C’est la première fois que je mets les pieds au palais de justice ; c’est sombre, austère, angoissant. Des juges et des avocats en toges arpentent les couloirs d’un pas rapide, visiblement préoccupé.e.s par un dossier important.
C’est l’endroit où j’ai proposé à Isabelle de me rencontrer pour l’entrevue. L’avocate apparaît quelques minutes plus tard, un grand sourire au visage et v êtue d’un veston bleu vif – y’a pas à dire, elle détonne dans le paysage.
Et ma première impression d’Isabelle est tout à fait à l’image de son cabinet, Article 23 : une école d’autodéfense légale qui s’inscrit à contre-courant d’un système de justice aride et peu ouvert aux non-initiés. Isabelle a fondé l’organisme avec l’intention de démocratiser l’accès à la justice en accompagnant et en formant les personnes voulant se représenter seules.
« Le coût moyen d’un litige serait de 25 à 30 000$, et c’est souvent plus que ça. Moi-même, qui suis avocate, je n’aurais pas les moyens de me le payer. »
Article 23 qui se spécialise dans trois types de litiges : ceux impliquant les parents séparés, les vices cachés et la reprise de logement, aide donc ses clients à comprendre les règles de procédure en cours, la façon dont il faut naviguer une instance et comment bien répondre aux questions qui y sont posées pour aller défendre leurs propres intérêts. « Ça, les avocats, c’est quelque chose qu’on apprend sur le tas, dans notre pratique. Ce qui compte dans un dossier de litiges, ce sont les faits. Tous les avocats vont vous le dire, dans un dossier, il n’y a personne qui maîtrise mieux les faits que la personne qui les a vécus. »
« Une fois que vous comprenez comment faire pour respecter la procédure, vous être aussi bon, sinon meilleur, qu’un avocat. »
Peu d’alternatives aux avocats
L’autodéfense n’est cependant pas toujours un choix et ça, Isabelle en est parfaitement consciente. Dans le meilleur des mondes, tout le monde préférerait se faire représenter par un.e avocat.e, mais peu ont le budget nécessaire. Beaucoup de ses clients viennent [la] voir alors qu’ils ont déjà emprunté pour financer les 20-30 000$ premiers dollars qu’ils ont dû payer en frais d’avocat.
Parlez-en à Anne*, qui est embourbée dans un litige pour « une affaire d’allocations familiales » qui lui a coûté déjà plus de 10 000$. « Ça fait 12 ans que je suis en cours contre le père de mes enfants », m’explique-t-elle. En plus de vivre de la violence sur le plan économique de la part d’un ex-conjoint absent qui ne contribue pas à subvenir aux besoins de ses enfants et qui lui impose des démarches juridiques longues et coûteuses, Anne a dû faire face à la justice seule, faute de moyens financiers pour se payer un avocat. « Il manque de ressources pour la classe moyenne », explique-t-elle en spécifiant que l’aide juridique n’est qu’accessible aux personnes dont le revenu annuel est inférieur à 14 000$.
Elle s’est donc tournée vers les ressources qu’elle a trouvées de peine et de misère, à coups de journées complètement hypothéquées par ses démarches judiciaires solo : le Centre de justice de proximité, l’organisme Inform’elle, la ligne rebâtir et le Centre d’accès à l’information juridique.
Les ententes à l’amiable : une fausse solution?
L’inaccessibilité financière de la représentation par avocats porte souvent les individus à opter pour des ententes à l’amiable avec les parties adverses, souvent plus fortunées qu’eux, explique Isabelle. « Ce n’est pas dans l’intérêt d’un propriétaire qui veut faire une rénoviction, par exemple, d’en venir à une entente à l’amiable avec son locataire. Il veut juste que celui-ci quitte le logement, » illustre-t-elle. « Les chances d’en arriver à une entente à l’amiable qui soit juste pour les deux partis sont très minces. Surtout quand ton adversaire est de mauvaise foi, ou qu’il a l’impression d’avoir tous les droits. » Même son de cloche du côté d’Anne, qui n’a jamais réussi à convenir d’une entente à l’amiable avec son ex-conjoint.
Isabelle souligne aussi que, dans le cas des reprises de logements illégales comme il s’en voit beaucoup, actuellement, défendre ses droits en cours, « c’est une contribution à réduire les impacts de la crise du logement. C’est participer à la bataille. Quand on accepte un règlement pour acheter la paix rapidement, on contribue indirectement au problème de l’augmentation des coûts de loyer », lance Isabelle avant de souligner qu’elle ne cherche cependant pas à culpabiliser quiconque aurait eu recours à ce genre de solutions. Une rectification qui témoigne de sa bienveillance évidente, qui fait ressortir son parcours en psychologie qui a précédé sa carrière en droit.
Presque pour tout le monde
Quand je demande à Isabelle s’il est possible pour n’importe qui de se représenter soi-même en cour, celle-ci précise: « c’est pour la plupart des gens. Pas pour tout le monde, mais beaucoup de monde, quand même ». Selon elle, se représenter seul.e, demande les qualités suivantes : être capable de s’exprimer clairement à l’écrit et à l’oral, avoir un bon contrôle de ses émotions et être capable de comprendre des concepts abstraits.
Même si ça semble difficile à croire aux premiers abords, « non, ça ne prend pas une intelligence supérieure », soutient l’avocate. Prenons le cas d’une reprise de logement illégale. « Ce que ça prend pour avoir droit à des dédommagements, c’est la capacité de démontrer la raison pour laquelle le propriétaire a voulu reprendre le logement. Par exemple, en démontrant que celui-ci avait dit vouloir l’habiter lui-même ou y emménager un membre de sa famille, qu’il ne l’a pas fait, et qu’il n’a pas demandé la permission au Tribunal pour le remettre sur le marché locatif. »
Isabelle insiste : aller en cour, c’est simplement aller s’expliquer à quelqu’un afin de régler un problème et d’en arriver à une solution. « C’est sûr que c’est intimidant, concède-t-elle, mais c’est pas parce que tu te représentes seul.e que tu dois te préparer seul.e. » Lors de notre entrevue, elle est d’ailleurs accompagnée de sa sœur, Marie-Claude, ex-travailleuse sociale et aujourd’hui spécialiste en préparation mentale chez Article 23. Avec son expérience en situation de crise et en violences conjugales, Marie-Claude aide les client.e.s du cabinet à gérer leurs peurs lors des démarches judiciaires.
Un service accessible
L’avocate tient à ce que ses services soient offerts à des prix raisonnables. « On vise 1$ la minute pour la formation. Ainsi, pour 90$, une formation en ligne de 90 minutes vulgarise les “règles” de la cour aux participant.e.s. » Isabelle explique qu’ensuite, 1 ou 2 heures avec un.e avocat à taux horaire est généralement nécessaire, question de discuter des particularités du cas, ce qui représente un investissement d’environ 600$.
« Presque la totalité de nos dossiers en droit familial qui sont PASSÉS EN COUR ont gagné, contre des avocats QUI CUMULAIENT PARFOIS PRÈS de 20 ans d’expérience. »
« Si j’avais connu Article 23 [au début de mes démarches], ça aurait pu m’aider, oui », conclut Anne. Avec le recul et l’expérience, elle le réalise aujourd’hui : « on ne se fait pas assez confiance. Ça fait peur. On est devant l’inconnu. » Mais Isabelle, elle, est catégorique : « en étant bien préparé.e.s, c’est possible de bien se défendre seul.e en cours ».