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Réconcilier par l’art 

Le pouvoir de créer des liens.

Par
Léa Morin-Letort
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« Ilnu signifie être humain », me répète-t-on avec enthousiasme. On est samedi, il fait chaud et l’air est aussi léger que l’ambiance festive et décontractée qui domine sur place. Les sourires sont aussi sincères que les discussions auxquelles je participe. Malgré le téléphone que j’ai à la main pour récolter la parole des artistes, festivaliers et organisateurs, c’est avant tout leur regard que je capte. Ces yeux qui m’accueillent chaleureusement, sans jugement et avec douceur.

Ces yeux qui portent un message commun : l’espoir.

« J’ai porté, en tant qu’allochtone, les enfants d’un Autochtone. Selon moi, il n’y a pas plus belle réconciliation qu’une femme qui tombe en amour et donne la vie à des enfants métis », affirme fièrement une maman entourée de ses deux filles, lors du Festival Tam Tam Macadam d’Alma, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Depuis 1997, l’événement vise à faire découvrir la culture autochtone via des échanges, des concerts et des ateliers de fabrication. Une belle occasion de se rapprocher grâce à l’art.

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Quand l’art apaise les maux

Assise à une table sous le chapiteau en face de ses deux filles, la mère de famille place soigneusement des perles en bois dans la tresse en tissu qu’elle confectionne. Les fillettes se concentrent sur la fabrication de leur tresse respective, en tournant les pages du lexique français-ilnu. Je me joins à elle pour faire connaissance et comprendre la raison de leur venue dans ce festival.

Préférant rester anonyme, la maman confie que depuis quelques mois, le père de ses enfants est décédé. Son conjoint étant innu et elle, allochtone, ils ont toujours eu à cœur de vivre la culture autochtone en famille, livre la jeune femme.

Elle exprime que participer au festival permet de préserver les apprentissages des Premières Nations, ce qui les aide à traverser leur deuil. Durant la confection des tresses, les personnes sont invitées à choisir les couleurs des tissus, y ajouter des perles et écrire une phrase sous forme d’intention positive si elles le souhaitent. La maman et ses filles prennent le temps d’écrire des mots en français et en ilnu, en l’honneur de leur papa.

L’atelier de tressage auquel elles prennent part ce jour-là s’inscrit dans le projet D’un fil à l’autre, proposé par l’organisme Kamishkak’Arts, dans le cadre du festival.

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« L’objectif est d’apprendre à connaître l’autre en créant une œuvre collective à partir de tissus recyclés », explique la co-responsable des projets artistiques de Kamishkak’Arts, Amélie Courtois. Cet organisme aide les artistes et artisans à développer leurs talents, se professionnaliser et faire découvrir l’art au grand public. « L’art est un outil de communication », expose la directrice générale et artistique de Kamishkak’Arts, Julie Gagnon-Bond.

Le projet D’un fil à l’autre est en partenariat avec l’association Les Cercles de Fermières du Québec, à partir de matières recyclées, pour retisser du lien social. (Photo : Léa Morin-Letort)
Le projet D’un fil à l’autre est en partenariat avec l’association Les Cercles de Fermières du Québec, à partir de matières recyclées, pour retisser du lien social. (Photo : Léa Morin-Letort)

Au sein de l’atelier D’un fil à l’autre, les rencontres et les discussions sont nombreuses, allant parfois jusqu’aux confidences. La mère de famille souligne l’importance de parler et de partager ses difficultés. Depuis le départ de son conjoint, elle se rend au Centre Mamik où elle obtient « le soutien pour vivre cette nouvelle bouleversante », selon ses mots. Mamik est un organisme communautaire d’accueil des Autochtones en milieu urbain et au sein des communautés, à travers la culture, l’éducation et la santé.

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Durant cette journée, l’équipe de Mamik est présente au festival, dont l’animatrice culturelle Émilie Dominique Palmer, qui propose un atelier de perlage. Dans son travail quotidien comme lors du festival, elle constate que « l’art est thérapeutique et [qu’] il rapproche les personnes ». Ce samedi, à mesure que les participants confectionnent leurs bijoux en perles de verre, ils racontent leurs habitudes de vie et interrogent celles des autres. Émilie Dominique Palmer observe qu’« il y a une ouverture autant du côté des allochtones qui veulent apprendre, que des Autochtones qui veulent montrer leur savoir-faire ».

Une dizaine de personnes ont fabriqué différents objets et bijoux en perle durant la journée. (Photo : Léa Morin-Letort)
Une dizaine de personnes ont fabriqué différents objets et bijoux en perle durant la journée. (Photo : Léa Morin-Letort)
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Cette ouverture est vécue par la maman qui élève des enfants métis dans un esprit de sécurisation culturelle. Selon elle, la sécurisation culturelle correspond à la préservation des savoir-faire et traditions des Premières Nations. Pour cela, elle peut compter sur les connaissances des personnes ilnu au sein du Centre Mamik, comme l’animateur culturel Benoît Thisselmagan. Présent au festival, il souhaite partager sa culture au plus grand nombre grâce au tambour. Il indique que « ce n’est pas un jouet, mais un objet de prière pour parler avec les ancêtres ». L’animateur déplore l’utilisation inappropriée du tambour, visible en vidéo sur les réseaux sociaux. Pour Benoît Thisselmagan, l’art autochtone est lié à l’histoire des Premières Nations.

Il existe des périodes tragiques dans l’histoire des communautés autochtones, comme celle des pensionnats. Certaines personnes qui ont vécu ce drame décident d’en parler ouvertement. C’est le cas d’Harry Wylde, artiste multidisciplinaire de la nation Anichinabe, qui expose ses peintures au festival. Il souligne qu’avant, il n’osait pas évoquer ce traumatisme. « J’ai perdu une grosse partie de ma culture, mais aujourd’hui je la reprends par le biais de mes toiles. » Depuis, il raconte son parcours dans des écoles en réalisant des peintures sous les yeux des élèves. L’artiste ajoute que ses œuvres sont des outils pour discuter et « sortir de sa coquille. »

Sur la photo : Benoît Thisselmagan, animateur culturel ilnu du Centre Mamik. Les quatre couleurs représentent la diversité des peuples. (Photo : Léa Morin-Letort)
Sur la photo : Benoît Thisselmagan, animateur culturel ilnu du Centre Mamik. Les quatre couleurs représentent la diversité des peuples. (Photo : Léa Morin-Letort)
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S’exprimer et transmettre par l’art

Tout comme Harry Wylde, la maman estime que l’art permet de s’exprimer. Pour elle, « c’est une forme de liberté qui est fondamentale. »

Lors du festival, un temps d’échange invite les Autochtones et allochtones à s’exprimer. Durant trois heures, un cercle de partage est proposé par l’artiste multidisciplinaire et bispirituel, Shína Hope, une Ilnu issue de la communauté autochtone de Mashteuiatsh, accompagnée d’Aliss Germain, originaire de Pekuakamihtsh. Le cercle de partage est un « moyen d’être ensemble, dans le respect, en étant tous des êtres humains égaux », précise Shína Hope. Cet échange se veut bienveillant et tous les participants peuvent poser des questions à l’aînée Aliss Germain. Entre autres, on nous partage des contes, du vocabulaire en ilnu et les bases pour comprendre le principe de la roue de la médecine. À l’issue des ces discussions, l’émotion est palpable pour Kuhkum (grand-mère du Nehlueun en langue ilnu de Mashteuiatsh) Aliss Germain. « Il y a un lien invisible, comme une sorte de fil qui se passe aujourd’hui avec d’autres gens », souffle-t-elle.

Sur la photo : Aliss Germain, originaire de Pekuakamihtsh (à gauche) et Shína Hope, artiste multidisciplinaire et bispirituel ilnu de la communauté autochtone de Mashteuiatsh (à droite).
Sur la photo : Aliss Germain, originaire de Pekuakamihtsh (à gauche) et Shína Hope, artiste multidisciplinaire et bispirituel ilnu de la communauté autochtone de Mashteuiatsh (à droite).
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« Notre mission est de favoriser la rencontre interculturelle », déclare le directeur général du festival Tam Tam Macadam, Alexis Bégin.

Le fil, au sens propre comme figuré, rassemble les gens et favorise la transmission des savoirs. Apprendre les techniques artistiques prend du temps comme le rappelle la mère de famille. Lorsqu’elle a perlé une tortue sur le régalia de sa fille, elle s’est appuyée sur le savoir-faire des personnes ilnu au Centre Mamik. Le régalia est l’habit spirituel des pow-wow sur lequel on peut coudre différents motifs symboliques avec des perles. La broderie et le perlage sont des formes d’art pratiquées depuis longtemps. « Le mot “art” est nouveau. Il ne se disait pas avant car il fait tellement partie de nous », remarque Amélie Courtois.

Dans le processus de transmission, le choix des mots employés a son importance. Si le terme réconciliation émerge depuis quelques années, il génère encore beaucoup de débats. Certains, comme Harry Wylde et Benoît Thisselmagan, le considèrent comme un moyen de promouvoir la culture des Premières Nations. D’autres, comme Shína Hope et Aliss Germain, estiment que c’est surtout la vérité qui doit primer.

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Julie Gagnon-Bond est de cet avis. « Il existe encore du racisme systémique envers les Premières Nations », dénonce-t-elle. Bien qu’elle se réjouisse des actions artistiques qui « créent des ponts entre les humains », elle sait que le chemin de la guérison est encore long.

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