.jpg)
Reprendre une entreprise plutôt que partir de zéro
Il y a six ans, si quelqu’un avait dit à Valérie Terrault qu’elle trouverait sa place entre deux bassins de laitue, elle aurait sans doute été perplexe. Pourtant l’agriculture ne lui est pas étrangère, c’est le secteur d’activité dans lequel évolue sa famille.
Son père, Sylvain Terrault, est le PDG d’Hydroserre, qui produit des légumes en serre au Québec, avec deux marques sur le marché: laitues Mirabel et les légumes VÔG. Il est épaulé par son épouse Chantal Desjardins, vice-présidente principale, et son frère Daniel Terrault, vice-président. La seconde génération suit de près avec le fils Simon et le cousin Francis respectivement directeur des opérations et de production.
.jpg)
Valérie est la dernière arrivée dans l’entreprise. Depuis un an, elle y occupe le poste de gestionnaire de marque. Si aujourd’hui elle parle avec assurance de son futur au sein du business familial, elle concède que ça lui a pris un peu de temps avant de rejoindre les siens.
Savez-vous planter des laitues?
Après des études à HEC Montréal, elle commence à parfaire ses connaissances dans des agences en événementiel ou en créatif, mais elle ne se sentait pas encore «sur son X». Pendant ces six années, elle zieutait l’entreprise familiale en attendant d’être prête.
Maintenant que c’est chose faite, elle n’a aucun regret. «J’adore l’agriculture, c’est comme un slow living».
À 26 ans, Valérie se positionne avec son frère et son cousin comme les futurs repreneurs de l’entreprise familiale. Le deal n’est pas encore conclu et Valérie est consciente que cela prendra quelques années. «Mais on n’est pas pressé», affirme-t-elle.
Aller à contre-courant de sa génération
Comment percevoir positivement son entrée dans l’entreprise familiale lorsqu’on fait partie de la génération dont la volatilité envers les employeurs est la plus forte? Les millénariaux passent en moyenne deux ans chez le même employeur. Valérie s’est beaucoup posé la question. «Ça m’a effrayé pendant longtemps, mon frère et mon cousin ont commencé dans l’entreprise tout de suite après leurs études et je le traitais à la blague “mais voyons, vous allez bosser là toute votre vie?”», raconte-t-elle.
«Je crois sincèrement qu’une fois que tu te trouves dans une entreprise qui prend soin de toi, physiquement, mentalement, financièrement, et que t’es bien, pourquoi changer?»
Après ses différentes expériences professionnelles, elle réalise que l’important est de se placer dans une compagnie qui correspond à ses valeurs. Dans son cas, difficile de faire mieux que l’entreprise familiale. «Je crois sincèrement qu’une fois que tu te trouves dans une entreprise qui prend soin de toi, physiquement, mentalement, financièrement, et que t’es bien, pourquoi changer?»
D’ailleurs quand on lui demande si c’est pour du long terme, elle répond franchement: «oui je me vois là à long terme. On est capable de modeler un environnement de travail qui correspond à notre personne et à notre génération.»
Le repreneuriat: moins glamour que l’entrepreneuriat
Quand on parle des entrepreneurs, on imagine une personne qui part de zéro pour transformer une idée innovante en boite à succès. On pense start-up nation, babyfoot et 5@7. «Le terme entrepreneur est vraiment glamorous, il y a quelque chose que les Québécois apprécient beaucoup des entrepreneurs, comme une sorte d’aura», observe Valérie. Le Guy Laliberté effect?
Sauf que l’entrepreneuriat au Québec c’est aussi toutes les entreprises qui cherchent des repreneurs, des business qui marchent bien depuis des années et qui valent la peine qu’on les considère. En 2017, les repreneurs québécois faisaient figure de proue avec près d’une PME québécoise sur trois issue du repreneuriat.
Pour Valérie, c’est important de croire au produit, mais c’est aussi une histoire de compétences. «Que ce soit une entreprise de fenêtre ou de palette de bois, ce n’est pas tout le temps le produit qui est intéressant c’est tout ce qui est autour, ce que tu vas faire de ton day to day.» Elle souhaite que le repreneuriat soit un peu mieux considéré. «C’est tellement un bel univers».
Se lancer en affaires sans monter sa boite
Avec une reprise, l’entrepreneur s’appuie sur l’existant au lieu de partir de zéro. C’est un gain de temps qui peut s’avérer considérable. «Tu n’as pas à refaire un plan d’affaires, à aller chercher du financement ou à pitcher ton idée. C’est un avantage qui permet de mettre les pieds dedans et d’accélérer ton processus», précise Valérie. Le repreneuriat permet de se lancer avec une structure existante.
Ça ne veut pas dire pour autant qu’on est enfermé dans le modèle. Un repreneur peut construire ou déconstruire certains piliers. En tant que repreneuse, son défi sera de challenger une entreprise dont le modèle marche depuis des années. «J’espère qu’un jour on ira dans la section fruits et légumes et qu’on se souviendra du nom de la laitue qu’on achète, et que les gens achèteront les valeurs de ce produit», indique-t-elle en entrevue avec Familles en affaires HEC Montréal.
Bénéficier d’un mentor
Un autre avantage réside dans la relation que le repreneur développe avec le cédant, si affinité il y a. Le processus pouvant s’étaler sur plusieurs années, la société n’est pas le seul élément à être transmis. Il y a aussi les savoirs implicites, les connaissances et le leadership. Le cédant prend la place d’un mentor qui guide le repreneur vers une succession et une poursuite de l’entreprise réussie.
Chez Hydroserre, les trois derniers mois se sont avérés riches en intensité. Avec la pandémie, des mesures sanitaires supplémentaires ont été mises en place en un temps record. Les réseaux de distribution se sont retrouvés bouleversés et plusieurs de leurs travailleurs étrangers ont été dans l’incapacité de retourner chez eux à cause de la fermeture des frontières. Au même moment, la compagnie a enclenché un processus d’acquisition.
Des situations inédites qui participent à la formation de la nouvelle génération. «Oui je pense que ça va nous servir dans le futur à être de meilleurs gestionnaires. Le plus grand enseignement est de ne pas avoir peur du changement pour son entreprise, de ne pas paniquer même sous pression», observe Valérie.