 700$ en consultation + 220$ d’assurance = 920$. Pour 10 séances. Disons qu’on ne va pas se mettre à danser sous la pluie en entendant cette nouvelle-là non plus, mais c’est un calcul un peu injuste de ma part : une assurance santé ne couvre pas que les soins en santé mentale.
Le communautaire à la rescousse?
J’ai l’immense privilège d’être entouré d’amour, de douceur et de gens qui peuvent m’aider financièrement en cas de besoin.
Mais d’autres n’ont pas cette chance. Pour eux, avoir accès rapidement à un.e psychologue tient presque du rêve – ce qui est d’autant plus préoccupant lorsque l’on considère que les troubles de santé mentale sont plus courants chez les personnes à faible revenu.
« Pour les personnes à faible revenu, quand on parle de service de psychothérapie, c’est le néant. »
« Pour les personnes à faible revenu, quand on parle de service de psychothérapie, c’est le néant », me confirme d’emblée la directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec, Doris Provencher. Elle m’explique néanmoins que le milieu communautaire se démène pour leur offrir du soutien.
On parle de groupes de discussion, de formations, de cuisines collectives, même. « Le but de ces organismes n’est pas thérapeutique, mais l’effet que ça a sur les gens l’est souvent. Ça ne remplace pas nécessairement la psychothérapie, mais ça aide beaucoup de monde ».
Dans le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale, on retrouve 18 organismes seulement à Montréal – mais le réseau s’étend partout dans la province.
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