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Se faire passer pour un homme pour être prise au sérieux

Témoignage d'une restauratrice tannée des monsieurs condescendants.

Par
Anonyme
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Je m’appelle Mireille*, j’ai 34 ans et je suis propriétaire d’un restaurant depuis cinq ans.

Je suis cuisinière avec une formation de chef et j’ai une tête forte et une personnalité qui fait bouger de l’air, alors j’me suis dit que gérer un petit restaurant, ça allait de soi, que ce serait facile et une belle expérience. Que nenni. Au fil du temps, j’ai réalisé à quel point on ne respecte pas les femmes, en tous les cas dans le domaine de la restauration. PS : « on » étant la société en général (toi, pis ton voisin, pis ta sœur, pis [surtout] ton chum, même moi ça peut m’arriver, because patriarchy is in all of us). Une femme qui te dit quoi faire et comment le faire? Eh boboy que ça passe mal! Pis imagine si elle est plus jeune que toi? Crise d’angine assurée.

Mon père, qui était entré dans le resto au moment de ma deuxième demande, a simplement répété ma requête et pouf, le technicien a appelé son boss, est allé chercher une nouvelle machine dans son camion et l’a installée en sifflotant.

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En exemple, j’ai déjà demandé la machine Interac « nouvelle génération » à la compagnie qui s’occupe de ça à mon restaurant. Le lendemain, elle a envoyé un technicien qui s’est pointé avec une machine « ancienne génération ». Je lui ai dit, par deux fois, de ne pas installer cette machine, que j’avais demandé la nouvelle, qu’il pouvait appeler son supérieur pour vérifier cette information. Ben esti, il a commencé à installer la vieille machine malgré mes holà de plus en plus gestuels. Je m’arrachais les cheveux en le regardant faire: voyons donc, monsieur que vous faites pas ce que je demande? « Mais il se crisse ben raide de moi? » que je me disais, abasourdie; je savais tellement pas quoi faire pour me faire entendre. N’oublions pas : je suis la cliente, je paye pour ce service. Mon père, qui était entré dans le resto au moment de ma deuxième demande, a simplement répété ma requête et pouf, le technicien a appelé son boss, est allé chercher une nouvelle machine dans son camion et l’a installée en sifflotant. Sans rien dire de plus; aucune excuse, nada, niet! Je bouillais de frustration. Et ceci n’est qu’un seul exemple parmi TANT d’autres.

Bref, de trop nombreuses fois j’ai vu rouge — ou je ne sais trop quelle est la couleur de la misogynie et de l’âgisme. C’est pourquoi depuis plus d’un an, j’ai délégué une partie de ma job à un p’tit nouveau dans l’équipe : c’est Samuel qui répond à tous les messages concernant mon commerce (clients et fournisseurs). Plot twist : Samuel, c’est moi. Je ne fais que signer le prénom d’un homme. PERSONNE ne s’obstine avec Samuel.

Samuel dit exactement la même chose que moi j’aurais répondu, mais maintenant tout le monde est heureux, peu importe la réponse, même si ladite réponse est négative. Personne ne réplique à Samuel comme on le faisait quand je signais mon nom. Je ne sais pas quel pouvoir il a à part de posséder un pénis imaginaire, mais bon Dieu que les gens sont polis avec Samuel.

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Ayant quelques amies entrepreneures dans le même domaine, je peux affirmer que les phallocrates sont récurrents et c’en est épuisant. Samuel est devenu pour moi une solution rapide parce qu’il me fait gagner le temps que je perdais à devoir expliquer et justifier mes réponses.

Pourquoi on fait plus confiance à un homme, même fictif? Qu’est-ce que ça dit sur nous, en tant que société? C’est ça, être moderne?

Savez-vous à quel point ça fait perdre l’espoir en l’humain, de vivre ça quotidiennement? De ne pas être respectée, écoutée, considérée? Même avec tout le bagage, l’expérience et le talent qu’une femme peut avoir, la parole des monsieurs va primer sur tout le reste? La question se pose : pourquoi on fait plus confiance à un homme, même fictif? Qu’est-ce que ça dit sur nous, en tant que société? C’est ça, être moderne?

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Une réflexion s’impose… pour ma part, je vais continuer à utiliser Samuel, aussi ridicule que ça peut être, jusqu’à temps qu’on soit tous assez allumés sur nos habitudes pour cesser ces comportements sexistes.

*Prénom fictif