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Savez-vous combien payait le locataire qui vous a précédé?
«Je sais que [le propriétaire] aurait dû mettre [le montant de l’ancien loyer dans le bail] et j’aurais pu me battre, mais après, il va le donner à quelqu’un d ’autre qui ne va pas savoir et qui va dire oui», me dit une jeune locataire en tenue de sport qui emménage sur l’avenue du Mont-Royal quand je lui demande si elle est au courant du loyer de l’ancien locataire en ce 1er juillet ensoleillé.
Et vous, saviez-vous combien payait le locataire qui vous a précédé? On vous entend d’ici chuchoter «je préfère ne pas le savoir» avec un peu d’amertume.
Et effectivement, la vérité pourrait vous choquer. Car selon des chiffres comptabilisés par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), le loyer de la personne qui vous a précédé dans votre nouvel appart était probablement pas mal moins élevé que le vôtre.
En effet, le prix des logements à louer en 2021 a augmenté de 8% dans la région de Montréal par rapport à 2020. On parle même d’une augmentation de 15% pour les grands logements. Ce qui démontre, selon le RCLALQ, «à quel point les loyers explosent lorsqu’il y a un changement de locataires».
Et cette année, avec la crise du logement, les files d’attente interminables pour visiter un logement abordable, voire la surenchère, les proprios ont le gros bout du bâton.
On est allés marcher dans les rues du Plateau-Mont-Royal en cette journée nationale du Canada déménagement pour demander à des locataires qui emménagent s’ils sont au courant du loyer que payaient ceux qui étaient là avant eux.
Premier constat: très peu de gens savent
Les réponses varient.
Tout d’abord, la grande majorité des gens à qui nous avons parlé ne sont pas du tout au courant.
Sur une vingtaine de personnes rencontrées, seulement deux nous diront l’avoir appris de la bouche de leur propriétaire.
Puis, il y a ceux qui demandent directement aux locataires précédents le montant de l’ancien loyer ou encore ceux qui connaissent déjà des habitants de l’immeuble et qui sont en mesure de comparer leurs deux loyers.
Sur une vingtaine de personnes rencontrées, seulement deux nous diront l’avoir appris de la bouche de leur propriétaire. Une locataire fraîchement emménagée dans un six et demi prendra même une pause en le réalisant avant d’articuler lentement: «Mais… ils doivent nous le dire pourtant, non?»
Mieux encore: ils doivent vous l’écrire. En effet, la loi oblige les propriétaires à fournir un avis écrit concernant le montant du loyer le plus bas payé au cours des 12 derniers mois. Ce montant est habituellement inscrit juste au-dessus de la section des signatures, dans la section G de l’actuel modèle de bail. En l’expliquant à une ancienne locataire de Villeray à présent installée sur le Plateau, elle répondra avec étonnement n’avoir jamais vu cette section remplie. «Et pourtant, je déménage tous les ans.»
«Soit tu acceptes, soit tu es dans la rue.»
Mais connaître cette obligation juridique n’est pas souvent gage d’action. C’est ce que nous explique une jeune locataire qui, depuis mars, cherchait activement un appartement à Montréal. Après plusieurs visites, refus inexpliqués et annonces Facebook éphémères, elle finira par en trouver un de justesse au cœur du Plateau-Mont-Royal avec un loyer dépassant un peu son budget.
«Tu veux te battre parce que tu sais que c’est pas correct.»
En voyant vide la section G de son formulaire de bail, elle sait immédiatement que cette pratique est illégale. «Tu veux te battre parce que tu sais que c’est pas correct», nous dit-elle avant d’ajouter, épuisée par l’effort du déménagement: «Mais psychologiquement, tu es aussi fatiguée [donc] soit tu acceptes, soit tu es dans la rue.»
Certains choisissent cependant de contester, une démarche si méconnue du grand public qu’elle a surpris tous les gens à qui nous en avons parlé. Pourtant, il est tout à fait possible de contester un loyer, et ce, même après la signature du nouveau bail. Si le montant est inscrit dans la section G, le locataire a 10 jours après la signature pour contester une augmentation abusive auprès du Tribunal administratif du logement (TAL) et demander une fixation de loyer.
Si le propriétaire ne l’a pas avisé du montant du loyer précédent, le locataire dispose de deux mois pour s’adresser au TAL.
Mais plusieurs craignent que la relation avec un nouveau propriétaire ne soit pas au mieux s’ils amorcent des démarches en ce sens. Se loger convenablement est devenu un tel luxe que beaucoup sont prêts à faire des sacrifices en toute connaissance de cause pour s’assurer d’avoir un toit et des relations paisibles avec celui qui le fournit. «On ne veut pas prendre de chance de perdre», résume l’habitante du Plateau.
Défaire ses boîtes avec résignation
Beaucoup finissent donc par renoncer. En déménageant à cinq rues de son ancien appartement, Gabriel a accepté l’idée qu’il était chanceux. Ni son propriétaire et ni son prédécesseur ne l’ont informé de l’ancien loyer, mais lorsqu’on lui demande ce que cela aurait changé, il nous répond que «rendu là, pas grand-chose».
«Quand tu vois dix groupes de personnes attendre pour un même appartement, tu négocies pas tes termes et tu sautes dessus»
Ses recherches pour un appartement salubre à l’emplacement de son choix ont été trop difficiles pour qu’il conteste, d’autant plus que sa validation de dossier ne s’est jouée qu’à une place de file d’attente.
Le nombre de demandes joue un rôle dissuasif très fort, en effet. «Quand tu vois dix groupes de personnes attendre pour un même appartement, tu négocies pas tes termes et tu sautes dessus», comme le souligne l’étudiante rencontrée sur le Plateau.
Alors lorsqu’une poignée mince de propriétaires informe à l’oral les nouveaux arrivants du montant de loyer payé par l’occupant précédent, ces derniers n’ont aucun autre choix que de les croire et entrer à l’aveuglette dans ce bail. Certains, comme Gabriel, relativisent en observant l’impitoyable marché immobilier de Toronto et Vancouver pour finalement se dire qu’à Montréal, «c’est peut-être pas si pire.»
Comment faire circuler l’information?
La piste de solution du registre gouvernemental des loyers est évoquée depuis belle lurette. Depuis déjà quelques semaines, un registre citoyen vous permet d’inscrire votre loyer ou de vérifier le loyer de l’ancien locataire, mais ça vient avec certaines failles. Par exemple, les propriétaires pourraient eux-mêmes inscrire de faux montants pour laisser croire que le loyer était plus élevé qu’en réalité avant que vous emménagiez.
Et sinon, il y aura toujours la bonne vieille méthode de laisser une copie de votre bail dans une armoire pour le ou la prochain.e locataire. À condition qu’il ou elle prenne le temps de le lire.