C’est la morve au nez que j’ai décidé de retourner à l’université. Pendant le temps des Fêtes 2016, malade comme un chien et incapable de sortir avec mes amis, j’avais la crise existentielle qui roulait à grande vitesse.
Les remises en question, sûrement dues à mon début de trentaine, s’immisçaient : étais-je rendu où je l’espérais ? Étais-je heureux au travail ? Force était d’admettre que non. J’avais un emploi d’adulte bien rémunéré, dans une boîte d’aéronautique, avec des avantages sociaux tant convoités. Je n’y comprenais rien, mais je cotisais même à des REER. J’étais confortable, mais je me voyais mal me résigner à faire le même boulot fade jusqu’à ce que je sois vieux et con. Il manquait la passion.
Après quelques recherches, je suis tombé sur un certificat en rédaction à l’Université de Montréal. Un programme offert de soir qui me permettrait de garder mon statut de salarié, étant trop peureux pour repartir à zéro. J’ai toujours aimé écrire, et on a souvent complimenté mon style. J’aimais aussi l’idée de me faire évaluer par d’autres que ma famille et mes amis. J’avais désormais un plan : jouer à l’adulte le jour et apprendre à écrire le soir. Pour faire quoi ? Je n’en avais aucune idée. Mais j’étais excité.
La première journée
Sous la pluie froide de septembre, je suis sorti de la station de métro avec la même fébrilité que lors de ma première rentrée universitaire. Par contre, le gars qui allait franchir la porte de la classe n’avait rien à voir avec le jeune désinvolte à la barbe dispersée qui, 10 ans plus tôt, se pointait à ses cours batté en écoutant du Tryo. J’étais maintenant sérieux, décidé.
Gêné, je me suis assis dans le coin gauche de la dernière rangée, d’où je pourrais identifier toutes les personnalités clichées d’une classe universitaire. J’ai vu le gars qui arrive à la pause et qui pose des questions sur la première partie du cours. La jeune militante au vocabulaire hyper soigné qui a toujours la réplique juste. Le soi-disant bohème mystérieux qui contredit sans cesse l’enseignant en y allant d’envolées dont tout le monde se câlisse.
J’ai eu envie de lui dire que j’avais 14 ans le jour où elle est née, mais au même moment, un homme d’une soixantaine d’années est entré.
Une jeune femme s’est assise à côté de moi et a entamé la conversation. Elle avait 18 ans. J’ai eu envie de lui dire que j’avais 14 ans le jour où elle est née, mais au même moment, un homme d’une soixantaine d’années est entré. À ma naissance, il avait déjà vécu la crise d’Octobre et voté aux deux référendums. J’ai gardé ma réflexion pour moi.
Le professeur — un homme échevelé au visage philosophe, au ton monotone et adepte du PowerPoint en rafale — s’est levé et a pris la parole. Il manquait de vigueur, mais ses blagues pince-sans-rire gardaient la classe en vie. Je ne le savais pas encore, mais c’est lui qui allait valider mon choix de retourner sur les bancs d’école. Grâce à ses commentaires constructifs et encourageants, tout au long de la session, il a réussi à me donner une confiance en mon écriture que je n’avais encore jamais eue.
La suite
Cette confiance m’a permis, au cours des deux années qui ont suivi, de prendre mon aise. De session en session, je me suis surpris à ne plus me cacher dans le coin et à m’asseoir en avant. J’ai commencé à prendre part aux discussions, à faire valoir mes points de vue. Je me suis fait des amis. De bons vieux amis d’université à qui on dit qu’on devrait vraiment aller boire une bière sans jamais le faire. Et j’ai surtout remarqué que j’avais acquis une discipline qui m’avait toujours été totalement inconnue. J’avais beau dire que j’aimais écrire, il m’en fallait peu pour abandonner un projet. Maintenant, je me force à écrire le plus souvent possible. Je publie de petites histoires sur un blogue personnel, j’écris des articles pour l’entreprise d’un bon ami et j’ai même entamé l’écriture d’un roman.
Mon certificat achève. Il ne me reste qu’un seul cours, que je suivrai dans les prochaines semaines. Je ne sais pas ce qui m’attendra ensuite. Je jongle avec quelques idées. Il y a le certificat en journalisme, celui en création littéraire. J’aime même l’idée de suivre des ateliers d’écriture à l’École nationale de l’humour. Les choix sont là. J’ai encore le temps. J’ai vu trop de gens d’âges et de profils différents pour croire qu’il est trop tard. Qui plus est, j’ai redécouvert un plaisir dans mon travail d’adulte. Maintenant que mes temps libres sont ponctués de projets qui me passionnent, faire de la logistique dans une boîte d’aéronautique me fait plaisir.
Parce que j’ai appris sur les bancs d’école que l’on ne se définit pas seulement par ce qui nous permet de payer le loyer. On peut ajouter toutes les couleurs possibles à nos définitions. Si bien qu’encore à ce jour, même si je n’y comprends toujours fuck all, je cotise encore des REER en travaillant au même endroit, et j’y suis bien.
En plus, maintenant, je sais écrire.