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Se lancer en musique : le caprice ultime des gens riches et célèbres?

Le marché de la musique est saturé. Alors pourquoi est-ce qu’autant d’athlètes, d’influenceuses et d’acteurs s’y mettent?

Par
Billy Eff
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Trente ans plus tôt, il s’est passé quelque chose de gros dans le monde du basket : la troisième victoire consécutive des Bulls et de Michael Jordan (accompagnée de sa reconversion subséquente vers le baseball), bien entendu. Mais en 1993, un autre joueur de basket, Shaquille O’Neal (d’ailleurs nommé Recrue de l’année), s’est illustré d’une façon différente : en faisant paraître son premier album de rap, Shaq Diesel.

Ce fut contre toute attente un succès commercial, s’écoulant à plus d’un million de copies. En plus d’être le premier album d’une longue série pour O’Neal, Shaq Diesel a été un game changer pour les athlètes. Après ça, les portes musicales étaient ouvertes et Kobe, Allen Iverson et Peter Parker ont suivi ses traces.

Bon, le lien entre rap et basketball n’est pas si dur à faire que ça. Mais pourquoi sortir un album est-il vu comme un accomplissement pour tant de gens riches qui ne sont pas, à la base, musiciens? Et là, on ne parle pas des célébrités qui ont voulu avant tout faire de la musique, comme Miley Cyrus, Jared Leto et autres. Il est plutôt question ici de ceux et celles pour qui ça semble sortir de nulle part, style Denis Lévesque ou Kim Kardashian.

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Une histoire d’image de marque

Du moment où une personne est célèbre, elle devient en quelque sorte une entreprise. Chaque décision doit être prise avec en tête le fait qu’elle ne sera pas la seule affectée si les choses ne fonctionnent pas comme prévu. Une armée d’assistant.e.s, de stylistes, de chauffeur.euse.s et de relationnistes veillent à ce que le machine roule rondement.

Et parfois, dans une compagnie, il faut diversifier ses secteurs d’activités! Et peu de « produits » ont l’attrait et la portée universelle que possède la musique.

C’est ce qui pourrait en partie expliquer que Kim Kardashian, qui jusque-là n’était célèbre que pour être célèbre, a tenté une carrière musicale en 2011. Pour ce faire, elle a fait appel à ses contacts dans le monde de la musique, dont le super producteur The-Dream, et un peu d’aide de celui qui finirait par devenir le père de ses enfants, Kanye West.

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Ce fut un flop. Mais qu’importe : la chanson a été fortement utilisée lors de la promotion de la sixième saison de l’émission de télé-réalité de Kim et sa famille. Que ce soit « réel » ou non, le public voyait maintenant Kim Kardashian, qu’on avait surtout connue à titre d’assistante de Paris Hilton, comme étant capable de quelque chose au-delà de l’écran télé. Rappelez-vous qu’on parle d’il y a plus d’une décennie : Kim était loin d’être la force de la nature qu’on connaît aujourd’hui.

Bien que le critique Jim Farber ait dit de sa chanson Jam (Turn It Up) qu’il s’agissait d’un « morceau de dance music générique sans queue ni tête, sans la moindre caractéristique distinctive », Kim était maintenant à MTV, aux bras de Kanye au Met Gala, et elle vit gratuitement depuis dans la tête d’à peu près tout le monde en Occident.

Sa carrière musicale ayant été un échec, elle était maintenant libre d’essayer ce qu’elle voulait. Et elle a aujourd’hui un empire qui vaut des milliards de dollars et qui comprend des fragrances, une société financière privée, une ligne de produits de beauté et des jeux mobiles.

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Solidifier sa relation avec le public

Si elle est bonne et/ou bien faite, la musique peut être un moyen très efficace pour des célébrités de connecter avec leur public de manière plus intime et émotionnelle. En général, plus le lien entre la personne qui crée et la personne qui consomme est intense, plus il y a d’argent à faire!

De la même façon que certaines célébrités produisent du contenu pour satisfaire le regard pervers du public, sortir un album peut devenir une manière de présenter une autre facette de soi-même.

Un bon exemple serait l’animateur Denis Lévesque. Après des décennies à poser les questions que son auditoire se posait à des dizaines de milliers d’intervenants variés, l’animateur a fait paraître un album en 2015. Mais pas de plans de tournée ou d’autres enregistrements, disait-il à l’époque.

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Puis, finalement, l’envie de connecter avec son public de manière plus significative s’est fait sentir. Il crée son deuxième opus Ça va aller en 2018 et part à la rencontre de ses fans à travers le Québec.

« Je vais aller parler directement aux gens à qui je m’adresse chaque jour à la télévision », expliquait-il à l’époque. « J’ai lu une entrevue de Drucker dans une revue où il disait que depuis qu’il monte sur scène, il a pris un coup de jeunesse. (…) Je me suis dit que je pourrais faire la même chose que lui avec un concert. » Dans le cas de Lévesque, il s’agissait de renforcer sa relation avec un public déjà conquis.

Ceux qui voulaient vraiment que ça fonctionne

Mais il y a ceux et celles pour qui ce n’était pas qu’une question d’argent, de marque ou d’image. Il y en a qui souhaitaient réellement que ça fonctionne.

« Il a sorti un CD, tout l’monde a dit que c’tait d’la marde », résume sans artifice le groupe rap de Québec Les Cascadeurs sur leur chanson Jacques Villeneuve, qui pique autant qu’elle célèbre le fameux pilote de Formule 1 québécois.

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Au milieu des années 2000, alors que la fin de sa carrière de Formule 1 se dessinait à l’horizon, Jacques Villeneuve a décidé d’acheter un studio à Levallois-Perret, en banlieue parisienne, et y a passé presque tout un mois afin d’enregistrer Private Paradise, un disque longue durée bilingue de 13 chansons.

« Oui, j’ai beaucoup investi dans ce disque, j’ai acheté le studio, ça m’a coûté cher (…). J’ai reçu tellement de conseils à propos de ce disque. Et, évidemment, je n’ai rien changé! Je n’ai pas fait cet album pour baisser mes culottes », disait à l’époque le coureur automobile en entrevue avec La Presse. Il a donc sorti l’album de manière indépendante.

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Résultat : 233 albums vendus au Québec et 836 en Amérique du Nord. Pour celui qui a longtemps été un chouchou des médias québécois, ce fut un coup dur pour son image de marque. Il est devenu la cible de plusieurs blagues et ses performances décevantes en course automobile par la suite n’ont pas aidé. C’est sans parler de son nom qui s’est retrouvé dans les Panama Papers. Pour Villeneuve, donc, le pari n’a pas valu le coût et son image a sévèrement été affectée, depuis.

S’adonner à un hobby (et en devenir victime)

En 1991, dans un supermarché de la Californie, deux dudes se mettent à parler parce que l’un d’eux porte un jersey des Red Wings de Détroit et l’autre est un Canadien qui peine à trouver d’autres amateurs de hockey à Los Angeles. De fil en aiguille, ils se mettent à chiller ensemble.

Cela donne un groupe de garage grunge nommé Dogstar. Robert Mailhouse, celui avec le jersey de Détroit, à la batterie. À la guitare et à la voix, Bret Domrose, et à la basse, celui qui attire des foules grandissantes : le Canadien Keanu Reeves.

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Il faut dire qu’au moment de former le groupe, Point Break vient tout juste de sortir et Reeves devient une star. Le groupe devient donc connu avant même d’avoir joué devant public! En 1992, Dogstar organise à la dernière minute un concert au Raji’s, à Hollywood. Le même jour, Rivers, le chanteur d’un autre groupe encore moins connu et expérimenté, demande au propriétaire de la salle de la louer pour organiser un concert. Le propriétaire accepte de placer le jeune groupe en première partie de Dogstar.

Toutefois, le groupe de Keanu finit par jouer en premier et toutes celles et ceux qui étaient venus voir la nouvelle coqueluche d’Hollywood jouer à la rockstar avaient quitté. Ce qui fait que lorsque Weezer embarque sur scène après Dogstar pour jouer son tout premier concert, il ne reste qu’une vingtaine de personnes dans la salle.

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Éventuellement, la carrière d’acteur de Keanu Reeves finit par prendre le dessus et après des tournées mondiales et des concerts avec Bon Jovi et David Bowie, Dogstar se sépare. Mais son temps comme bassiste dans un band aidera à solidifier la réputation de chill guy de Keanu. Il est d’ailleurs souvent cité comme étant l’une des célébrités les plus gentilles au monde!

Pour ceux que ça intéresse, Dogstar vient tout juste d’annoncer une nouvelle sortie ainsi qu’une tournée.

Cheat code : devenir DJ

Si vous êtes célèbre, mais que de devoir chanter, jouer d’un instrument et danser sur scène vous fait trop peur, il vous reste un autre moyen de percer dans l’industrie musicale tout en solidifiant votre brand et en faisant beaucoup d’argent : devenir DJ, à l’instar de Paris Hilton, Shaquille O’Neal ou encore Elijah Wood.

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Il y a plusieurs avantages à emprunter cette voie. Premièrement, vous n’avez pas à créer quoi que ce soit et mixer « correctement » est assez simple, car ça ne demande pas une connaissance approfondie de la musique. En fait, vous pourriez même simplement jouer un mix pré-enregistré et personne ne s’en rendrait compte.

Deuxièmement, les gens aiment sortir danser autant qu’ils aiment les célébrités. Si vous créez un deux-en-un, ça vous rapporterait en image et en argent.

Enfin, si vous avez vraiment du clout (ou du moins un nom que tout le monde connaît), des gens fortunés dont vous n’avez probablement jamais entendu parler pourraient vous booker pour un set de DJ privé de soirée caritative ou même pour la bar mitzvah de leur enfant. Et ça, pour beaucoup de personnalités un peu tombées dans l’oubli, ça peut représenter une portion significative de leur salaire annuel!

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Être créatif, c’est aussi s’intéresser à différents médiums; on ne peut pas en vouloir aux célébrités établies dans leur milieu de s’intéresser à différentes manières de s’exprimer et rejoindre leur public. C’est certain que c’est plate que certains usent de leur clout pour ne pas avoir à faire la file (ou même faire de la musique eux-mêmes), mais à une ère où l’on s’inquiète que l’IA ne tue la musique commerciale, des chansons comme Jam (Turn It Up) n’auront plus à être performée par des Kim Kardashian.

Et rappelez-vous que pour chaque chanson nulle d’une célébrité qui tente un crossover, il y a des bangers, comme celui d’Eddie Murphy. Imaginez un monde sans Party All the Time; ça serait bien triste et morne.