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Rester en couple pour le cash

Dans une relation près de chez vous.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je me suis senti interpellé par ton post. Je me suis dit : je ne peux pas croire que je suis tout seul. »

Simon* n’est effectivement pas tout seul. Un simple appel à tous sur Facebook pour trouver des couples qui restent ensemble pour l’argent m’a valu une tonne de témoignages.

Tous concernaient une relation terminée, sauf Simon, toujours coincé dans la sienne.

C’est triste et viscéralement antiromantique de s’accrocher à des paiements de maisons, de char et de piscines hors terre. Mais c’est visiblement plus répandu que je croyais.

« C’est souffrant. Je ne veux jamais retourner dans cet environnement de marde après le travail, à faire semblant pour les enfants et me pogner une fois qu’ils sont couchés. »

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Prisonnier d’un « confort facile », Simon endure et jalouse quand même les gens qui ont plus de guts que lui. « Je vois des gens se séparer et je vous idolâtre. Vous êtes des héros! », louange ce jeune trentenaire, qui assume rester en ménage à cause du cash. « C’est souffrant. Je ne veux jamais retourner dans cet environnement de marde après le travail, à faire semblant pour les enfants et me pogner une fois qu’ils sont couchés », confie crûment Simon, en couple depuis une quinzaine d’années avec sa school lover.

Une maison, deux enfants et deux chars plus tard, le couple est mort, seuls les paiements subsistent… et la peur. « Ça fait extrêmement peur l’idée de se retrouver dans la marde à 33 ans. Elle aussi, je ne veux pas la laisser dans la marde », admet Simon, néanmoins fier que sa blonde soit la mère de ses enfants.

Lorsqu’il s’autorise à envisager la rupture, une foule de raisons le retiennent. Un déménagement, une pension certes, mais aussi des raisons aussi banales que la perte de l’air conditionné. « C’est tellement 2019 et capitaliste comme problématique », reconnaît-il.

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En attentant, Simon rêve de gagner le million à la loterie pour se sortir de l’impasse. « Je nous achète une maison chacun et on se sépare », tranche-t-il, sans appel.

La peur plus que l’argent

Comme Simon, l’avocate médiatrice et autrice Sophie Bérubé croit aussi que les couples s’accrochent surtout à cause de la peur. « C’est déjà tough se séparer, alors n’est pas tant l’argent, mais la peur financière qui vient avec », explique Sophie Bérubé, qui en a vu de toutes les couleurs défiler dans son bureau, notamment des cas où la violence psychologique fait des ravages.

« Au lieu de se demander si des gens hésitent à se séparer à cause de l’argent, faudrait se demander si des gens sortent ensemble au départ à cause du fric », illustre Sophie Bérubé, d’avis que l’argent est souvent évoqué comme une excuse facile pour éviter de faire face à la musique. « Certaines personnes vivent avec de grosses dettes et sont juste dans la marde », reconnaît toutefois l’avocate.

« Au lieu de se demander si des gens hésitent à se séparer à cause de l’argent, faudrait se demander si des gens sortent ensemble au départ à cause du fric. »

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Si des hommes fortunés profitent de leur argent pour exercer un contrôle sur leur partenaire, des femmes se retrouvent aussi parfois en dépendance financière à cause de l’envie de vivre selon un certain standing social, ajoute l’avocate. « Je parle souvent de la formule tout inclus : la grosse maison, la carte de crédit, le char etc. Mais quand la relation se termine, tu perds tout… »

Sophie Bérubé dénonce l’hypocrisie ambiante au sujet de l’argent dans le couple, un tabou qui ne devrait pas l’être. « Tous ceux qui m’ont dit que l’argent n’est pas important pour eux sont des menteurs», tranche sans détour l’avocate, ajoutant que les enfants aussi constituent malgré eux une forme de monnaie. « Il y en a plusieurs qui restent ensemble pour l’image de la famille parfaite (école privée, cours de ballet, piano, hockey, etc.) et dirigent toutes leurs énergies amoureuses vers leurs enfants. Or, c’est impossible avec la classe moyenne de s’offrir tout ça. »

Un mal de notre époque

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Avocate en droit de la famille durant 10 ans et enseignante en techniques juridiques, Catherine Laberge assure que l’amour existe encore, même si l’argent constitue « un mal de notre époque ». « Si tu gagnes 90 000$ à deux et que ton cinq et demie te coûte 1500$ par mois, en te séparant, tu vas quand même avoir besoin d’un cinq et demie à 1500$ pour loger tes enfants. Pour certains, c’est juste pas possible à cause du surendettement », explique-t-elle.

Dans ces cas-là, c’est juste plus simple de s’endurer en couple que de vivre la précarité chacun de son côté.

L’avocate constate que l’argent mène parfois à des déchirements hautement émotifs. « Plusieurs m’ont dit : pourquoi je payerais, c’est elle qui m’a trompé! », cite en exemple Catherine Laberge, au sujet des tensions entourant les pensions alimentaires. « Au Québec, le système de fixation est plutôt équitable, puisque le but est d’offrir des milieux de vie semblables aux enfants, qui sont le nerf de la guerre », croit l’avocate, ajoutant que l’argument « rester ensemble à cause de l’argent » arrive presque toujours dans des contextes familiaux.

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L’avocate a sinon du mal à comprendre comment des gens se retrouvent parfois dans des situations d’aussi grande vulnérabilité. « Pourquoi tu laisses ta job pour t’occuper des enfants si t’es conjoint(e) de fait et que t’es pas protégé(e)? Il y a un peu d’aveuglement volontaire », se désole-t-elle.

Le ticket modérateur

Pour le comptable vedette Pierre-Yves McSween, l’argent devient une sorte de ticket modérateur dans un couple aux prises avec des difficultés. « L’inconfort doit être très grand parce que sinon l’argent va te freiner», explique l’animateur de l’Indice McSween, énumérant les imbroglios liés à la pension, aux frais d’avocat et autres dommages collatéraux. « C’est sans compter tous les gens d’une autre génération qui s’endurent parce que la dame ne travaillait pas pour s’occuper des enfants. »

« Le tabou n’est pas l’argent, mais plutôt la capacité de paiement. »

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Il ajoute que pour plusieurs, se séparer signifie un changement drastique de mode de vie. « Quand t’as de l’argent, tu veux te payer du gravy. Dans le cas contraire où t’as pas d’argent, ça devient le problème. Le tabou n’est pas l’argent, mais plutôt la capacité de paiement », résume Pierre-Yves McSween.

Quelques cas et de l’espoir

Contrairement à Simon cité plus haut, d’autres personnes m’ont raconté leurs histoires, aujourd’hui derrière elles.

Mélissa*, par exemple, avoue avoir fait traîner sa relation avec le père de ses enfants pour des raisons financières. « C’était compliqué de diviser. On en avait parlé et c’était assumé que, pour nous, c’était plus facile de rester ensemble », raconte la mère de famille, qui vit malheureusement les mêmes dilemmes dans sa relation actuelle. « Ça arrive peut-être dans n’importe quelle relation amoureuse. En colocation aussi, j’ai déjà enduré des gens parce que j’avais du mal à arriver », souligne-t-elle.

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Elle se félicite néanmoins d’avoir eu le courage de laisser le père de ses enfants. « Ça a été bon pour ma confiance en moi. Je me suis aperçu que c’était possible d’avoir un appartement et de payer mes comptes.

« À moment donné, je me suis demandé si j’étais pas avec elle pour des questions de confort. »

Samuel*, lui, a quitté sa blonde aussitôt qu’elle s’est trouvé un emploi après de longues études. Il a hésité, puisque sa copine s’est déniché un emploi hyper lucratif, qui lui aurait permis une vie de rêve. « Ça faisait un bout que notre relation tournait en rond, mais on était ensemble durant toute notre vingtaine. À moment donné, je me suis demandé si j’étais pas avec elle pour des questions de confort », raconte Samuel, qui a finalement reconnu que l’amour n’était plus dans le portrait. « Quand je l’ai laissée, certains proches, dont mon meilleur ami plus matérialiste, ne comprenaient pas », souligne Samuel, qui file le parfait bonheur avec une autre fille depuis un an et demi.

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Sur une note d’espoir, Marianne* a pour sa part laissé son conjoint après avoir hésité à cause de l’argent, pour ensuite revenir au nom de l’amour (awwwww). « Je me suis retrouvée seule avec deux enfants très jeune et j’étais aux études. J’avais une voiture, une belle maison et zéro revenu. Je payais fuck all », raconte Marianne, qui vivait sur le bras de son chum, un entrepreneur aisé. « On avait une drôle de relation. Même s’il ne m’a jamais dit : tu payes rien, ferme ta yeule, je sentais que c’était dans l’air et j’avais développé un complexe d’infériorité », explique Marianne, qui a finalement fait ses valises après 11 ans d’accumulation. La meilleure décision de sa vie, dit-elle. « Je travaillais enfin et j’ai vu que j’étais capable de louer une maison et avoir une voiture qui roule. J’ai senti que je pouvais être autonome. »

Rien pour l’empêcher de revenir avec son ex. « Je pouvais très bien vivre sans lui… mais le problème c’est que je l’aimais », résume-t-elle.

Comme quoi l’amour l’emporte parfois sur le cash.

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*Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes qui ont livré leur témoignage.