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« Redonner au Sénégal ce que le Sénégal m’a légué » à partir de Chicoutimi
Les étudiants en sciences humaines et sociales de l’UQAC l’ont sûrement croisée au 5e étage du Pavillon Alphonse-Desjardins et échangé avec elle un regard complice. Ceux qui, comme moi, ont eu la chance de l’avoir comme professeure se souviennent sans aucun doute de sa véritable passion pour l’Afrique et des fous rires en classe.
Vous me direz qu’on croise tous des profs particulièrement sympathiques dans un parcours universitaire, que ce n’est pas exceptionnel (ce serait triste si c’était le cas). Mais après avoir jasé deux heures avec Marie Fall, deux heures durant lesquelles j’ai eu la gorge nouée et le coeur envahi par l’émotion, je me suis rendu compte que dans son cas, on parle bien d’une exception. Si chaque université a sa perle rare, à l’UQAC, c’est elle.
Depuis 13 ans, elle initie et sensibilise ses étudiants aux problématiques méconnues de certaines régions d’Afrique. Sans surprise, cette année la COVID s’est mise au travers de son chemin, mais en temps normal, elle les emmène chaque année avec elle au Sénégal – son pays d’origine, auquel elle reste profondément attachée – dans le cadre d’un stage de coopération internationale.
Après sa formation universitaire à Dakar, Marie Fall arrive au Québec en 2002. Sélectionnée parmi les 21 meilleurs étudiants universitaires de toute l’Afrique, c’est une bourse de la Fondation Ford sur base d’excellence qui l’a menée au doctorat en géographie à l’Université de Montréal, qu’elle a choisi notamment pour sa langue.
Une région accueillante
« Je suis issue d’une famille dite “libérale” au Sénégal, ce qui m’a permis d’avoir l’éducation que j’ai. Si j’avais été dans une autre famille, je me serais probablement mariée très tôt, j’aurais eu des enfants et je serais chez mon mari, à prendre soin de lui », explique-t-elle, en entrevue.
Lorsqu’une offre s’est présentée pour enseigner à Chicoutimi en 2007 elle a sauté sur l’occasion. Le jour de son anniversaire, le 1er août de la même année, elle est devenue professeure. Mieux encore, elle est devenue la première professeure d’origine africaine de l’UQAC.
«Il n’y a rien qui me distingue d’une Mme Tremblay qui a deux enfants. C’est le même profil!»
Depuis, elle se sent chez elle. « Le premier Noël que j’ai passé au Québec, c’était à Chicoutimi. Il n’y a rien qui me distingue d’une Mme Tremblay qui a deux enfants. C’est le même profil! Si on devait remplir une fiche, la seule chose qui nous distinguerait serait l’origine ethnique », ajoute celle qui est mère de deux enfants, un garçon de 9 ans et une fille de 14 ans, qui sont nés ici.
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Mettre fin aux inégalités nord-sud
« Ma mission première est de redonner au Sénégal ce que le Sénégal m’a légué. C’est vital pour ma carrière. La chance que j’ai eue, je la souhaite à toutes les femmes. Je me trouve immensément privilégiée d’avoir fait des études, d’avoir pu voyager, me réaliser professionnellement grâce à elles », me raconte-t-elle.
Elle y retourne trois fois par année. Pour elle, être professeure est en quelque sorte un moyen pour parvenir à une fin : lutter contre les inégalités subies par les femmes africaines et surtout, sénégalaises.
Par ailleurs, le stage de coopération internationale qu’elle supervise est ouvert à tous les étudiants, selon leurs compétences. Certains étudiants en génie ont par exemple déjà participé à la construction de digues de protection des îles, d’autres en enseignement ont donné des cours d’espagnol, de français et de mathématiques.
« Ce qu’on vise, c’est accompagner ces communautés, mais aussi amener nos étudiants à apprendre plus sur les réalités de la vie quotidienne de ces communautés-là. Faire des sorties sur le terrain, les sensibiliser sur l’importance de sauvegarder l’environnement », ajoute Marie Fall.
« Mais la coopération internationale, est-ce uniquement bon pour nous, Occidentaux? Pourquoi, par exemple, ne voyons-nous pas d’étudiants sénégalais venir ici, nous montrer leur savoir-faire? », lui ai-je demandé.
La réponse simple? It’s complicated, dirait Facebook.
« C’est le vœu! Malheureusement, étant donné les inégalités nord-sud, il est plus facile pour les étudiants d’ici de partir et d’intervenir au Sénégal. Les Sénégalais, eux, doivent prouver qu’ils vont retourner chez eux après leur visite, ce qui est difficile à faire, car le rêve de l’Eldoraro canadien est bien présent, d’autant plus que le Canada est un pays d’immigration », se désole-t-elle.
Pas facile être femme au Sénégal
Marie Fall a dû quitter son pays pour poursuivre ses études ET fonder une famille, une combinaison qui, dans son pays d’origine, est difficilement concevable.
« L’autonomisation des femmes, l’empowerment, leur donner plus de pouvoirs, ça me tient beaucoup à cœur. Si elles décident de rester seules, qu’elles restent seules! Qu’on ne les force pas à se marier. Si elles décident de voyager, de faire le tour du monde, pourquoi pas? ».
Mais c’est aussi parce que, contrairement au Québec, il n’y a pas de programmes sociaux permettant de concilier les deux. D’autant plus qu’en raison de certaines coutumes, on attend des femmes qui n’étudient pas qu’elles se tournent vers le mariage lorsqu’elles atteignent la majorité.
«Souvent, les études constituent une contrainte à la maternité surtout dans des pays où on n’a pas de ressources comme les congés de maternité. C’est soit les études, soit le mariage.»
« Gérer le mari, la mère du mari, la sœur du mari, toute la fratrie et me concentrer à mes études et faire des enfants en plus? C’était inconcevable! C’est impossible qu’une femme qui va aux études puisse se marier et faire des enfants. Souvent, les études constituent une contrainte à la maternité surtout dans des pays où on n’a pas de ressources comme les congés de maternité. C’est soit les études, soit le mariage ».
Pour l’amour des étudiants
À l’automne, Marie Fall, devra donner, comme plusieurs autres de ses collègues, ses cours à distance en raison de la COVID-19. Lorsqu’elle en parle, la déception est palpable. Elle ne sait pas quand elle pourra retourner avec ses étudiants au Sénégal. Ne pas être en présence physique de ses étudiants, c’est tout sauf naturel pour elle.
« Quand je me réveille le matin pour aller travailler, mes plus belles journées sont celles où j’ai cours. Ne pas pouvoir rire avec mes étudiants, ne pas pouvoir les côtoyer de près… je ne sais pas quel genre d’automne je vais passer », conclut-elle, émue, alors qu’on sent son réel attachement aux humains, peu importe leurs origines.